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>> En reconnaissant le principe j'y obéis moi-même, et je signe ma motion: Louis-Michel Le Pelletier. »

M. l'abbé Maury.

<«< Dans la multitude des questions qui sont soumises à votre discussion, je ne sais sur quel objet particulier je dois fixer mes regards. On a proposé de faire ôter de la statue de Louis-le-Grand tous les emblèmes de l'esclavage; d'autres ont demandé l'anéantissement des dignités sociales et le retour à l'égalité la plus absolue : chacun de ces objets est digne d'un examen particulier, et je ne refuserai d'en discuter aucun. Vous devez rendre hommage à la mémoire de Louisle-Grand, qui n'a pas ordonné ce monument de vanité. J'entends dire qu'il a soutenu une guerre pour le conserver ; je réponds que cela est faux. La guerre de Hollande, dont on veut sans doute parler ici, a été occasionnée par l'injure faite à une médaille de ce roi, et le monument de la place des Victoires a été ordonné par le maréchal de La Feuillade, qui a prodigué à Louis-le-Grand. les témoignages de la plus servile adulation: encore n'en est-il pas l'inventeur; la place de Médicis en a donné la première idée. Mais puisqu'on veut détruire tout ce qui sent l'esclavage, les regards du patriotisme ne devaient-ils pas se porter sur la statue de Henri IV, dont quelques-unes des inscriptions sont uniquement à la louange du cardinal de Richelieu? (On applaudit.) Il a aussi à ses pieds des esclaves enchaînés; mais ce sont des emblèmes qui représentent les vices; les amis de la liberté n'en sont point offenses!

» Je crois qu'il ne faut pas toucher à la statue de Louis XIV. La philosophie doit consacrer ce monument pour montrer à la postérité comment on flattait les rois. Louis XIV fut trop flatté pendant sa vie, mais trop méconnu après sa mort. C'est un roi qui n'avait peut-être pas autant de grandeur dans le génie que dans le caractère; mais il est toujours digne du nom de grand, puisqu'il a agrandi son pays. Quand vous érigerez des monumens vous ferez voir la différence qu'il y a du dix-septième au dix-huitième siècle; vous leur donnerez un but moral qui élevera l'âme des rois; mais il ne faut pas

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pour cela dégrader aux yeux du peuple des rois ensevelis dans la tombe, et porter ainsi de terribles atteintes à la majesté royale. Quant à la question du retour aux noms propres, elle est juste. Un savant moraliste disait qu'en France on ne reconnaissait plus ni les hommes à leur nom, ni les femmes à leur visage. Votre patriotisme s'élève contre ces abus de la vanité, et vous êtes dignes d'éloges; mais il ne faut point passer le but. Ce ne sont pas les noms qu'il faut condamner, mais les usurpateurs de nom; ceci ne porte point d'atteinte à notre liberté : les Romains connaissaient des ordres de chevaliers, et les Romains se connaissaient en liberté. Je sais bien qu'à l'avenir on ne s'informera pas de ce qu'ont été les hommes, mais de ce qu'ils auront fait. Un auteur avait bien raison quand il a dit que la première question d'un peuple donnait une idée de la philosophie de la nation: parlez de quelqu'un en Allemagne, on vous demande s'il entre au chapitre; en France, quelle place il occupe à la cour; en Espagne, s'il est grand de la première classe; en Angleterre, on vous demande quel homme c'est sans doute que cette manière d'exister par soimême est bien la meilleure.

» En France la noblesse est constitutionnelle; s'il n'y a plus de noblesse, il n'y a plus de monarchie. Cette question est donc assez importante pour être traitée dans une séance du matin. Je sais bien que dans la nuit du 4 août plusieurs articles constitutionnels ont été arrêtés; les sacrifices patriotiques se sont multipliés à l'infini; mais ce n'est pas toujours au milieu de cet enthousiasme qu'on prend les meilleures délibérations. Ne pourrait-on pas dire à ceux qui demandent avec acharnement toutes ces innovations ce que quelqu'un répon¬ dit à un philosophe orgueilleux : Tu foules à tes pieds le faste, mais avec plus de faste encore.

» Quant à la question des livrées, un domestique n'est ni plus malheureux ni plus avili pour avoir tel ou tel habit sur le corps. Personne n'ignore que cet usage remonte jusqu'à l'institution des armoiries et des croisades, et qu'excepté certaines familles, pas même M. le maire de Paris, personne n'a droit d'avoir une livrée; c'est donc l'institution de la noblesse que vous attaquez dans son principe. Je demande que, si l'on

vent traiter cette question, elle soit ajournée à une séance du matin. »

M. Mathieu de Montmorency.

« Je ne sais, messieurs, si c'est le talent très-remarquable du préopinant, ou mon infériorité, que je sens mieux que tout autre, qui m'empêche de songer à le réfuter. Mais il me semble que j'ai un motif aussi vrai, plus étendu et plus déterminant dans mon profond respect pour l'Assemblée nationale, pour cette déclaration des droits qui l'a tant honorée, et qui, malgré toute l'éloquence de M. l'abbé Maury, efface de notre code constitutionnel toute institution de noblesse ; c'est l'ardeur avec laquelle je m'associerai toujours avec ces grands et éternels principes qu'elle n'a cessé de professer, de consacrer, et de propager par ses exemples et par ses décrets. Je me bornerai donc à une chose plus simple et plus utile que de réfuter M. l'abbé Maury; je lui fournirai au contraire une nouvelle proposition à réfuter. Je ne suis pas bien sûr qu'elle ait échappé à la justice des préopinans, car lorsqu'un pareil sujet à été traité pendant quelques instans dans une assemblée telle que l'Assemblée nationale, celui qui a eu le malheur d'y être arrivé quelques minutes trop tard doit craindre de trouver le champ complétement moissonné. Și la vaine ostentation des livrées a excité le zèle d'un des préopinans, je demande que dans ce jour de l'anéantissement général des distinctions anti-sociales, qui, quelque vaines, quelque puériles qu'elles puissent être, contrarient vos principes, l'Assemblée n'épargne pas une des marques qui rappellent le plus le système féodal et l'esprit chevaleresque. Que toutes les armes et armoiries soient donc abolies; que tous les Français ne portent plus désormais que les mêmes enseignes, celles de la liberté, lesquelles désormais sont fondues avec éelles de la France. »>

Des orateurs en grand nombre se succédèrent à la tribune, et furent tour à tour interrompus par des murmures ou par des applaudissemens. Une partie du côté droit voulait toujours l'ajournement; mais la majorité de l'Assemblée décida que la délibération aurait lieu sans désem

parer. Alors M. Chapelier rédigea en un décret les dif férentes propositions, en fit lecture, et l'on délibéra. Sur l'avis de M. Lanjuinais, on ajouta au décret la prohibition des titres de grandeur, d'altesse et d'éminence; on adopta également les mesures d'ordre public deman→ dées par M. Fréteau. Dans la foule des autres amendemens successivement proposés et rejetés, nous en rappellerons un qui nous paraît fort remarquable; il est de M. Lavie :

« Fils d'un réfugié, dit-il, jé propose qu'à la place des emblèmes de servitude qui doivent être détruits on mette la révocation de l'édit de Nantes. »

Le décret est mis aux voix ; c'est le signal du tumulte. Plusieurs membres gentilshommes déclarent ne pouvoir plus, sans se compromettre, assister aux séances de l'Assemblée; quelques-uns se retirent; d'autres en groupe assiégent la tribune, et de la main menacent le président; ils veulent parler; mais leur voix est étouffée sous les cris de la discussion est fermée! aux voix, aux voix ! Enfin, le décret passe à une grande majorité, et au milieu de vifs å applaudissemens, qui partent à la fois de l'Assemblée et des tribunes.

Un heureux å-propos acheva de donner à cette mémorable séance le plus auguste caractère. La soirée était avancée; on touchait au 20 juin.... pouvait-on célébrer un plus bel anniversaire !... Une députation de citoyens de Paris est introduite dans la salle, ét sait hommage à l'Assemblée d'une plaque de bronze surmontée d'une couronne de chêne, et sur laquelle est gravé le serment prêté par les députés dans la séance du Jeu de Paume, le 20 juin 1789! Un membre de la députation prend la parole en ces termes :

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Messieurs, trois habitans des Alpes, réunis sur les bords du lac des Quatre-Cantons, jurèrent de rendre la Suisse libre, et la Suisse fut libre. Leurs noms sont gravés sur les rochers; leurs vertus sont devenues la leçon des siècles, et le lieu où leur serment immortel est écrit est encore aujour

d'hui le point de ralliement et l'objet de la vénération de tous les peuples libres.

» Des Français ont fait graver sur le bronze le serment que leurs représentans ont prêté dans le Jeu de Paume; ils le présentent à l'Assemblée nationale comme une offrande faite aux peuples et aux siècles. Demain, l'anniversaire du jour où il a été prononcé, ils le porteront religieusement et le placeront dans le lieu que vos vertus ont consacré. »

A l'aspect de ce monument vraiment national tous les spectateurs s'abandonnent à une sainte et patriotique allégresse, dont les accens ne cèdent un instant qu'à la voix du président, ou plutôt au serment qu'il va renouveler, serment qui décida du bonheur et des destinées de la France.

Le président (s'adressant à la députation).

« L'Assemblée nationale avait promis solennellement l'année dernière de ne pas se séparer que la constitution ne fût entièrement décrétée; ce serment elle l'a tenu, et elle le tiendra; je le renouvelle ici en son nom.

» Vous ne nous devez nul remerciement, messieurs ; l'Assemblée nationale n'a rempli que des devoirs; mais c'est à vous, c'est aux citoyens de Paris, que dis-je! c'est à tous les Français qu'elle doit son existence, et à l'opinion publique sa force. Soutenue par l'énergie et le courage qui animent la majeure partie des habitans du royaume, elle triomphera de tous ses ennemis, et verra bientôt le terine de ses opérations. Son but sera rempli; la France sera heureuse; et le monument que vous allez élever sera l'autel autour duquel se rallieront tous les amis de la liberté. »

Ainsi se termina la mémorable séance du 19 juin 1790, ou plutôt cette fête nationale, à laquelle Louis XVI prit part en sanctionnant les décrets ci-après :

Premier décret.

« L'Assemblée nationale décrète que la noblesse héréditaire est pour toujours abolie en France; qu'en conséquence les titres de marquis, chevalier, écuyer, comte, vicomte,

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