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pes, la force, l'avarice ou la séduction cesseront bientôt de contrarier, par des institutions arbitraires, la loi de la nature, qui a voulu que l'homme fût éclairé pour qu'il pût être juste, et libre pour qu'il pût être heureux.

» Ainsi vous jouirez à la fois et du bien que vous faites et du bien que vous préparez, et vous acheverez votre ouvrage au milieu des bénédictions de la foule des opprimés dont vous avez brisé les fers, et des acclamations des hommes éclairés, dont vous avez surpassé les espérances. »

Réponse du président.

« Au milieu des applaudissemens que votre présence inspire dans cette Assemblée, et dans le sentiment qui les accompagne, il vous est aisé sans doute, messieurs, de démêler que nous savons reconnaître et que nous aimons le lien de confraternité qui, pour le bonheur de l'espèce humaine, doit toujours unir les législateurs aux philosophes et aux savans. Lorsque l'Assemblée nationale a voulu procurer à la France, et, s'il est possible, à toutes les nations, le grand bienfait de l'uniformité des poids et mesures, elle a senti que c'était avec les deux compagnies les plus savantes de l'Europe qu'elle devait en partager l'honneur, et elle vous a invités à vouloir bien vous occuper de cet important travail. Le zèle dont vous venez de lui faire hommage montre qu'elle ne s'est point trompée dans ses espérances, comme le langage patriotique et éclairé que vous lui avez fait entendre en cette occasion prouve qu'elle aurait pu vous consulter utilement sur des travaux plus essentiels encore. L'Assemblée nationale voit avec plaisir que l'Académie des Sciences ait choisi, pour porter la parole en son nom, des hommes accoutumés depuis longtemps à la por¬ ter avec succès au monde entier, au nom de la philosophie et des sciences, et que nous regrettons de ne point voir assis parmi nous, lorsqu'il est certain que son esprit n'est point étranger à nos délibérations. »

ABOLITION DE LA NOBLESSE,

MONUMENS DE SERVITUDE,

DU 19 JUIN 1790.

DESTRUCTION DES

SÉANCE MÉMORABLE

Orateurs: MM. Alexandre et Charles de Lameth, Lambel, de La Fayette, de Noailles, Le Pelletier de Saint-Fargeau, l'abbé Maury, Mathieu de Montmorency, etc.

La séance du 19 juin 1790, préparée et pour ainsi dire enfantée par celle du 4 août 1789 (voyez notre premier vol. page 69), acheva la révolution. Ici l'Assemblée prononce la destruction de la féodalité et de tous les priviléges qui s'opposaient à l'égalité garantie par la déclaration des droits: là elle proscrit jusqu'aux mots qui rappelaient le souvenir des priviléges et des distinctions; elle abolit la noblesse, elle abolit tous ces titres si vains, si frivoles, mais si chers à la nullité qu'ils élèvent, à l'orgueil qu'ils nourrissent... Ces titres ont reparu, il est vrai; mais le prestige est détruit: on ne rapporte pas les décrets de l'opinion... Honneur à l'Assemblée nationale, qui rendit à la qualité de citoyen son caractère vraiment noble et imposant!

Des particularités remarquables, un enchaînement de circonstances uniques, ont encore ajouté à l'intérêt de cette séance, dont nous allons offrir un exposé; et si auparavant nous en avons annoncé le résultat, nous donnerons pour excuse cette heureuse expression d'un de nos écrivains, c'est que d'abord, pour faire connaître une victoire, on ne la raconte pas, on la chante.

SÉANCE DU 19 JUIN 1790, AU SOIR. (Président, M. de Menou, en l'absence de M. l'abbé Syeyes.

Plusieurs députations viennent offrir leurs reconnaissans hommages à l'Assemblée nationale; elles demandent et obtiennent la permission de prêter dans son sein le serment civique, et de le déposer signé sur le bureau. Mais une réunion de braves a fixé tous les regards; ce sont les vainqueurs de la Bastille : M. Camus est l'interprète de leurs sentimens. M. Camus, au nom du comité des pensions,

*

retrace les services de ces premiers héros de la révolution; il les montre trop au-dessus des récompenses ordinaires pour que le mot pension s'attache au souvenir de leur dévouement sublime. Il propose en leur faveur un décret qui sur le champ est adopté par acclamation, et dont voici les prinpales dispositions :

« L'Assemblée nationale, frappée d'une juste admiration pour l'héroïque intrépidité des vainqueurs de la Bastille, et voulant leur donner, au nom de la nation, un témoignage public de la reconnaissance due à ceux qui ont exposé et sacrifié leur vie pour secouer le joug de l'esclavage et rendre leur parie libre;

» Décrète qu'il leur sera fourni un habit uniforme et un annement complets. Sur le canon du fusil et sur la lame du sabre sera écrit: Donné par la nation a..... vainqueur de la Bastille. Il leur sera délivré un brevet honorable pour exprimer la reconnaissance de la patrie. Un brevet honorable sera aussi délivré aux veuves de ceux qui ont péri au siége de la Bastille. Lors de la fédération du 14 juillet il leur sera désigné une place où la France puisse contempler à loisir les premiers conquérans de la liberté. Leur nom sera inscrit dans les archives de la nation. L'Assemblée nationale se réserve de prendre en considération ceux à qui elle doit des gratifications pécuniaires. >>

Une députation (1) qui resta sans exemple, une députation vraiment universelle, se présente devant l'Assemblée; elle est composée d'Américains, d'Anglais, de Prussiens, de

`(1) Nous n'ignorons pas les efforts des ennemis de la liberté pour jeter le ridicule sur cette ambassade, à laquelle ils ne pouvaient reprocher qu'un enthousiasme qu'ils sont incapables de sentir; nous dédaignerons de les réfuter; les faits parlent d'eux-mêmes. D'ailleurs, de ce qu'un roi s'imagina d'en imposer à la multitude en supposant une fastueuse ambassade asiatique, peut-on conclure que l'Assemblée constituante, aussi franche, aussi loyale dans ses procédés que la nation qu'elle représentait réellement, se soit compromise aussi avec des imposteurs? A qui aurait-elle voulu en imposer? A la nation? C'eût été se faire à elle-même une surprise. Aux rois? Elle savait plus noblement en obtenir le respect qui lut était dû.

Siciliens, de Hollandais, de Russes, de Polonais, d'Allémands, de Suédois, d'Italiens, d'Espagnols, de Brabançons, de Liégeois, d'Avignonais, de Suisses, de Génevois, d'Indiens, d'Arabes, de Caldéens, etc. Un Prussien, M. le baron de Cloots, orateur du comité des Etrangers, porte la parole :

<< Messieurs, le faisceau imposant de tous les drapeaux de l'empire français, qui vont se déployer le 14 juillet dans le Champ-de-Mars, dans ces mêmes lieux où Julien foula tous les préjugés, où Charlemagne s'environna de toutes les vertus; cette solennité civique ne sera pas seulement la fête des Français, mais encore la fête du genre humain. La trompette qui sonna la résurrection d'un grand peuple a retenți aux quatre coins du monde, et les chants d'allégresse d'un chœur de vingt-cinq millions d'hommes libres ont réveillé des peuples ensevelis dans un long esclavage. La sagesse de vos décrets, messieurs, l'union des enfans de la France, ce tableau ravissant donne des soucis amers aux despotes et de justes espérances aux nations asservies.

>> A nous aussi il est venu une grande pensée, et oserionsnous dire qu'elle fera le complément de la grande journée nationale! Un nombre d'étrangers de toutes les contrées de la terre demandent à se ranger au milieu du Champ-deMars, et le bonnet de la liberté qu'ils éleveront avec transport sera le gage de la délivrance prochaine de leurs malheureux concitoyens. Les triomphateurs de Rome se plaisaient à traîner les peuples vaincus liés à leurs chars; et vous, messieurs, par le plus honorable des contrastes, vous verrez dans votre cortége des hommes libres dont la patrie est dans les fers, dont la patrie sera libre un jour par l'influence de votre courage inébranlable et de vos lois philosophiques. Nos vœux et nos hommages seront des liens qui nous attacheront à vos chars de triomphe.

» Jamais ambassade ne fut plus sacrée. Nos lettres de créance ne sont pas tracées sur le parchemin; mais notre mission est gravée en chiffres ineffaçables dans le cœur de tous les hommes, et, grâce aux auteurs de la Déclaration

des Droits, ces chiffres ne seront plus inintelligibles aux tyrans.

» Vous avez reconnu authentiquement, Messieurs, que la souveraineté réside dans le peuple: or, le peuple est partout sous le joug de dictateurs qui se disent souverains en dépit de vos principes. On usurpe la dictature; mais la souveraineté est inviolable, et les ambassadeurs des tyrans ne pourraient honorer votre fête auguste comme la plupart d'entre nous, dont la mission est avouée tacitement par nos compatriotes, par des souverains opprimés.

»

Quelle leçon pour les despotes! Quelle consolation pour les peuples infortunés, quand nous leur apprendrons que la première nation de l'Europe, en rassemblant ses bannières, nous a donné le signal du bonheur de la France et des deux mondes!

>> Nous attendrons, messieurs, dans un respectueux silence, le résultat de vos délibérations sur la pétition que nous diete l'enthousiasme de la liberté universelle. »

Après les applaudissemens provoqués par ce discours, M. le président de l'Assemblée nationale répond à la députation :

<< Messieurs, vous venez prouver aujourd'hui à l'univers entier que les progrès que fait une nation dans la philosophie et dans la connaissance des droits de l'homme appartiennent également à toutes les autres nations. Il est dans les fastes du monde des époques qui influent sur le bonheur ou le malheur de toutes les parties du globe; et la France ose aujourd'hui se flatter que l'exemple qu'elle vient de donner sera suivi par les peuples, qui, sachant apprécier la liberté, apprendront aux monarques que leur véritable grandeur consiste à commander à des hommes libres, et à faire exécuter les lois, et qu'ils ne peuvent être heureux qu'en faisant le bonheur de ceux qui les ont choisis. pour les gouverner.

» Oui, messieurs, la France s'honorera en vous admettant à la fête civique dont l'Assemblée nationale vient d'ordonner les préparatifs; mais, pour prix de ce bienfait, elle

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