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la tribune, où ils traitèrent avec calme le véritable point en délibération.

M. le baron de Menou. (Séance du 13 avril 1790.)

« Messieurs, ce n'est qu'avec un extrême regret que j'ai vu hier s'élever dans l'Assemblée nationale la question qui est aujourd'hui soumise à votre délibération. Je commence par faire hautement ma profession de foi: je respecte profondément la religion catholique, apostolique et romaine, que je crois la seule véritable, et lui suis soumis de cœur et d'esprit. Mais ma conviction en faveur de cette religion, et la forme du culte que je rends à l'Être suprême, sont-elles, peu

vent-elles être l'effet ou le résultat d'un décret ou d'une loi quelconque? Non, sans doute; ma conscience et mon opinion n'appartiennent qu'à moi seul, et je n'ai de compte à en rendre qu'au Dieu que j'adore. Ni les lois, ni les gouvernemens, ni les hommes n'ont sur cet objet aucun empire sur moi; je ne dois troubler les opinions religieuses de personne; personne ne doit troubler les miennes; et ces principes sont solennellement consacrés dans votre déclaration des droits, qui établit entre tous les hommes l'égalité civile, politique et religieuse. Et pourquoi voudrais-je donc faire de cette religion que je respecte la religion dominante de mon pays! Sit les opinions et les consciences ne peuvent être soumises à aucune loi; si tous les hommes sont égaux en droits, puis-je m'arroger celui de faire prévaloir ou mes usages, ou mes opinions, ou mes pratiques religieuses? Un autre homme ne pourrait-il pas me dire ce sont les miennes qui doivent avoir la préférence; c'est ma religion qui doit être la dominante, parce que je la crois meilleure...? Et si tous les deux nous mettions la même opiniâtreté à faire prévaloir nos opinions, ne s'ensuivrait-il pas nécessairement une querelle qui ne finirait que par la mort d'un de nous deux, peut-être par celle de tous deux? Et ce qui n'est qu'une querelle entre deux individus devient une guerre sanglante entre les différentes portions d'un peuple.

» Le mot dominante n'entraîne-t-il pas l'idée d'une supériorité contraire aux principes de l'égalité, qui fait la başe

de notre constitution? Sans doute en France la religion cathiolique est celle de la majorité de la nation; mais n'y eût-il qu'un seul individu qui en professât une différente, il a le même droit à l'exercer, pourvu qu'il ne nuise ni à la religion de la majorité, ni à l'ordre public, ni au maintien de la société de tout le reste il n'en doit compte qu'à Dien. Dans tout Etat où l'on suit les vrais principes de la morale et de la raison il ne peut donc y avoir de religion dominante.

» Qu'on daigne ouvrir les annales de l'histoire, et surtout de celle de France. De quel malheur les guerres de religion n'ont-elles pas accablé ce beau royaume! De quelles atrocités n'ont pas été souillés les règnes de plusieurs de nos rois, depuis François Ier jusqu'à Louis XIV! Je suis loin de les attribuer exclusivement à la religion catholique; toutes ces horreurs sont le résultat inévitable des querelles entre toutes les espèces de religion. Mais détournons les yeux de dessus ces horribles monumens du fanatisme religieux, et couvrons d'un voile cette partie déshonorante de notre histoire.

» Ministres d'un dieu de paix qui ne veut établir son empire que par la douceur et la persuasion, qui vous a donné de si grands exemples de tolérance et de charité, voudriez-vous, pourriez-vous vouloir allumer le flambeau de la discorde? Voudriez-vous que l'Assemblée nationale devint l'instrument du malheur et peut-être de la destruction des peuples? Oh, non! Un zèle mal entendu a pu vous égarer un instant rendus à vous-mêmes, rendus à votre saint ministère, vous chercherez par vos exemples, par vos vertus, à étendre la religion que vous professez; ce ne sera pas par une loi que vous fixerez sa supériorité. Dieu, oui, Dieu lui-même n'a-t-il pas dit que, malgré tous les efforts des hommes, sa sainte religion s'étendrait, prendrait des accroissemens, et finirait par embrasser l'univers entier ? N'a-t-il pas 'dit que les portes de l'enfer ne de l'enfer ne prévaudraient jamais contre elle? Et vous voudriez, par un décret, confirmer ces paroles sublimes du créateur du monde! Si, comme je n'en doute pas, vous êtes persuadés de la vérité de cette religion dont vous êtes les ministres, pouvez-vous craindre qu'elle s'anéantisse? Pouvez-vous croire que les

volontés et les lois de la Providence aient besoin du secours de nos décrets? Ne serait-ce pas au contraire porter atteinte au respect que nous luì devons? Ne serait-ce pas vouloir nous assimiler à Dieu même, et la religion n'est-elle pas indépendante de tous les efforts de l'esprit humain?

» D'ailleurs, dans tout ce qui est du ressort de notre pouvoir, n'avons-nous pas fait, ne faisons-nous pas tous les jours ce qui dépend de nous pour le maintien du culte de la religion catholique? Ne nous occupons-nous pas d'établir et de fixer le nombre des ministres nécessaires au service des autels? Ne travaillons-nous pas à régler les dépenses qu'exigent l'entretien des églises, et toute la hiérarchie ecclésiastique? Voudrait-on, pour jeter la défaveur sur l'Assemblée nationale, persuader au peuple que nous n'avons pas voulu nous occuper de la religion? Loin de moi cette idée. Tout ce qu'il est possible de faire sans inconvéniens, nous le ferons; mais irons - nous, par des décrets inutiles, je dis même nuisibles à la majesté de la religion, mettre les armes à la main du peuple, favoriser les intrigues, les haines, les vengeances, les crimes enfin de toute espèce, qui s'enveloppent du manteau du fanatisme? Savons-nous quand et où s'arrêteraient le carnage et la destruction? Non, ces idées ne sont entrées dans l'esprit d'aucun de ceux qui composent cette Assemblée; mais s'il était possible qu'elles y entrassent, si l'Assemblée nationale rendait le décret qui a été proposé hier, et auquel je serais forcé d'adhérer parce que la majorité fait loi, je ne crains pas de dire qu'en ma qualité de représentant de la nation entière je rends ceux qui auraient voté pour l'admission du décret responsables de tous les malheurs que je prévois, et du sang qui pourrait être versé! »

En finissant ce discours, vivement accueilli de tout le côté gauche et d'une partie du côté droit, M. de Menou proposa un décret d'ordre du jour, motivé sur ce que le respect dû à la religion ne permettait pas qu'elle devînt le sujet d'une délibération. Dom Gerles appuya généreusement la motion du préopinant, en avouant hautement que

la sienne offrait de trop grands dangers, et qu'il y renonçait de tout son cœur. Cet exemple ne put toucher quelques membres du côté droit ; ils luttèrent opiniâtrément contre la majorité, dont le vœu n'en fut pas moins formellement prononcé par le président, qui déclara fermée la discussion quant au fond. Le tumulte en vint au point que l'Assemblée se vit obligée de décréter que MM. de Cazalès et Maury ne seraient point entendus. On mit aux voix les différentes motions d'ajournement motivé qui avaient été proposées; celle de M. le duc de La Rochefoucauld obtint la priorité, et la seconde discussion commença. Les opposans se retranchèrent alors dans les amendemens les plus contradictoires; de là de nouveaux cris, une nouvelle agitation. Parmi çes amendemens nous citerons celui de M. d'Estourmel, dont Mirabeau s'empara avec autant de promptitude que de succès.

M. d'Estourmel.

« J'ai un amendement à proposer; il a pour base le serment que j'ai prononcé, quand on m'a élu député, de présenter les articles mentionnés dans mon cahier. Un de ces articles exige que je demande le maintien des constitutions du Cambrésis, stipulées et jurées par les rois. Le 25 janvier 1677 Louis XIV a juré devant Cambrai qu'il maintiendrait la religion catholique dans cette ville, sans y souffrir le culte non catholique, ni la construction de ses temples. Je propose donc pour amendement ces mots : « En maintenant les constitutions des villes » et des provinces jurées par les rois. »

"

M. le comte de Mirabeau.

Il n'y a aucun doute que sous un règne signalé par la révocation de l'édit de Nantes, et que je ne qualifierai pas, on ait consacré toute sorte d'intolérance; le souvenir de ce que les despotes ont fait ne peut servir de modèle à ce que doivent faire les représentans d'un peuple qui veut être libre; mais puisqu'on se permet des citations historiques dans la matière qui nous occupe, je n'en ferai qu'une. Rappelez-vous, messieurs, que d'ici, de cette même tribune où je parle, je vois

la fenêtre du palais dans lequel des factieux, unissant des intérêts temporcls aux intérêts les plus sacrés de la religion, firent partir de la main d'un roi des Français l'arquebuse fatale qui donna le signal du massacre de la Saint-Barthélemy!!!

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Cette foudroyante apostrophe, accompagnée d'un geste qui semblait encore pousser l'auditoire vers la fatale fenêtre, frappa tous les esprits d'une sorte de stupéfaction; par un mouvement spontané, chacun avait fixé ses regards du côté si énergiquement indiqué.... Après quelques momens de silence, ou plutôt de recueillement, les voûtes de la salle retentirent d'applaudissemens. Mirabeau avait enlevé d'assaut le décret; il fut rendu dans les termes suivans, le 13 avril 1790.

« L'Assemblée nationale, considérant qu'elle n'a et ne peut avoir aucun pouvoir à exercer sur les consciences et sur les opinions religieuses; que la majesté de la religion et le respect profond qui lui est dû ne permettent point qu'elle devienne un sujet de délibération; considérant que l'attachement de l'Assemblée nationale au culte catholique, apostolique et romain, ne saurait être mis en doute au moment où ce culte seul va ́être mis par elle à la première place des dépenses publiques, et où, par un mouvement unanime de respect, elle a exprimé ses sentimens de la seule manière qui puisse convenir à la dignité de la religion et au caractère de l'Assemblée nationale;

» Décrète qu'elle ne peut ni ne doit délibérer sur la motion proposée, et qu'elle va reprendre l'ordre du jour concernant les biens ecclésiastiques. »

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Franklin est mort!.... Ce fut par ces trois mots d'une accablante douleur que Mirabeau, dans la séance du i juin 1790, commanda le silence et les larmes des amis de la liberté. Mirabeau, depuis plusieurs jours, était

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