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dans le dessein de s'y fixer, et m'écrivit de tous ces différens lieux. Il sut, à son passage à Lyon, que M. de Voltaire, qui y étoit en même-tems venoit aussi s'établir à Geneve. Il s'étoit brouillé avec lui au sujet d'une Piece de vers que J. B. Rousseau et l'Abbé Desfontaines lui avoient suggérée. Il craignit que M. de Voltaire n'en eût conservé du ressentiment, et que leur commun séjour dans cette ville ne donnât lieu à quelques désagrémens. Il se détermina donc à faire les avances de la réconciliation, et lui envoya, dans cette vue, avant son départ de Lyon, des vers, que le porteur ne put lui remettre, parce qu'il le trouva parti. M. de Merville les lui adressa à Geneve, mais cette démarche fut sans effet; et quoique M. de Voltaire ne lui eût point répondu, il ne laissa pas, deux ou trois jours après son arrivée à Geneve, de lui faire une visite. Il en fut reçu poliment, mais froidement. De-là, il vint passer huit ou dix jours chez moi. Quand il fut de retour à Geneve, il mit ordre à ses affaires, fit le bilan de ses dettes et de ses meubles. L'un compensoit et acquittoit l'autre. Il mit ce bilan sur sa table, sortit de la maison qu'il habi

toit, le vendredi 23 Mai 1755, n'emporta avec lui qu'une mauvaise capotte; laissa ses habits, son épée et tous ses effets pour le paiement de ses créanciers; écrivit plusieurs lettres, une, entr'autres, à un Magistrat, pour l'exécution de ses volontés ; et il sortit, en disant qu'on ne l'attendît pas pour le lendemain. Quelques jours s'écoulerent sans qu'il reparût. Son hôte en fut surpris. Il m'écrivit pour savoir s'il ne seroit pas revenu chez moi. Vers ce même tems, on trouva un homme mort au bord du lac de Geneve, sur les terres de Savoie. La réunion de ces circonstances fit dire que c'étoit lui. Voilà l'origine du bruit qui se répandit que M. de Merville s'étoit noyé. Sur ces entrefaites, je reçus sa lettre d'adieu. Je m'informai de son sort, sans en rien apprendre de positif. Les uns l'ont dit mort; d'autres ont assuré qu'il s'étoit retiré dans un couvent au pays de Gex, à deux ou trois lieues de Geneve. J'ai appris depuis qu'il étoit mort, et qu'on le savoit par M. le Résident de France, avec qui il avoit été en relation. On a vendu ses effets, comme il l'avoit ordonné, et, par ce moyen, ses dettes ont été acquittées. Vous

voyez dans toute sa conduite la candeur, la droiture et la probité d'un honnête homme, digne assurément d'être regretté; et, en mon particulier, j'ai pris une part bien sincere à ses infortunes. Il avoit fait une Critique des Œuvres de M. de Voltaire, que j'ai parcourue; un autre Ouvrage qu'il appeloit l'Esprit d'Horace, et un troisieme intitulé Les Veillées de Vénus. »

Il paroît que ces trois Ouvrages n'ont point été imprimés. GUYOT DE MERVILLE, outre son Histoire Littéraire de l'Europe, avoit aussi publié un Voyage d'Italie, en deux volumes, et il a laissé, manuscrites, un assez grand nombre de Poésies fugitives, qui, au rapport de son Éditeur, auroient pu former un volume séparé, et dont il n'en a voulu remplir que les trente-six dernieres pages du troisieme volume de son édition, trouvant le reste trop foible pour soutenir la comparaison avec ce qu'il en donnoit et avec la réputation de l'Auteur. Dans ce choix de Poésies, on trouve une Ode, adressée à J. B. Rousseau, une Épître, sur l'honneur, attribuée, par Fontenelle et par beaucoup d'autres personnes à ce grand Poëte et imprimée, sous

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son nom, dans les Amusemens du cœur et de l'esà prit. Il y a encore quelques Allégories, quelques Fables et quelques Épigrammes, qui ont paru à l'Éditeur dignes d'être transmises à la postérité, et qui terminent le Recueil en trois volumes des Comédies de GUYOT DE MERVILLE. Cet Auteur s'étoit nourri de la lecture des meilleurs Poëtes Dramatiques, et l'on voit que Moliere est celui qu'il se proposa le plus pour modele. Il l'imita sur-tout dans la simplicité de ses intrigues et de son style, et ses Pieces ont le mérite d'être aussi agréables à la lecture qu'à la représentation. On peut lui appliquer particuliérement la devise Castigat ridendo mores, que Santeuil fournit pour le rideau du Théatre Italien, auquel GuYor DE MERVILLE Consacra le plus grand nombre de ses Pieces; et l'on pourroit faire ainsi l'épitaphe de ce Poëte Comique :

Il excita le rire, en corrigeant les mœurs.
MERVILLE Soixante ans fut en proie aux douleurs.
Il perdit le courage en perdant l'espérance,
Et termina ses jours pour finir sa souffrance.

CATALOGUE

DES

PIECES

DE GUYOT DE MERVILLE.

LES Mascarades amoureuses, Comédie, en un acte, en vers, avec un Divertissement, représentée, pour la premiere fois, au Théatre Italien, le 4 Août 1736; imprimée, à Paris, la même année, avec une Préface, et, en 1766, dans les Œuvres de l'Auteur, chez la veuve Duchesne, en trois volumes in-12.

« Cette Comédie fut reçue du Public avec beaucoup d'applaudissemens, dit l'Éditeur des Œuvres de Guyot de Merville. C'est la premiere Piece dans le goût de Moliere qui ait paru sur le Théatre Italien. Elle est bien conduite : l'intrigue en est simple et ingénieuse, les caracteres vrais et soutenus, les sentimens bien placés, et elle est écrite sur le ton de la bonne Comédie. »

Voici, à-peu-près, l'extrait que donnent de cette

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