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VIE

DE GUYOT DE MERVILLE.

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MICHEL GUYOT DE MERVILLE, fils d'un Président au Grenier à sel de Versailles, naquit dans cette ville, le premier Février de l'année 1695. Dès que son éducation fut achevée, il se sentit pour les voyages un goût qui ne l'a jamais quitté. Il alla parcourir l'Italie, l'Allemagne l'Angleterre, la Hollande, et se fixa pendant quelque tems à la Haye, où il entreprit d'abord de faire le commerce de la Librairie. Il ne se contenta pas seulement, dès-lors, de vendre des livres ; il voulut encore en composer lui-même, et il publia, en 1726, un Journal, intitulé, Histoire Littéraire de l'Europe, contenant l'extrait des meilleurs livres anciens, et un Catalogue choisi des Ouvrages nouveaux. Quelques années après il revint à Paris, et commença, vers 1736, à travailler pour le Théatre. Il com

posa d'abord trois Tragédies, Achille à Troie ; Manlius Torquatus et Salluste, et il les présenta successivement aux Comédiens François. Ils les refuserent toutes les trois. Ces trois Pieces n'ont jamais été jouées, ni imprimées, et il paroît que les manuscrits en ont été perdus ; au moins, nous n'en trouvons point de traces nulle part, et nous ne connoissons ni le plan, ni la conduite d'aucune. Les refus des Comédiens François le piquerent contre eux. Il fit des Comédies et les donna aux Comédiens Italiens, qui s'empresserent à les recevoir et les jouerent avec succès. Dans la suite, il offrit, cependant, encore d'autres Pieces aux premiers. Il en fut enfin mieux accueilli, et le Public justifia ce bon accueil. GUYOT DE MERVILLE continua à travailler alternativement pour l'une et l'autre de ces deux Troupes, jusques en 1744. Il fit un mariage d'inclination, qui ne lui fut pas avantageux, du côté de la fortune, et contre lequel il eut à combattre et à forcer les préventions et les résistances de sa famille. Ce fut-là la source d'une suite de malheurs et de chagrins qui l'accablerent pendant le reste de sa vie, dont on ne peut même gueres douter qu'ils n'aient, de beaucoup, abrégé la durée. Ce n'est pas qu'il

eût fait un mauvais choix; mais la douleur de n'avoir pu, par une aisance honnête, rendre heureuse son épouse, à laquelle il survécut, et une fille qu'il avoit eue d'elle, empoisonna ses dernieres années, et le conduisit au tombeau. Il a peint son épouse, sous le nom de Clarice, dans la meilleure de ses Comédies, Le Consentement forcé, en donnant pour fonds à cette Piece sa propre histoire; et assurément il y a bien peu de femmes qui ne fussent très-glorieuses d'être le modele vrai de cette Clarice.

Vers l'année 1750, GUYOT DE MERVILLE quitta encore la France, et alla à Geneve, où il se lia avec un Gentilhomme Suisse, dont il devint le meilleur ami. Nous allons rapporter une lettre de ce Gentilhomme, qui donne la relation des dernieres années de la vie de GUYOT DE MERVILLE, dans la Préface historique des Œuvres duquel l'Éditeur l'a insérée, comme lui ayant été adressée par le Gentilhomme Suisse, qu'il ne nomme pas.

« M. de Merville vint en Suisse vers l'an 1750 ou 1751. Le hasard me procura sa connoissance. Il me fit une visite ici dans ma campagne. Il y re

vint ensuite, plusieurs fois, passer quelques jours et quelques semaines. Nos liaisons se formerent insensiblement. Son esprit, ses talens, son caractere, ses malheurs, m'affecterent. Je m'apperçus qu'il avoit dans l'ame de cuisans chagrins, qui l'occupoient beaucoup, quoiqu'il en parlât assez peu. Sa femme et une fille, qu'il aimoit très-tendrement, en étoient les principaux objets. Il en avoit fait le sujet d'une de ses Comédies, qu'il ne lisoit jamais sans répandre des larmes. C'est Le Consentement forcé. Sa fortune, sans doute, dérangée, y contribuoit. L'interruption des fonctions des Cours de Justice de Paris, lors des troubles, mettoit obstacle à la perception de ses petites rentes. Les Comédiens l'avoient traversé pour la représentation de plusieurs Picces de Théatre, et, par-là, lui avoient ôté ses ressources. Une gouvernante infidelle avoit abusé de sa confiance; et ces revers réunis formoient un tout qui ne le mettoit point dans une assiette tranquille. Agité et inquiet à la suite de tant de traverses, il chercha à faire diversion à son ennui. Il alla à Francfort, en Hollande, en Provence, à Lyon, revint enfin à Geneve,

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