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Que de tout l'univers je n'estime que lui.

Cléon a tous les tons, tous les esprits ensemble:
Il est toujours nouveau. Tout le reste me semble
D'une misere affreuse, ennuyeux à mourir,
Et je rougis des gens qu'on ne voyoit souffrir!

LISETTE.

Vous avez bien raison. Quand on a l'avantage
D'avoir mieux rencontré, le parti le plus sage
Est de s'y tenir.... Mais....

FLORISE.

Quoi ?

LISETT I.

Rien.

FLORIS E.

Je veux savoir....

LISETTE.

Non.

FLORISE.

Je l'exige.

LISETTE.

Eh! bien.... J'ai cru m'appercevoir

Qu'il n'avoit pas pour vous tout le goût qu'il vous

marque.

Il me parle souvent, et souvent je remarque
Qu'il a, quand je vous loue, un air embarrassé;
Et sur certains discours si je l'avois poussé....
FLORISE, l'interrompant.

Chimere!... Il faut pourtant éclaircir ce nuage.
Il est vrai que Chloé me donne quelque ombrage,
Et que c'est à dessein de l'éloigner de lui

Qu'à la mettre au couvent je m'apprête aujourd'hui? Toi, fais causer Cléon, et que je puisse apprendre.... LISETTE, l'interrompant

Je voudrois qu'en secret vous vinssiez nous entendre; Vous ne m'en croiriez pas.

FLORISE.

Quelle folie?

LISETTE.

Oh! non.

Il faut s'aider de tout dans un juste soupçon.
Si ce n'est pas pour vous, que ce soit pour moi même.
J'ai l'esprit défiant. Vous voulez que je l'aime,

Et je ne puis l'aimer, comme je le prétends,

Que quand nous aurons fait l'épreuve où je l'attends. FLORISE.

Mais comment ferions-nous ?

LISETTE.

Ah! rien n'est plus facile.
C'est avec moi tantôt que vous verrez son style.
Faux ou vrai, bien ou mal, il s'expliquera-là....
Vous avez vu souvent qu'au moment où l'on va
Se promener ensemble, au bois, à la prairie,
Cléon ne part jamais avec la compagnie ?
Il reste à me parler, à me questionner;
(Montrant un cabinet voisin.)

Et de ce cabinet, vous pourriez vous donner
Le plaisir de l'entendre appuyer, ou détruire....
FLORISE, l'interrompant.

Tout ce que tu voudras. Je ne veux que m'instruire
Si Cléon pour ma fille a le goût que je croi;
Mais je ne puis penser qu'il parle mal de moi.

LISETTE.

Eh bien, c'est de ma part une galanterie :
L'éloge des absens se fait sans flatterie....

Il faudra que sur vous, dans tout cet entretien,
Je dise un peu de mal, dont je ne pense rien,
Pour lui faire beau jeu.

FLORIS E.

Je te le passe encore.

LISETTE.

S'il trompe mon attente, oh! ma foi! je l'adore! FLORISE, voyant venir Ariste et Valere.

Encor Monsieur Ariste avec son protégé !

Je voudrois bien tous deux qu'ils prissent leur congé! Mais ils ne sentent rien.... Laissons-ics.

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ARIST E.

Réglez votre conduite

Sur ce que je vous dis, et fiez-vous à moi

Du soin de mettre fin au trouble où je vous voi:
Soyez-en sûr. J'ai fait demander à Géronte

Un moment d'entretien, et c'est sur quoi je compte.

Je

Je vais de l'amitié joindre l'autorité
Au ton de la franchise et de la vérité,

Et nous éclaircirons ce qui nous embarrasse.
VALERE.

Mais il a, par malheur, fort peu d'esprit.

Le connoissez-vous?

ARIST E.

De grace,

VALERE.

Non; mais je vois ce qu'il est.

D'ailleurs, ne juge-t-on que ceux que l'on connoît?
La conversation deviendroit fort stérile!

J'en sais assez pour voir que c'est un imbécille.
ARISTE,

Vous retombez encore, après m'avoir promis
D'éloigner de votre air et de tous vos avis
Cette méchanceté qui vous est étrangere.
Eh! pourquoi s'opposer à son bon caractere?
Tenez, devant vos gens je n'ai pu librement
Vous parler de Cléon. Il faut absolument
Rompre.

VALERE.

Que je me donne un pareil ridicule?

Rompre avec un ami!

ARIST E.

Que vous être crédule!

On entre dans le monde, on en est enivré:
Au plus frivole accueil on se croit adoré.
On prend pour des amis de simples connoissances;
Et que de repentirs suivent ces imprudences!...

I

Il faut, pour votre honneur, que vous y renonciez.
On vous juge d'abord par ceux que vous voyez,
Ce préjugé s'étend sur votre vie entiere,

Et c'est des premiers pas que dépend la carriere.
Débuter par ne voir qu'un homme diffamé!

VALERE.

Je vous réponds, Monsieur, qu'il est très-estimé :
Il a les ennemis que nous fait le mérite.
D'ailleurs, on le consulte, on l'écoute, on le cite.
Aux Spectacles, sur-tout, il faut voir le crédit
De ses décisions, le poids de ce qu'il dit:
Il faut l'entendre après une piece nouvelle.
Il regne; on l'environne: il prononce sur elle,
Et son autorité, malgré ies protecteurs,

Pulvérise l'ouvrage, et les admirateurs.

ARISTE.

Mais vous le condamnez, en croyant le défendre.
Est-ce bien-là l'emploi qu'un bon esprit doit prendre?
L'orateur des Foyers et des mauvais propos!
Quels titres sont les siens? l'insolence, et des mots,
Les applaudissemens, le respect idolâtre
D'un essaim d'étourdis, chenilles du Théatre,
Et qui, venant toujours grossir le tribunal
Du bavard imposant qui dit le plus de mal,
Vont semer, d'après lui, l'ignoble parodie
Sur les fruits des talens et les dons du génie.
Cette audace, d'ailleurs, cette présomption,
Qui prétend tout ranger à sa décision,
Est d'un fat ignorant la marque la plus sûre.
L'homme éclairé suspend l'éloge et la censure i

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