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Cela fait contre lui la plus belle matiere!
Des biens à répéter, des partages à faire:

Vous voyez que voilà dequoi le mettre aux champs,
En lui faisant prévoir un procès de dix ans ?
S'il va donc s'obstiner, malgré vos répugnances,
A l'établissement qui rompt nos espérances,
Partons d'ici; plaidez. Une assignation

Détruira le projet de la donation.

Il ne peut pas souffrir d'être seul. Vous partie,
On ne me verra point lui tenir compagnie;
Et quant à vos procès, ou vous les gagnerez,
Ou vous plaiderez tant que vous l'acheverez.

FLORIS E.

Contre les préjugés dont votre ame est exempte,
La mienne, par malheur, n'est pas aussi puissante;
Et je vous avoû ai mon imbécillité:

Je n'irois pas sans peine à cette extrémité.

Il m'a toujours aimée, et j'aimois à lui plaire;.
Et soit cette habitude, ou quelque autre chimere,
Je ne puis me résoudre à le désespérer.
Mais votre idée, au moins, sur lui peut opérer.
Dites-lui qu'avec vous, paroissant fort aigrie,
J'ai parlé de procès, de biens, de brouillerie,
De départ, et qu'enfin, s'il me poussoit à bout,
Vous avez entrevû que je suis prête à tout.

CLÉON.

S'il s'obstine pourtant, quoi qu'on lui puisse dire.... On pourroit consulter pour le faire interdire,

Ne le laisser jouir que d'une pension....

Mon Procureur fera cette expédition.

C'est un homme admirable, et qui par son adresse
Auroit fait renfermer les sept Sages de Grece,
S'il eût plaidé contre eux! S'il est quelque moyen
De vous faire passer ses droits et tout son bien,
L'affaire est immanquable. Il ne faut qu'une lettre
De moi....

FLORISE, l'interrompant.

Non, différez.... Je crains de me commettre. Dites-lui seulement, s'il ne veut point céder, Que je suis, malgré vous, résolue à plaider. De l'humeur dont il est, je crois être bien sûre Que sans mon agrément il craindra de conclure; Et, pour me ramener ne négligeant plus rien, Vous le verrez finir par m'assurer son bien. Au reste, vous savez pourquoi je le desire?

CLÉON.

Vous connoissez aussi le motif qui m'inspire,
Madame? Ce n'est point du bien que je prétends,
Et mon goût seul pour vous fait mes engagemens.
Des anfans du commun j'ignore le langage,
Et jamais la fadeur ne fut à mon usage.
Mais je vous le redis, tout naturellement,
Votre genre d'esprit me plaît infiniment;
Et je ne sais que vous avec qui j'aie envie
De penser, de causer et de passer ma vie.
C'est un goût décidé,

FLORIS B.

Puis-je m'en assurer?

Et, loin de tout, ici pourrez-vous demeurer ?
Je ne sais, répandu, fêté comme vous l'êtes

Je vois plus d'un obstacle au projet que vous faites. Peut-être votre goût vous a séduit d'abord;

Mais tout Paris....

CLEON, l'interrompant.

Paris? il m'ennuie à la mort; Et je ne vous fais pas un fort grand sacrifice En m'éloignant d'un monde à qui je rends justice! Tout ce qu'on est forcé d'y voir et d'endurer Passe bien l'agrément qu'on peut y rencontrer! Trouver à chaque pas des gens insupportables, Des flatteurs, des valets, des plaisans détestables, Des jeunes gens d'un ton, d'une stupidité!... Des femmes d'un caprice, et d'une fausseté !... Des prétendus esprits souffrir la suffisance, Et la grosse gaîté de l'épaisse opulence; Tant de petits talens, où je n'ai pas de foi; Des réputations on ne sait pas pourquoi; Des protégés si bas! des protecteurs si bêtes!... Des ouvrages vantés qui n'ont ni pieds, ni têtes: Faire des soupers fins où l'on périt d'ennui; Veiller, par air; enfin, se tuer pour autrui ! Franchement, des plaisirs, des biens de cette sorte. Ne font pas, quand on pense, une chaîne bien forte; Et, pour vous parler vrai, je trouve plus sensé. Un homme sans proicts, dans sa Terre fixé, Qui n'est ni complaisant, ni valet de personne, Que tous ces gens brillans qu'on mange, qu'on fil

ponne,

Qui pour vivre à Paris avec l'air d'être heureux, Au fonds, n'y sont pas moins ennuyés qu'ennuyeux.

FLORIS E,

J'en reconnois grand nombre à ce portrait fidele.

CLÉON.

Paris me fait pitié, lorsque je me rapelle
Tant d'illustres faquins, d'insectes freluquets !...
FLORISE, l'interrompant.

Votre estime, je crois, n'a pas fait plus de frais
Pour les femmes ?

CLEON.

Pour vous, je n'ai point de mysteres ;
Et vous verrez ma liste avec les caracteres.
J'aime l'ordre, et je garde une collection
De lettres, dont je puis faire une édition.
Vous ne vous doutiez pas qu'on pût avoir Lesbie?
Vous verrez de sa prose. Il me vient une envie,
Qui peut nous réjouir dans ces lieux écartés,
Et désoler là-bas bien des sociétés!

Je suis tenté, parbleu! d'écrire mes Mémoires.
J'ai des traits merveilleux mille bonnes histoires
Qu'on veut cacher!

FLORIS E.

Cela sera délicieux!

CLÉON.

J'y ferai des portraits qui sauteront aux yeux!
Il m'en vient déja vingt qui retiennent des places.
Vous y verrez Mélite, avec toutes ses graces;

Et ce que j'en dirai tempérera l'amour
De nos petits Messieurs qui rodent à l'entour.
Sur l'aigre Céliante et la fade Uranic
Je compte bien aussi passer ma fantaisie,

Pour le petit Damis et Monsieur Dorilas,

Et certain plat Seigneur, l'Automate Alcidas,
Qui, glorieux et bas, se croit un personnage,
Tant d'autres importans, esprits du même étage;
Oh! fiez-vous à moi, je veux les célébrer,

Si bien que de six mois ils n'osent se montrer !
Ce n'est pas sur leurs moeurs que je veux qu'on en

cause.

Un vice, un déshonneur sont assez peu de chose;
Tout cela dans le monde est oublié bientôt:
Un ridicule reste, et c'est ce qu'il leur faut.
Qu'en dites-vous? Cela peut faire un bruit du diable!
Une brochure unique! un ouvrage admirable!
Bien scandaleux! bien bon !... Le style n'y fait rien:
Pourvu qu'il soit méchant, il sera toujours bien!

FLORIS E.

L'idée est excellente, et la vengeance est sûre!
Je vous prîrai d'y joindre, avec quelque aventure,
Une Madame Orphise, à qui j'en dois d'ailleurs,
Et qui mérite bien quelques bonnes noirceurs.
Quoiqu'elle soit affreuse, elle se croit jolie,
Et de l'humilier j'ai la plus grande envie !
Je voudrois que déja votre ouvrage fût fait!

CLÉON.

On peut toujours, à compre, envoyer son portrait, Et dans trois jours d'ici désespérer la Belle.

Eh! comment?

FLORISE, .

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