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Pour la conclusion, on n'attend que Valere.
Il a dû revenir de Paris ces jours-ci,

Et ce soir, au plus

tard, je les attends ici.

Fort bien !

LISETTE.

GÉRONTE.

Tonjours plaider m'ennuie et me ruine.

Des Terres du futur, cette Terre est voisine;
Et, confondant nos droits, je finis des procès,
Qui sans cette union ne finiroient jamais.

LISETTE.

Rien n'est plus convenable !

GERONTE.

Et puis, d'ailleurs, ma niece Ne me dédira point, je crois, de ma promesse, Ni Valere non plus. Avant nos différens, Ils se voyoient beaucoup. N'étant encor qu'enfans Ils s'aimoient; et souvent cet instinct de l'enfance Devient un sentiment quand la raison commence. Depuis près de six ans qu'il demeure à Paris Ils ne se sont pas vus; mais je serois surpris Si par ses agrémens et son bon caractere Chloé ne retrouvoit tout le goût de Valere,

LISETTE.

Cela n'est pas douteux.

GERONTE.

Encore une raison,

Pour finir. J'aime fort ma Terre, ma maison.
Leur embellissement fit toujours mon étude.
On n'est pas immortel. J'ai quelque inquiétude

Sur ce qu'après ma mort tout ceci deviendra.
Je voudrois mettre au fait celui qui me suivra,
Lui laisser mes projets. J'ai vu naître Valere;
J'aurai, pour le former, l'autorité d'un pere.

LISETTE.

Rien de mieux!.... Mais....

GERONTE, l'interrompant.

Quoi! mais?... J'aime qu'on parle net.

LISETTE.

Tout cela scroit beau; mais cela n'est pas fait.

GERONTE.

Eh! pourquoi donc ?

LISETTE.

Pourquoi? Pour une bagatelle,

Qui fera tout manquer.... Madame y consent-elle ? Si j'ai bien entendu, ce n'est pas son avis.

GRONTI,

Qu'importe ? ses conseils ne seront pas suivis.

LISETTE..

Ah! vous êtes bien fort; mais c'est loin de Florise.
Au fonds, elle vous mene, en vous semblant soumise ;
Et, par malheur pour vous et toute la maison,

Elle n'a pour conseil que ce Monsieur Cléon,

Un mauvais cœur, un traître, enfin un homme hor

rible,

Et pour qui votre goût m'est incompréhensible.

GERONTE.

Ah! te voilà toujours! On ne sait pas pourquoi

Il te déplaît si fort.

LISETTE.

Oh! je le sais bien, moi.

Ma maîtresse autrefois me traitoit à merveille,
Et ne peut me souffrir depuis qu'il la conseille.
Il croit que de ses tours je ne soupçonne rien:
Je ne suis point ingrate, et je lui rendrai bien !
Je vous l'ai déja dit, vous n'en voulez rien croire,
C'est l'esprit le plus faux et l'ame la plus noire;
Et je ne vois que trop que ce qu'on m'en a dit....
GÉRONTE, l'interrompant.

Toujours la calomnie en veut aux gens d'esprit.
Quoi donc ! parce qu'il sait saisir le ridicule,
Et qu'il dit tout le mal qu'un flatteur dissimule,
On le prétend méchant ? C'est qu'il est naturel.
Au fonds, c'est un bon cœur, un homme essentiel.
LISETTE.

Mais je ne parle pas seulement de son style.
S'il n'avoit de mauvais que le fiel qu'il distile,
Ce seroit peu de chose; et tous les médisans
Ne nuisent pas beaucoup chez les honnêtes gens.
Je parle de ce goût de troubler, de détruire,
Du talent de brouiller et du plaisir de nuire.
Semer l'aigreur, la haine et la division,
Faire du mal, enfin, voilà votre Cléon,
Voilà le beau portrait qu'on m'a fait de son ame,
Dans le dernier voyage où j'ai suivi Madame.
Dans votre Terre, ici fixé, depuis long-tems,
Vous ignorez Paris, et ce qu'on dit des gens.
Moi, le voyant là-bas s'établir chez Florise,
It lui trouvant un ton suspect à ma franchise,

Je m'informai de l'homme, et ce qu'on m'en a dit Est le tableau parfait du plus méchant esprit :

C'est un enchaînement de tours, d'horreurs secrettes, De gens qu'il a brouillés, de noirceurs qu'il a faites, Enfin, un caractere effroyable, odieux !

GERONTE.

Fables que tout cela! propos des envieux !
Je le connois; je l'aime, et je lui rends justice.
Chez moi, j'aime qu'on rie, et qu'on me divertisse:
Il y réussit mieux que tout ce que je voi.
D'ailleurs, il est toujours de même avis que moi,
Preuve que nos esprits étoient faits l'un pour l'autre,
Et qu'une sympathie, un goût comme le nôtre
Sont pour durer toujours; et puis, j'aime ma sœur,
Et quiconque lui plaît convient à mon humeur.
Elle n'amene ici que bonne compagnie,

Et, grace à ses amis, jamais je ne m'ennuie.
Quoi si Cléon étoit un homme décrié,

L'aurois-je ici reçu? L'auroit-elle prié ?

Mais quand il scroit tel qu'on te l'a voulu peindre, Faux, dangereux, méchant; moi, qu'en aurois-je à craindre ?

Isolé dans mes bois, loin des sociétés,

Que me font les discours et les méchancetés ?

LISETTE.

Je ne jurerois pas qu'en attendant pratique,
Il ne divisât tout dans votre domestique.
Madame me paroît déja d'un autre avis
Sur l'établissement que vous avez promis,
Et d'une.... Mais enfin je me serai méprise;

Vous

Vous en êtes content, Madame en est éprise.

Je croirois même assez....

GERONTE, l'interrompant.

Quoi qu'elle aime Cléon?

LISETTE.

C'est vous qui l'avez dit ; et c'est avec raison
Que je le pense, moi j'en ai la preuve sûre.
Si vous me permettez de parler sans' figure,.
J'ai déja vu Madame avoir quelques amans:
Elle en a toujours pris l'humeur, les sentimens,
Le différent esprit. Tour-à-tour, je l'ai vue
Ou folle, ou de bon sens, sauvage, ou répandue:
Six mois dans la Morale, et six dans les Romans,
Selon l'amant du jour, et la couleur du tems;
Ne pensant,
ne voulant, n'étant rien d'elle-même,
Et n'ayant d'ame enfin que par celui qu'elle aime.
Or, comme je la vois, de bonne qu'elle étoit,
N'avoir qu'un ton méchant, ton qu'elle détestoit,
Je conclus que Cléon est assez bien chez elle.
Autre conclusion, toute aussi naturelle,
Elle en prendra conseil; vous en croirez le sien
Pour notre mariage, et nous ne tenons rien.
GERONTE.

Ah! je voudrois le voir !.... Corbleu ! tu vas connoître
Si je ne suis qu'un sot, ou si je suis le maître.
J'en vais dire deux mots à ma très-chere sœur,
Et la faire expliquer !.... J'ai déja sur le cœur
Qu'elle s'est peu prêtée à bien traiter Ariste....
Tu m'y fais réfléchir. Outre un accueil fort triste,
Elle m'avoit tout l'air de se moquer de lui,

B

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