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dans l'illusion du sentiment et du cri du cœur que j'ai éprouvée, aux différentes représentations que j'en ai vues, toujours avec une gradation de satisfaction délicieuse. La Comédie seroit bientôt l'école des mœurs, si l'on travailloit ainsi à ridiculiser tous les vices. Quelles leçons dans celle-ci pour un jeune homme qui entre dans le monde ! et quel meilleur antidote pour lui contre l'air empoisonné qu'y répandent ces agréables scélérats, dont la morale ne flatte que trop nos penchans vicieux, notre malignité innée et cette aversion de la gêne et de la contrainte, si pénibles à la jeunesse, et qu'exigent, cependant, la bienséance et les devoirs! Un nouveau venu du Collége, ou de sa Province, voit avec transport, et presqu'avec adoration, la distinction et l'autorité de ces hardis Professeurs de paradoxes dangereux; il rougit, en secret, de ses scrupules et de sa timidité à les adopter. Il ne doute plus que ce ne soit-là l'unique voie pour percer et s'élever au-dessus du vulgaire, et échapper au titre de sot qu'il leur entend prodiguer à tous les bons cœurs. Qu'il voie cette Piece, il sera bientôt détrompé de ces enchanteurs si méprisables,

et elle le forcera de détester ce qu'il avoit adoré. L'Auteur s'est couvert de gloire par les coups qu'il a osé porter, avec autant d'adresse que de vigueur, aux ridicules du tems et à ces adversaires déplorables des douceurs que l'on goûte dans une société d'amis pleins de bonté et de franchise, et qu'il qualifie, dans le dernier vers de sa Comédie, de bonnes gens, qualités que les seuls bons cœurs sont dignes de sentir et d'estimer. Il paroît enfin, dans toute sa Piece, un moraliste neuf et profitable, sans être, nulle part, ni bas, ni fastidieux, ni froid. Il nous avoit parfaitement convaincus, dans ses précédens Ou vrages, de la beauté de son génie ; mais en nous exposant les noirceurs de son méchant et en nous en faisant abhorrer le caractere, il nous a persuadés de l'excellence du sien et de celle de son cœur. Heureux, et très-heureux de réunir en lui deux trésors si rares et presqu'incompatibles, de tous les tems, dans un même sujet, mais dont celui de la droiture du cœur doit toujours avoir l'avantage! Leur possession, dans un si haut degré, rassemble tous les genres de félicité de notre condition mortelle.... &c. >>>

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a langui,

On suspendit les représentations du Méchanı pendant l'été, après la vingt-quatrieme, et on en donna une reprise dans le mois de Décembre de la même année, avec un succès aussi grand qu'à son début. « Ce second succès étoit d'autant plus flatteur, que ces reprises sont la pierre de touche du mérite d'une Piece, observe l'Auteur du Mercure, premier et second volumes de Décembre 1747. Il est arrivé quelquefois que tel Ouvrage, qui auroit eu le plus brillant succès, s'il eût été joué sans interruption parce qu'on en avoit interrompu les représentations. Le Public, refroidi sur sa premiere impression, examine alors avec une attention plus rassise, et casse souvent l'arrêt favorable prononcé dans la chaleur du premier enthousiasme. C'est cette revision qui met seule le sceau à la réputation des excellens Ouvrages, au nombre desquels on peut assurer sans témérité, que sera toujours compté la Comédie du Méchant.... En prodiguant les plus grands éloges à cet Ouvrage, nous ne dirions rien que le Public n'ait déja dit, et nous n'apprendrions rien à personne. Les caracteres de Cléon et d'Ariste, de Géronte

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et de Florise sont de la plus grande vérité. A la force de ces caracteres l'Auteur a joint une peinture fidelle des mœurs de ce siecle; ce qui doit être aussi l'objet de la Comédie et en rend les ressources inépuisables, les usages, et, par conséquent, les ridicules variant à chaque géné ration, et peut-être plus souvent. Les hommes sont toujours les mêmes quant au fonds, mais l'extérieur varie dans tous les âges. Un Auteur qui veut plaire en même-tems à son siecle et à la postérité, doit étudier et peindre le fonds de la nature tel qu'il est chez tous les hommes et dans tous les siecles, et l'extérieur distinctif du tems où il travaille. Ainsi nous admirons encore Les Précieuses ridicules, de Moliere, Les Femmes Savantes, et tant d'autres de ses Pieces, et la vérité de l'imitation nous frappe, quoique nous n'ayions plus devant les yeux les modeles sur lesquels le Poëte a travaillé. Cette constance dans les succès d'Ouvrages qui ont d'abord été appréciés par la comparaison que l'on faisoit de l'imitation avec les modeles, ne peut venir que de ce que le Poëte a non-seulement peint l'extérieur propre à ces modeles, mais qu'il a saisi les

endroits par où cet extérieur tenoit, s'il est permis de parler ainsi, au fonds de caractere, qui est le même dans tous les tems. C'est ce qu'a fait l'Auteur du Méchant. Les peintures qu'il a faites des mœurs de ce siecle paroîtront vraies dans tous les âges, même lorsqu'on aura absolument changé de façon de vivre.... On trouve dans la scene troisieme du second acte du Méchant une description de Paris telle que Moliere l'eût faite lui-même, s'il avoit vécu de nos jours.... Au reste, ce n'est pas la peine de dire que cette Piece, dont plusieurs vers ont passé en proverbes, est admirablement écrite; on s'y attend assez sur le nom de l'Auteur, étant si accoutumé à cet éloge qu'on l'a réduit à n'en être plus flatté. »

L'Auteur de la Vie de Gresset, publiée en 1779, dit que « dès la premiere représentation du Méchant, quelques personnes, qui auroient dû servir de principal personnage à cette Piece, affecterent d'y reconnoître tout Paris. Gresset fut alors assez mal traité. On se déchaîna contre cette Comédie, qui sera, dans tous les tems, une production excellente, un modele de versi

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