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C'est un état qu'en vain vous voudriez combattre.
Insensible aux plaisirs, dont j'étois idolâtre,
Je ne les connois plus Je ne trouve aujourd'hui
Dans ces mêmes plaisirs que le vuide et l'ennui.
Cette uniformité des scenes de la vie

Ne peut plus réveiller mon ame appesantie.
Ce cercle d'embarras, d'intrigues, de projets
Ne doit nous ramener que les mêmes objets;
Et, par l'expérience instruit à les connoître,
Je reste sans desirs sur tout ce qui doit être.
Dans le brillant fracas où j'ai long-tems vécu,
J'ai tout vu, tout goûté, tout revu, tout connu,
J'ai rempli, pour ma part, ce théatre frivole.
Si chacun n'y restoit que le tems de son rôle,
Tout seroit à sa place, et l'on ne verroit pas
Tant de gens éternels, dont le Public est las!

Le monde, usé pour moi, n'a plus rien qui me touche;
Et c'est pour lui sauver un rêveur si farouche
Qu'étranger désormais à la société

Je viens de mes déserts chercher l'obscurité.

HAMILTON.

Quelle fausse raison, cher ami, vous égare
Jusqu'à croire défendre un projet si bizarre ?
Si vous avez goûté tous les biens des humains,
Si vous les connoissez, le choix est dans vos mains,
Bornez-vous aux plus vrais, et laissez les chimeres
Dont le repentir suit les lueurs passageres.
Quel fut votre bonheur ! à présent sans desirs,
Vous avez, dites-vous, connu tous les plaisirs ?
Eh! quoi, n'en est-il point au-dessus de l'ivresse.

Où le monde a plongé notre aveugle jeunesse ?
Ce tourbillon brillant des folles passions,
Cette scene d'erreurs, d'excès, d'illusions

Du bonheur des mortels bornent-ils donc la sphere?
La raison à nos vœux ouvre une autre carriere.
Croyez-moi, cher ami, nous n'avons pas vécu;
Employer ses talens, son tems et sa vertu,
Servir au bien public, illustrer sa patrie,
Penser, enfin, c'est-là que commence la vie.
Voilà les vrais plaisirs, dignes de tous nos vœux,
La volupté, par qui l'honnête-homme est heureux!
Notre ame pour ces biens est toute neuve encore....
Vous ne m'écoutez pas ! Quel chagrin vous dévore?
SIDNEY.

Je connois la raison: votre voix me l'apprend;
Mais que peut-elle, enfin, contre le sentiment ?
Marchez dans la carriere, où j'aurois dû vous suivre,
Pour moi, je perds déja l'espérance de vivre.
En vain à mes regards vous offrez le tableau
D'une nouvelle vie, et d'un bonheur nouveau.
Tout vrai bonheur dépend de notre façon d'être :
Mon état désormais est de n'en plus connoître.
Privé du sentiment, et mort à tout plaisir,
Mon cœur anéanti n'est plus fait pour jouir.
HAMILTON.

Connoissez votre erreur. Cet état méprisable,

Ce néant déshonore une ame raisonnable.

Quand il vous faudroit fuir le monde et l'embarras,
L'homme qui sait penser ne se suffit-il pas ?

Dans cet ennui de tout, dans ce dégoût extrême,

Ne vous reste-t-il point à jouir de vous-même ?
Pour vivre avec douceur, cher ami, croyez-moi,
Le grand art est d'apprendre à bien vivre avec soi,
Heureux de se trouver, et digne de se plaire!
Je ne conseille point une retraite entiere:
Partagez votre goût et votre liberté
Entre la solitude et la société.

Des jours passés ici dans une paix profonde
Vous feront souhaiter le commerce du monde.
L'absence, le besoin vous rendront des desirs;
Il faut un intervalle, un repos aux plaisirs.
Leur nombre accable, enfin. Le sentiment s'épuise,
Et l'on doit se priver, pour qu'il se reproduise.
Vous en êtes l'exemple, et tout votre malheur
N'est que la lassitude et l'abus du bonheur.
Ne me redites pas que vous n'êtes point maître
De ces noirs sentimens. On est ce qu'on veut être.
Souverain de son cœur, l'homme fait son état,
Et rien sans son avcu ne l'éleve ou l'abat.
Mais, enfin, parlez-moi sans fard, sans défiances.
Quelque dérangement, causé par vos dépenses,
N'est-il point le sujet de ces secrets dégoûts?
Je puis tout réparer; ma fortune est à vous.

SIDNEY.

Je sens, comme je dois, ces procédés sinceres ; Mais nul désordre, ami, n'a troublé mes affaires. Vous verrez, quelque jour, que, du côté du bien, l'étois fort en repos, et que je ne dois rien.

HAMILTON.

Ami, vous m'affligez; votre état m'inquiete:

Ce sinistre discours....

SIDNEY, l'interrompant.

Peut-être, la retraite

Saura me délivrer de tous ces sentimens.

Il faut, pour m'y fixer, quelques arrangemens.
Ma lettre vous instruit. Suivez mon espérance.
Tout mon repos dépend de votre diligence...
Au reste, en attendant que j'aille au premier jour
De ce nouveau bienfait remercier la Cour >
Yous m'y justifîrez. D'une pareille absence
Ma mauvaise santé sauvera l'indécence.
Après ces soins remplis, je vous attends ici.
Partez, si vous aimez un malheureux ami!

(Il sort.)

SCENE III.

HAMILTON, seul.

CE ton mystérieux, cette étrange conduite

Ne m'assurent que trop du transport qui l'agite! Il cache sûrement quelque dessein cruel,

Et sa tranquillité n'a point l'air naturel!....

SCENE I V.

HENRI, HAMILTON.

HENRI.

On m'a dit votre nom à la poste prochaine,

Monsieur; d'aller plus loin je n'ons pas pris la peine. Notre maître vers vous nous envoyoit d'ici ; (Lui présentant une lettre.)

Mais, puisque vous voilà, voici la lettre aussi.

HAMILTON, prenant la lettre.

Donne. Cela suffit; tu peux aller lui dire

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e Recevez, cher ami, mes éternels adieux....
>> Vous savez à quel point j'adorai Rosalie,
>> Et que j'osai trahir un amour vertueux ?
» J'ignore son destin. Si la rigueur des Cieux

Permet qu'on la retrouve et conserve sa vie,

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