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Mais lui, comme il n'est plus qu'une froide statue, tout nettement, refusé l'entrevue.

Il a,

Moi, qui ne suis point fait à de telles rigueurs,
Je prétends m'en charger; j'en ferai les honneurs.
Je les prends pour mon compte, et je sais trop

monde,

Si le cœur vous en dit....

HAMILTON, l'interrompant.

Va, fais qu'on te réponde;

Instruis-toi de leurs noms.... Mais est-il averti?

DUMON T.

Oui, j'ai fait annoncer que vous êtes ici.

Il promene ici-près sa rêverie austere.
Vous l'avez vu là bas changer de caractere,

De ses meilleurs amis éviter l'entretien,

Tout fuir, jusqu'aux plaisirs ? Tout cela n'étoit rien! HAMILTON..

Mais que peut-il avoir? Quelle seroit la cause....

DUMONT, l'interrompant.

Il seroit trop heureux s'il avoit quelque chose !
Mais, ma foi! je le crois affligé sans objet.

HAMILTON.

De ce voyage, au moins, dit-il quelque sujet ?
DUMON T.

Bon parle-t-il encor! se taire est sa folie.
Ce qu'il vient d'ordonner, sur le champ il l'oublie.
Il m'avoit chassé, moi, malgré notre amitié,
Et j'enragcois très-fort d'être congédié ;
Quelques momens après je sers à l'ordinaire :
Il dîne, sans me dire un mot de notre affaire.

Voilà ce qui m'afflige, et non sans fondement!
Je l'aimerois bien mieux brutal, extravagant;
Je lui croirois la fievre, et, puisqu'il faut le dire,
Je voudrois pour son bien qu'il n'eût qu'un bon délire!
On sauroit le remede en connoissant le mal;
Mais, par un incident et bizarre et fatal,

Grave dans ses travers, tranquille en sa manie,
Il est fou de sang-froid, fou par philosophie,
Indifférent à tout comme s'il étoit mort.

Il n'auroit autrefois reçu qu'avec transport
Un Régiment. Eh! bien, il en a la nouvelle
Sans qu'au moindre plaisir ce titre le rappelle.
Il avoit, m'a-t-on dit, certain pere autrefois,
Qui, cachant, comme lui, sous un maintien sournois
Sa tristesse, ou plutôt sa démence profonde,
Ici même, un beau jour, s'escamotta du monde.
C'est un tic de famille, et j'en suis pénétré !
Enfin, sans vous, Monsieur, c'est un homme enterré!...
Voyez, interrogez. Il vous croit, il vous aime.
Je vous laisserai seuls.... Mais le voici lui-même.

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J

SCENE II.

SIDNEY, HAMILTON.

HAMILTON.

'AI voulu le premier vous faire compliment, Ami. C'étoit trop peu qu'écrire simplement;

Et je viens vous marquer, dans l'ardeur la plus vive,
Combien je suis heureux du bien qui vous arrive....
Mais je suis fort surpris de vous voir en ce jour
Un air si peu sensible aux graces de la Cour !
SIDNEY.

Je vais vous avouer, avec cette franchise
Que l'amitié sincere entre nous autorise,

Que j'aurois mieux aimé, je vous le dis sans fard,
Ne vous avoir ici que quelques jours plus tard.
Dans ce même moment, on vous porte ma lettre,
Sur un point important, qui ne peut se remettre;
Et si vous entriez dans mes vrais intérêts....

HAMILTON, l'interrompant.

Je vous laisserois seul dans vos tristes forêts?

Je ne vous conçois pas ! Cet emploi qu'on vous

donne,

Pour en remercier, vous demande en personne,

Quoi! restez-vous ici ?

SIDNEY.

Je ne vous cache pas

Que, dégoûté du monde, ennuyé du fracas,

Fatigué de la Cour, excédé de la Ville,
Je ne puis être bien que dans ce libre asyle.

HAMILTON.

Mais enfin, au moment où vous êtes placé,
Ce projet de retraite aura l'air peu sensé;

Et, sur quelques motifs que votre goût se fonde,
Vous allez vous donner un travers dans le monde.
Il ne lui faut jamais donner légérement

Ces spectacles d'humeur, qu'on soutient rarement.
On le quitte, on s'ennuie, on souffre, on dissimule.
On revient, à la fin; on revient ridicule.
Un mécontent, d'ailleurs, est bientôt oublié !
Tout meurt, faveur, fortune et jusqu'à l'amitié.
Son histoire est finie; il s'exile on s'en passe,
Et, lorsqu'il reparoît, d'autres ont pris la place.
Ne peut-on autrement échapper au chaos?

Pour s'éloigner du bruit, pour trouver le repos,
Faut-il fair tout commerce et s'enterrer d'avance?
L'homme sensé, qu'au monde attache sa naissance,
Sans quitter ses devoirs, sans changer de séjour,
Peut vivre solitaire au milieu de la Cour.
S'affranchir, sans éclat, ne voir que ce qu'on aime,
Ne renoncer à rien; voilà le seul systême....

Mais, parlez-moi plus vrai; d'où vous vient ce dessein?

Quel chagrin avez-vous ?

SIDNEY.

Moi, je n'ai nul chagrin,

Nul sujet d'en avoir !

IIA MILTON.

C'est donc misantropie?

Prévenez, croyez-moi, cette sombre manie!
Quels que soient les humains, il faut vivre avec eux:
Un homme difficile est toujours malheureux.
Il faut savoir nous faite au pays où nous sommes,
Au siecle où nous vivons.

SIDNEY.

Je ne hais point les hommes. Ami, je ne suis point de ces esprits outrés, De leurs contemporains ennemis déclarés, Qui ne trouvant ni vrai, ni raison, ni droiture, Meurent, en médisant de toute la nature. Les hommes ne sont point dignes de ce mépris. Il en est de pervers; mais, dans tous les pays Où l'ardeur de m'instruire a conduit ma jeunesse, J'ai connu des vertus, j'ai trouvé la sagesse; J'ai trouvé des raisons d'aimer l'humanité, De respecter les noeuds de la société, Et n'ai jamais connu ces plaisirs détestables D'offenser, d'affliger, de hair mes semblables.

HAMILTON.

Pourquoi donc à les fuir étes-vous obstiné?

SIDNEY.

Qu'auricz-vous fait, vous même ? Aux ennuis con

damné,

Accablé du fardeau d'une tristesse extrême,

Réduit au sort affreux d'être à charge à moi-même, J'épargne aux yeux d'autrui l'objet fastidieux

D'homme ennuyé par-tout, et par-tout ennuyeux.

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