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timent, y sont balancés avec une force qui se file par les gradations les plus fines.... Ces deux scenes, sont entiérement remplies de très-beaux vers, qui marquent la différence essentielle du caractere de Sidney d'avec celui du Misantrope, et qui font, de plus, l'éloge du cœur de l'Auteur, autant que sa Piece, en général, fait celui de son esprit.... Ce même acte fournit aussi une situation touchante, dont les larmes ont fait plus d'une fois l'éloge, lorsque l'on rend à Hamilton la lettre où Sidney lui fait part de sa résolution (scenes quatrieme et cinquieme). Cette situation amene une scene attendrissante, entre Hamilton et Sidney (la scene suivante), où la façon de penser de celui-ci, qu'il avoit dissimulée jusqu'alors, et qui avoit, cependant, percé, malgré lui, se développe tout-à-fait.... Cet acte est terminé par une scene pleine de sentiment, (la huitieme) entre Rosalie et Hamilton. L'amour généreux et constant de Rosalie, malgré tous les sujets qu'elle a de se plaindre de Sidney, la joie que donne à Hamilton une rencontre aussi imprévue, l'espérance qu'il en conçoit, le trouble er l'embarras de l'un et de l'autre sont autant de

mouvemens qui augmentent sensiblement l'intérêt de la Piece.... Le troisieme acte offre, d'un bout à l'autre, le tableau le plus touchant. Sidney, croyant s'être empoisonné, retrouve Hamilton, qui, ne sachant rien de l'exécution de son projet funeste, combat encore (scene seconde) sa résolution, par tout ce que l'amitié inspire de plus tendre, et emploie enfin l'amour pour derniere ressource en faisant paroître Rosalie (scene troisieme ). Il est aisé de sentir combien cette situation, maniée avec autant d'art que

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de sentiment, doit faire d'impression par ses mouvemens vifs et contrastés. Sidney, touché des reproches tendres de Rosalie et du pardon généreux qu'elle lui accorde, semble étouffer l'amour que celui de Rosalie fait renaître en son cœur, et que l'inquiétude où elle est de le voir balancer le force enfin de déclarer, avec transport. Cet aveu produit dans l'ame de Sidney les regrets et les remords. Il est convaincu de son erreur, et le repentir fait naître en lui le désespoir. Les larmes que cette situation a arrachées prouvent, mieux que tous les éloges, qu'elle est filée avec la plus fine intelligence du Théatre.

Toutes les représentations en ont été marquées par ce suffrage du cœur si décisif pour le succès d'une Piece. Cette situation violente se trouve enfin heureusement terminée par un dénouement nécessaire. Dumont fait cesser la plus cruelle inquiétude, en apprenant qu'il a changé le fatal breuvage. On convient, en général, que ce troisieme acte respire autant le sentiment et la passion que le second brille de neuf et de génie. En un mot, il paroît digne de finir une Piece, qui, par les caracteres, la conduite, les situations, l'intérêt, le dialogue, et, sur-tout, le style fort de choses, saillant et soutenu dont elle est écrite, d'un bout à l'autre, et les vers brillans et faits pour passer en proverbes dont elle fourmille, peut faire dire, à juste titre :

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Cui lecta potenter erit res,

Nec facundia deseret hunc nec lucidus ordo. »

« Il n'est pas nécessaire d'observer que les sentimens qui sont dans la bouche de Sidney, lorsqu'il veut se tuer, ne sont exposés que pour en montrer l'erreur, qui est si bien prouvée par Hamilton,» ajoute l'Auteur du Mercure.

« On a dit que Gresset auroit dû se départir du projet de faire entrer la teinte comique dans cette Piece. S'il eût approfondi le caractere de son héros, s'il l'eût fait mourir, victime de son dégoût de la vie, au moment où il retrouve une maîtresse qu'il adore, cette Piece seroit restée au Théatre, ajoutoit-on. Malgré ces réflexions, observe l'Auteur d'une Vie de Gresset, publiée à Paris, chez Berton, en 1779, on admire le talent et l'adresse avec lesquels Gresset a su tempérer, fort naturellement, le lugubre de sa Comédie par des dialogues agréables entre Sidney, toujours chagrin, et son valetde chambre, toujours gai, content et joyeux. Le style en est ingénieux, le dessein bien conçu, le plan bien arrangé et bien conduit. Il y a des scenes jolies, naturelles, touchantes, essentielles à la Piece. Il y en a même d'admirables qui font diversion avec ce qu'a de noir le projet affreux du principal personnage. Jamais on n'entendit au Théatre une plus belle, plus solide, plus agréable philosophie. La sagesse sublime regne dans cette Piece, pleine de leçons sublimes pour les mœurs. La question du suicide

est savamment traitée dans le second acte, et le dialogue de cet acte est digne des Tusculanes. Cet Ouvrage est du nombre de ceux qui brillent toujours plus sur le papier que sur le Théatre. 11 ne faut que réfléchir et être un peu Philosophe pour le goûter. Le principal personnage n'offre que du triste, du noir. Il excite la pitié et l'horreur, comme un personnage de Tragédie. On prend, cependant, part à sa douleur. C'est un homme ferme et éloquent dont le sort intéresse. Les pensées et la belle versification attachent, et cette Comédie plaît infiniment à la lecture. Peutêtre l'Auteur auroit-il dû réserver pour une Tragédie toutes les beautés, les grandes idées et les dialogues sublimes, marqués au coin du génie et du bon goût. Au reste, il a peint dans cette Piece ses propres mœurs, qui étoient douces, aimables et aussi chéries que ses talens. En vain y représente-t-il les chagrins, les dégoûts dont la nature humaine est assaillie sans cesse : il la fait aimer; et en lisant ses vers, on trouve qu'il est encore des plaisirs dans la vie. »

Cette derniere idée est précisément celle qu'avoit eue M. d'Arnaud en adressant les vers sui

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