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pas même pouvoir trouver dans la maîtresse la plus tendre, et qu'il adore encore, sans s'en douter, des raisons de supporter une vie importune et odieuse; il exécute enfin son projet avec une indifference aussi peu suspecte d'humeur et de mélancolie que du courage fanatique des suicides. On voit par-là que le lieu de la scene étoit donné dans un pays où ces sortes de caracteres et de situations, ainsi que les catastrophes qui les terminent sont plus communs qu'ailleurs. Un sujet aussi étranger à nos mœurs qu'à notre climat, avoit, sans doute, bien des écueils, capables de rebuter tout esprit timide, et qui n'eût pas eu, ni senti en soi-même ces puissantes ressources que l'audace du génie suppose toujours et qui ne lui manque presque jamais. Mais que ne peut un esprit créateur qui connoît dans sa nation un goût pour le neuf, d'autant plus ardent et d'autant plus insatiable qu'il a été plus satisfait, qui se dit à soi-même :

Nil intentatum nostri liquere Poeta,

et qui, malgré l'indigence où semble devoir réduire la multitude des sujets épuisés, trouve

dans son ame l'ambition généreuse d'enrichir son siecle, et dans son invention l'heureuse fécondité nécessaire pour y parvenir ? Il est peutêtre vrai de dire aujourd'hui de tous les genres :

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Cette disette générale, contre laquelle il est si louable de se révolter, et l'avidité constante de la nation pour la nouveauté suffiroient donc seules, sans doute, pour faire, au moins, passer le choix d'un sujet aussi bizarre que celui de cette Piece. Mais pourquoi justifier une entreprise dont le succès est l'excuse et qui ne mérite que des éloges? Peut-être faudroit-il en donner encore à meilleur marché à tous ceux qui étendent la carriere des Arts, pour nous procurer de nouveaux plaisirs. Nous ne devions pas moins attendre que du neuf en ce genre de l'ingénieux Auteur de Ver-vert et de La Chartreuse. On reconnoît dans Sidney le même génie dont le coup d'essai pour le tragique (Edouard III) a désabusé du préjugé de ne point ensanglanter la scene et l'a enrichie d'une situation et d'un

coup de Théatre que personne n'avoit osé risquer avant lui. Mais la bizarrerie et la noirceur du sujet de Sidney étoient encore moins un écueil pour le faire goûter que pour l'exécuter et le remplir. Il falloit bien des ressources dans l'invention pour saisir et peindre, dans toutes ses nuances, un caractere et une situation dont on n'a point vu de modele qui puisse en fournir les premiers et les principaux traits. Il falloit donc, en quelque sorte, créer ce caractere, en marquer le principe, en développer les gradations d'une maniere assez vive et assez vraisemblable pour le faire reconnoître à ceux qui ne l'avoient jamais vu, et qui n'en avoient peut-être pas même l'idée. C'étoit un de ces tours de force qui paroîtroient encore au-dessus de l'invention si le succès n'en étoit la preuve et l'éloge.... Le choix du sujet de Sidney avoit encore une autre difficulté aussi réelle et aussi rebutante. Le Théatre est la représentation de la vie humaine, dans les différens états et dans les différentes situations dont ils sont susceptibles; mais toutes ces situations, quelqu'intéressantes quelles soient, ne présentent pas un intérêt aussi agréable et aussi

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flatteur, et l'intérêt le plus agréable est celui qui saisit le plus et qui fait l'impression la plus générale et la plus sûre, parce qu'on ne s'intéresse, peut être, que pour avoir du plaisir. On pouvoit donc craindre que le caractere sombre et noir de Sidney, loin de saisir, ne révoltât. On regarde avec plus de complaisance le coloris tendre er gracieux de l'Albane que les touches savantes fortes et rembrunies de Rubens et du Titien... I1 falloit que Sidney arrachât l'aveu de l'esprit par la vérité la plus frappante, et celui du cœur par la plus touchante situation. Il falloit aussi que l'état de l'ame de Sidney et son caractere fussent présentés d'abord de la maniere la plus sensible et la moins révoltante, afin que le Spectateur pût se familiariser avec eux. Il falloit intéresser la curiosité à voir les progrès d'une situation aussi neuve et aussi critique pour l'amener de-là, sans peine, à la catastrophe qui en est la suite. Tous ces différens objets paroissent remplis avec une intelligence fine et délicate. Le caractere et la situation de l'ame de Sidney sont si décidés, qu'ils ont percé, quoique malgré lui, aux yeux mêmes de Dumont, son valet-de-chambre, qui en fait l'exposition

l'exposition, en ouvrant la scene.... Henri, le jardinier, explique ensuite à Dumont (scene VIII du premier acte ) ce travers d'esprit, dont l'Angleterre fournit tant d'exemples, dans toutes les conditions, et dont le François qui a le plus réfléchi peut à peine avoir l'idée. La définition qu'il en donne, quoique dans le ton simple et grossier de son état, a toute la justesse du bonsens le plus sûr. Elle respire autant la saine philosophie que la vraisemblance; elle fixe la situation de Sidney: elle acheve de mettre le Spectateur dans sa confidence; enfin la naïveté et la plaisanterie qui regnent dans le ton font avec le fonds des choses un contraste nécessaire dans un tableau qu'il falloit égayer par le ridicule, pour qu'il ne révoltât pas par la noirceur.... Les développemens du caractere de Sidney deviennent plus vrais, plus sérieux, plus fins et plus intéressans au second acte, dans ses deux scenes ( la seconde et la sixieme) avec Hamilton, son ami, qui ont paru le chef-d'œuvre de l'esprit, du raisonnement et du dialogue. La raison et l'amitié, d'un côté ; de l'autre, le dégoût, raisonné, de la vie, soutenu par le sen

b

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