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geance que nous puissions exercer, contre ceux qui pourroient être l'objet de notre jalousie.

La gloire d'un rival s'obstine à t'outrager :
C'est en le surpassant que tu dois t'en venger.
Érige un monument plus haut que son trophée.

VOLTAIRE.

La noble émulation fut toujours permise et louable; l'envie ne le fut jamais. La première est un sentiment courageux qui rend l'ame féconde, qui l'enflamme à la vue des grands exemples, et l'élève souvent au-dessus de ce qu'elle admire. L'autre est une passion basse, qui, ne pouvant atteindre à la hauteur des autres, cherche à la rabaisser. On déprime ce qu'on est incapable de faire; parce qu'il est plus facile de mépriser que de surpasser ou d'égaler.

C'est au contraire avoir soi-même beau-coup de mérite que de rendre justice à celui des autres, et sur-tout de ses rivaux. Quelques Officiers François, réfugiés à la Cour du Prince d'Orange, toujours battu par le Maréchal de Luxembourg, ne cessoient d'exalter le bonheur du Maréchal "' sans parler de ses talens militaires. Il y a trop long-temps qu'il est heureux, leur dit ce Prince, pour n'être qu'heureux.

Il y a dans l'envie je ne sais quoi de honteux, qui fait qu'on se la cache à soimême. On tire souvent vanité des passions les plus criminelles, de ses excès, de ses débauches; on s'en fait même gloire, parce qu'on est assez aveugle pour se couronner de sa propre honte. Mais l'envie est une passion qu'on n'ose jamais avouer. On rougit de l'avoir, et encore plus de la montrer, parce que témoigner de l'envie c'est reconnoître son infériorité, ou faire voir la crainte qu'on a d'être effacé. C'est un aveu du bonheur ou du mérite des autres, et un hommage secret qu'on leur rend. L'envie fait honneur à celui qui en est l'objet sous un mépris apparent elle cache une estime réelle. Si l'on doit plaindre quelquefois ceux qui excitent la jalousie parce qu'ils ne peuvent pas toujours se garantir de sa fureur; on doit souvent plaindre encore plus ceux qu'elle épargne, parce qu'elle ne pardonne qu'au vice et à l'obscurité. Thémistocle disoit qu'il n'envioit pas le sort de qui ne fait point d'envieux.

M. de la Mothe, qui eut pendant sa vie une brillante réputation, aujourd'hui un peu trop tombée, puisqu'il est sans contredit un de nos Écrivains les plus ingépieux et les plus éclairés, un des meilleurs

Prosateurs François (*), disoit un jour à M. de Fontenelle, qu'il croyoit avoir pour amis tous les Gens de Lettres. Si cela étoit vrai, lui répondit-il, ce seroit un terrible préjugé contre vous: mais vous leur faites trop d'honneur, et vous ne vous en faites pas assez. L'envie s'attache à la gloire, et croît

avec elle mais souvent elle ne sert qu'à rehausser sa rivale, et à la faire briller da

(*) Cet Écrivain célèbre, mort en 1731, à 59 ans, fut un bel-esprit agréable, un poëte médiocre, un prosateur élégant, et ce qui est encore aujourd'hui plus rare, un philosophe raisonnable. Sa prose est pleine de douceur et d'harmonie, le coloris en est vif, le ton varié, la touche facile : elle est semée de pensées neuves, brillantes, profondes, mais quelquefois plus éblouissantes que vraies. En général ses ouvrages sont pleins d'esprit, mais il y a trop d'idées métaphysiques et alambiquées, de faux jugemens, de paradoxes, de minuties, et quelquefois même de galimathias. On a de lui quatre Tragédies, dont la moins mauvaise est Inès de Castro; six Comédies, dont le Magnifique est la seule qui se soit conservée au Théâtre; des Opéra estimés, dont le meilleur est Issé; des Odes, parmi lesquelles il s'en trouve quelques bonnes ; d'autres Pièces lyriques, bien inférieures à celles de Rousseau; vingt Églogues qui lui font honneur; des Fables, où il y a de l'esprit et de l'invention, mais où l'on ne trouve ni le naturel et le naïf, ni l'élégante simplicité qui carac→ térise ce genre de poésie; plusieurs Discours en prose très-bien écrits, etc.

vantage. Si quelquefois celle-ci devient sour infortunée victime; plus ordinairement encore, victorieuse de ses traits impuissans, elle l'enchaîne à son char de triomphe.. C'est ce qui arriva au Prince Eugène. En 1697, le Sultan Moustapha II, enflé de quelques succès qu'il avoit eus, avançoit dans la Hongrie, à la tête d'une armée formidable et avec une fierté insultante. On avoit par son ordre forgé une quantité prodigieuse de fers, pour garrotter toute l'armée Autrichienne, depuis le Général jusqu'au dernier soldat. Mais le Prince Eugène, qui venoit de prendre le comman-dement des troupes Chrétiennes, ne tarda point à réprimer cet orgueil. Il attaqua er battir les Turcs, trois fois plus forts: que lui. La victoire fut complète, peu: chèrement achetée, et suivie de très-grands. avantages. Toute l'Europe applaudit à ses triomphes, excepté les ennemis personnels: du vainqueur. Envieux du rang qu'on ve noit de lui donner, et de la gloire que ses talens militaires lui feroient acquérir, ils lui avoient fait envoyer une défense formelle d'engager une action générale. L'occasion ayant été favorable, il avoit cru devoir en profiter. Le succès qui justifia et couronna sa démarche, ne fit qu'augmenter leur fureur jalouse. Il ne fut pas plutôt

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reur,

du

revenu à Vienne, qu'on le mit aux arrêts et qu'on lui demanda, de la part de l'Emson épée. La voilà, dit-il, puisque P'Empereur la demande : elle est encore fumante sang des ennemis, et je consens de ne plus la reprendre, si je ne puis continuer à l'employer pour son service. Les rivaux d'Eugène, non contens d'avoir engagé Léopold à lui faire cette première humiliation, voulurent aller plus loin: ils lui proposèrent de faire citer le Général au conseil de guerre, pour y être jugé suivant les lois. L'Empe pereur, qui avoit eu le temps de faire ses réflexions, se refusa à cette sévérité aussi injuste qu'odieuse. Me préserve le Ciel, dit-il, de traiter, comme malfaicteur et criminel, un héros, par qui il m'a comblé de tant de faveurss et d'avantages!

Ces paroles fermèrent la bouche à l'envie ; et l'Empereur, autant pour le bien: de ses affaires, que pour consoler son Gé-néral et ne plus le mettre dans le mêmes lui fit l'honneur de lui donner un écrit, qui l'autorisoit à se conduire de la: manière qu'il jugeroit convenable, sans qu'il fût exposé à être jamais recherché.

cas,

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Quoiqu'il n'y ait guère de passion qu'on veuille cacher avec plus de soin, il n'y en a pas qu'on cache moins : l'air et les yeux la décèlent. Un Lieutenant-général, jaloux

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