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un des plus sûrs liens de la société. Les amis mêmes doivent se respecter, s'ils veulent rester long-temps amis. Mais c'est surtout avec les Dames, qu'il convient à un jeune homme de ne paroître pas trop familier. Il doit les approcher sans gêne, mais toujours avec une retenue modeste, mêlée de respect ses manières, sans rien sentir de la contrainte, ne doivent jamais passer les bornes de la plus exacte pudeur. C'est à elles d'en faire ressouvenir ceux qui oseróient y manquer.

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On ne doit pas être moins réservé avec dos personnes qui sont supérieures, et il n'est jamais permis d'oublier le respect qui leur est dû. La retenue dans ses paroles et dans ses actions, est bonne par-tout; mais elle est absolument nécessaire avec les Grands. Quelque liberté qu'ils semblent accorder, on en est la dupe, si on s'y livre trop: car ils se réservent toujours un cerrain droit de respect, dont ils regardent ét traitent le manquement comme un crime irrémissible. Le Duc d'Alençon, fils de Henri second, Roi de France, avoit pour favori Louis d'Amboise, Seigneur de Bussi, premier Gentilhomme de sa chambre. Ce Prince voulut un jour que lui et son favori se dissent leurs vérités sans déguisement et sans réserve. Celui-ci s'en excusa modeste

ment d'abord, er dit au Prince qu'il pouvoit lui reprocher ses plus grands défauts et toutes les actions même de sa vie ; mais que pour lui, il ne lui convenoit pas de prendre une pareille liberté. Le Duc lui ordonna de le faire; et pour l'y engager, il commença le premier. Il dit à Bussi qu'il passoit pour brave, et qu'il étoit bien avec les Dames; mais que celles-ci l'accusoient de bizarrerie et d'inconstance, et que la plupart des gens de cœur le tenoient pour lâche. Bussi, piqué de ce reproche, en fir d'autres au Prince sur sa conduite, et le badina de sa mauvaise mine. Ah! c'en est trop, Bussi, répartit vivement le Duc. Quoique Bussi se jetât à ses genoux, qu'il s'excusât sur le commandement qu'il avoit reçu et sur l'extrême violence qu'il s'étoit faite il ne fut jamais, comme auparavant, dans ses bonnes graces.

On peut souvent agir sans façons avec ses égaux; mais en général il ne faut point se le permettre avec ceux qui sont au-dessus de nous. En ce genre, ils seront toujours moins blessés du trop d'attentions et d'égards, que du trop peu. Auguste, par bonté; ne se refusoit à presque aucune invitation de ses sujets. L'un d'eux lui ayant donné un repas très-simple et fort ordinaire: J

ne croyois pas, lui dit ce Prince en riant; que nous fussions si bons amis.

Avec ceux que leur rang élève au-dessus 'des autres il faut que notre familiarité même soit respectueuse. On accuse, peutêtre avec justice, les François d'y manquer trop facilement. Aussi le Cardinal Mazarin, dans les maximes qu'il inspiroit à Louis XIV, lui recommandoit-il ce point. Ne vous familiarisez pas trop avec vos Courtisans, lui disoit-il, de peur qu'ils ne vous perdent le respect. Le Roi profita de ce conseil; et jamais Prince n'eux l'air plus sérieux, plus imposant, plus majestueux que ce Monarque, qui savoit néanmoins, dès les premières années de son règne, le tempérer par une grande bonté. Un jour qu'il avoit donné audience aux Députés des États de Bourgogne, le Cardinal Mazarin dit à M. de Villeroi Monsieur le Maréchal, avez-vous pris garde comme le Roi écoute en maître et parle en père? Il étoit le premier à rassurer ceux que sa présence avoit intimidės. Un Prélat fort éloquent, malgré la grande habitude qu'il avoit de parler en public, fur déconcerté dans un discours qu'il fit à ce Monarque, et il hésita quelque temps. Ce Prince adoucissant alors cette noble fierté qui éclatoit sur son front, dit d'un de ces

tons de voix qui entrent dans le cœur, et qu'il savoit prendre si à propos : Nous vous sommes obligés, Monsieur, de nous donner le loisir d'admirer les belles choses que vous nous dites. Le Prélat se remit, et continua son discours avec succès.

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'Ne décidez de rien qu'après l'avoir pesé. LES plus prompts à décider, sont pres➡ que toujours ceux qui devroient ne décider jamais moins on sait, plus on décide vite. C'est ce qu'on voit tous les jours, en fait de science et de religion. Des hommes vains et superficiels, qui n'ont pour toutes connoissances qu'un peu plus de témérité que les autres, tranchent, décident sur des points qui demanderoient pour être discutés, approfondis, une étude suivie, et des connoissances qu'ils n'auront jamais.

Les jeunes gens sur-tout doivent éviter un défaut, qui leur est assez ordinaire, c'est 'de juger, de décider, de prononcer d'un ton de maître. Ils croient par cet air de suffisance s'attirer l'estime, et ils se font mépriser. Quelque esprit et quelque science qu'ils puissent avoir, la modestie doit être leur partage. La retenue, la défiance de ses

propres lumières, qui fait l'ornement de leur âge, en paroissant cacher leur mérite, ne servira qu'à le relever. Qu'ils proposent leurs doutes et leurs difficultés ; qu'ils interrogent modestement ceux qui sont en état de leur en donner l'éclaircissement : qu'ils consultent et qu'ils écoutent beaucoup mais qu'ils jugent peu, qu'ils décident rarement, à moins qu'ils ne veuillent passer pour des fàts ou des sots, et se faire moquer. On l'a dit, et l'expérience le confirme ce sont ordinairement ceux qui décident le plus, qui prouvent le moins.

Dans toutes les matières, il est plus aisé de juger et de prononcer, que de peser et d'examiner les raisons qu'on auroit de le faire et cependant n'est-ce pas cet examen, que prescrivent la raison et la sagesse? Plus l'objet est important et peut avoir de grandes suites, plus on doit y apporter une mûre considération.

Juges de la terre, Magistrats, qui tenez: entre vos mains la fortune et la vie des autres hommes, c'est à vous sur-tout que convient la maxime de ne rien décider qu'après l'avoir bien pesé. Vous ne devez ni prononcer légèrement, ni condamner sans les plus fortes preuves; et vous en rendrez compte à celui qui jugera les justices: mêmes, Combien néanmoins, ou distraits,

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