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que plus ridicule. Les graces mêmes, dès qu'il y entre de l'affectation, cessent de l'être Beaucoup d'hommes ont aujourd'hui, comme les femmes, de petites façons pour se donner des graces, et quelques femmes ont pris les manières libres des hommes, pour se distinguer de leur sexe. Je doute que les uns et les autres y gagnent : qui est certain, c'est que l'échange n'est pas à l'avantage des premiers.

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Il n'est pas moins difficile d'ôter la ti midité que l'air gêné et contraint. C'est un défaut qu'on n'acquiert non plus qu'on ne s'en corrige: la nature le donne et le conserve, la raison le désapprouve et l'augmente; et ceux qui veulent en guérir les autres, en font un ridicule sans le diminuer. La tichidité ne se corrige point par des avis fréquens, donnés devant le monde. On y réussira encore moins par des railleries ou des reproches. On ne sauroit s'y prendre trop doucement: il faut louer, encourager et flatter cet orgueil défiant, qui craint de se faire tort dans l'esprit des autres ou de se trahir soi-même. Car, quoique la timidité ait toutes les apparences de la mo destie, elle n'est souvent qu'une vanité secrète et plus raffinée. Plusieurs ne sont t mides que parce qu'ils veulent trop plaire, et qu'ils sont trop sensibles aux jugemens Tome 111.

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qu'on peut faire d'eux. Ils ne parlent qu'en tremblant, parce qu'ils ne savent comment on recevra ce qu'ils disent et s'il est propre à leur faire honneur. Il est dangereux de laisser prendre aux jeunes gens trop de confiance en eux-mêmes; et il est mal de ne pas leur en laisser prendre assez. Une hardiesse et une timidité excessives sont également contraires à la vraie politesse, qui weut qu'on parle et qu'on agisse d'un air modeste et d'une manière aisée, afin de ne choquer et de ne gêner personne. La présomption produit le mépris des autres, et par-là le manquement aux égards qui leur sont dus. Le défaut d'une juste confiance en soi-même, produit une pudeur niaise et un embarras ridicule.

Nicole, ce profond Théologien, dont les Essais de Morale seront toujours lus et admirés, étoit un second la Fontaine dans la conversation. Simple, timide, sans au-. cun usage du monde, sa trop grande timidité lui nuisit en plusieurs occasions. Lorsqu'il se présenta pour le Sous-diaconat, ses examinateurs lui demandèrent combien il

avoit de demandes au Pater; il parut interdit à cette question, et fut renvoyé, Les examinateurs, instruits que celui qu'ils avoient refusé n'étoit rien moins que ce qu'il avoit paru, le firent revenir, l'exhor

tèrent à recevoir la prêtrise: mais il les remercia, et ne fut jamais que simple tonsuré. Il travailla de concert avec M. Arnauld, à l'ouvrage immortel de la Perpétuité de la Foi. Il eut même la plus grande part à ce chef-d'œuvre, qui devoit paroître sous son nom : mais comme il avoit un extérieur peu favorable et qu'il s'énonçoit difficilement, il fut très-mal reçu du censeur. Il alla trouver M. Arnauld, et lui dit qu'il falloit absolument qu'il souffrît de passer seul pour auteur du livre, ajoutant: Monsieur, ce n'est pas la vérité qui persuade les hommes, ce sont ceux qui la disent.

Aussi la qualité qui manque le plus aux écrits de ce profond Théologien, de ce sage et judicieux Moraliste, ce sont les graces touchantes de l'onction; et il convenoit lui-même qu'il n'avoit aucune disposition à cette éloquence si nécessaire, mais peu compatible avec un esprit géométrique comme le sien. Chez lui, l'esprit fait tous les frais, le cœur agit peu, ou à proprement parler, il n'agit point du tout. C'est le seul défaut qu'on puisse reprocher à ses ouvrages, dignes d'ailleurs de toute la réputation dont ils jouissent (*).

(*) Quand il n'auroit que la gloire d'avoir concouru à l'ouvrage de la Perpétuité de la Foia

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Cette même timidité, qui le dominoit si impérieusement, étoit cause qu'il n'avoit pas la répartie prompte en conversation. Il s'embarrassoit dans les raisons qui se présentoient à lui, pour soutenir ce qu'il avançoit, ou pour répondre aux objections qui lui étoient faites. Aussi disoit-il au sujet d'un de ses amis qui parloit facilement : Il me bat dans la chambre; mais il n'est pas plutôt sorti que je l'ai confondu.

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Quoique la timidité soit un défaut, on la pardonne bien plus volontiers la que présomption elle flatte l'orgueil des autres, au lieu que la présomption l'humilie. Il ne faut paroître ni contraint ni trop libre: mais il vaudroit encore mieux être un peu

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auquel il eut plus de part que M. Arnauld, c'en seroit assez pour le placer parmi les célèbres Défenseurs de la Religion Catholique. Tout est digne d'éloge dans cet ouvrage. Les Essais de morale ne lui font pas moins d'honneur, et renferment d'ex cellentes leçons de sagesse et de vertu. Le volume qui a pour titre Les quatre Fins de l'Homme, est admirable, Jamais les Philosophes anciens et modernes n'ont rien écrit sur l'homme de plus sensé, de plus instructif et de plus lumineux. Dict. des Trois Siècles.

On estime aussi beaucoup son excellent traité des Moyens de conserver la paix dans la société, dont M. de Voltaire a fait connoître le mérite aux Gens du monde et même à plusieurs Gens de Lettres Dict. Encycl.

timide que trop hardi: on seroit assuré de déplaire beaucoup moins. Trop de hardiesse, sur-tout dans un jeune homme, est le préliminaire de l'effronterie : on est fondé à croire qu'il ira bientôt jusqu'à l'impu dence.

Ce n'est pas néanmoins que nous voulions blâmer, dans les jeunes gens mêmes, une certaine hardiesse. La hardiesse, à la bien prendre, a quelque chose de mâle, et marque de l'assurance: elle fait parler avec fermeté; ni la qualité, ni le rang, ni la fierté de ceux à qui elle adresse le discours, ne la démontent point. Elle est de mise auprès des Grands; chez eux les gens timides passent pour des sots; et l'on n'est guère propre aux grands emplois, si l'on n'est un peu hardi. Il n'en est pas de même de l'effronterie. Comme elle n'observe ni les usages de la politesse, ni les devoirs de l'honnêteté, ni les règles de la bienséance; elle déplaît à tout le monde, et fait qu'on passe chez les honnêtes gens pour être d'une vile naissance ou pour n'avoir point eu d'éducation.

L'air aisé, s'il devient trop libre, comme il arrive souvent, dégénère en familiarité, et conduit au mépris. Les égards qu'on a les uns pour les autres aident beaucoup à conserver une estime réciproque, qui est

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