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passent pas encore plus loin. Quelqu'un vint raconter à son ami une chose qu'on lui avoit dite sous le secret, et lui recommanda de n'en point parler. Soyez tranquille, lui dit l'autre, je serai aussi discret que vous.

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Si celui dont vous savez le secret, vous rend de mauvais offices si de votre ami il devient votre ennemi, s'il abuse même de la confiance que vous avez eue en lui, pour vous nuire en publiant vos plus importans secrets; vous ne lui devez pas moins une fidélité inviolable; ou du moins, vous vous la devez à vous-même, vous la devez à l'amitié qui a été, quoiqu'elle ne soit plus. Qu'il devienne perfide, ingrat, dénaturé c'est à vous de rester fi-delle , généreux, et de rendre sa conduite plus condamnable par la vôtre.

Il y a des momens bien critiques pour le secret : on a besoin alors de toutes les réflexions de sa raison et de toute la force: de son esprit, pour le retenir, principa-lement quand c'est la colère ou l'amour qui sollicite à le révéler. Cette dernière passion est la plus dangereuse. On révèle un secret dans la colère, mais il échappe dans l'amour, si l'on n'est infiniment sur ses gardes. Rien ne le prouve mieux que Fexemple de M. de Turenne, le plus grand

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homme de la France peut-être, cet homme qui, selon l'expression de Montécuculi son rival, faisoit honneur à l'homme. Il étoit impénétrable à la tête des armées. Monsieur 'de Louvois, Ministre de la guerre, plaignoit de ce qu'il n'apprenoit ses desseins que par les gazettes. M. de Turenne ne les confioit pas même au Roi. Ce Prince dit un jour à un Officier - général, qui partoit pour l'armée d'Allemagne : Dites, je vous prie, à M. de Turenne qu'il me fasse part de ses desseins; j'y suis pour le moins aussi intéressé que lui. Cependant ce grand homme eut la foiblesse de découvrir à Mad. Coaquin qu'il aimoit, un secret que le Roi lui avoit confié. Cette Dame le révéla au Chevalier de Lorraine. Celui - ci apprit le secret à Monsieur (*), à qui on le vouloit cacher. Monsieur le dit au Roi. Le secret étoit le voyage que Madame devoit faire en Angleterre, pour négocier avec son frère Charles 11. Louis XIV eut un éclaircissement avec M. de Turenne, qui lui avoua qu'il avoit eu la foiblesse de révéler le mystère à Mad. Coaquin. Défiezvous de cette Dame, lui dit le Roi, puisqu'elle a trahi votre secret en faveur du Che

(*) On appelle ainsi en France le frère du Roi.

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valier de Lorraine; vous voyez bien que vous êtes sacrifié. Quelle défiance ne devonsnous pas avoir de nous mêmes ! et de quelle foiblesse l'homme n'est-il pas capable, puisqu'un si grand homme, si religieux sur le secret, n'a pu garder celui d'un Roi! Il n'y pensoit jamais sans rougir de confusion. Aussi dit-il à un Seigneur qui le mit sur ce chapitre un soir dans sa chambre: Éteignons les lumières, et je vous

dirai ensuite cette histoire.

Ce n'est pas assez de tenir caché ce qui nous a été confié sous la condition du secret. La conversation et la société emportent une convention générale et tacite, qui oblige de taire tout ce qui peut être préjudiciable en quelque manière à celui qui l'a dit. On doit avoir soin, dạns l'édụcation des jeunes gens, de leur donner souvent cette leçon importante, et veiller à ce qu'ils la mettent en pratique. A Sparte, lorsqu'un jeune homme entroit dans la salle où tous les Citoyens venoient manger en commun, le plus âgé lui disoit, en lui montrant la porte: Rien de tout ce qui se dit ici ne sort par-là.

C'étoit aussi la maxime du Comte de Shaftsbury, qui eut une occasion éclatante de la mettre en pratique. Ce Seigneur, si célèbre dans l'histoire d'Angleterre par la

grande part qu'il eut aux mouvemens qui agitèrent le règne du Roi Charles II, étoit devenu, de Ministre de ce Prince, son plus dangereux ennemi, et s'étoit jeté dans le parti du Parlement. Quelque temps après on y attaqua M. Hollis, sur des négocia tions secrètes qu'il avoit eues avec le Roi. Rien ne manquoit pour le perdre que des témoins. On crut en trouver un tel qu'on le desiroit dans la personne du Comte qui avoit été à même de tout savoir. Il y avoit d'autant moins lieu de douter qu'il ne parlât, que c'étoit pour lui une belle occasion, et une occasion qui se présentoit d'ellemême, de ruiner un ancien ennemi. Dans cette pensée, on cite le Comte et on l'interroge. Il répond qu'il ne peut satisfaire sur ce qu'on lui demande, parce que, quand même il sauroit quelque chose au désavantage de M. Hollis, il ne devroit point avoir recours à cette voie infame de se venger d'un ennemi. Ceux qui l'avoient fait comparoître l'exhortent, le pressent, le menacent tout fut inutile. On lui ordonna de se retirer; et plusieurs Membres du Parlement proposèrent avec tant de chaleur de F'envoyer à la Tour, que ses amis effrayés vinrent le solliciter de céder aux instances de la Chambre. Mais il demeura ferme dans sa résolution, et il eut le bonheur que mé

ritoit son action généreuse, celui de trouver assez d'amis pour le tirer d'affaire. M. Hollis alla le remercier en termes pleins de reconnoissance et d'estime. Le Comte lui dit, qu'il ne prétendoit lui imposer aucune obligation par l'action qu'il venoit de faire, qu'il se devoit à lui-même la conduite qu'il avoit tenue, et qu'il auroit fait la même chose pour tout autre que cependant it connoissoit assez le mérite de M. Hollis et le prix de son amitié, pour être prêt à J'accepter comme une insigne faveur, s'il Pen jugeoit digne. M. Hollis, charmé de ce discours autant que de ce qui y avoir donné lieu, assura le Comte d'un attachement sincère et zélé. Par-là une ancienne mésintelligence entre deux hommes généreux, opulens et voisins, fut changée en une vraie et solide amitié.

Mais quoique le secret doive être ordinairement inviolable, il y a néanmoins des cas où l'on peut, où l'on est même obligé de le révéler. Si l'intérêt du Prince et de la patrie exige de le faire connoître, toutes les considérations particulières doivent céder au bien public. Si le secret peut nuire à l'innocence, s'il couvre un dessein criminel, ne craignez point de le découvrir à la personne qui en seroit la victime, ou à ceux qui peuvent s'y opposer. Henri III,

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