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son père n'en sût rien et qu'elle n'en parlät jamais à personne. Elle le lui promit avec serment. Eh bien! ma mère, reprit-il, on a mis ce matin en délibération, au Sénat, s'il étoit plus utile à la République de permettre aux hommes d'épouser deux femmes, ou aux femmes d'épouser deux hommes. Il ajouta qu'on n'avoit rien décidé, et que la décision étoit remise au lendemain : cette nouvelle surprit étrangement la mère du jeune Papirius. Elle sortit aussitôt de chez-elle, et alla conter la chose à ses amies. Le lendemain le Sénat fut environné de Dames qui prioient, larmes aux yeux, qu'on ne conclût rien sans les ouïr. Les Sénateurs fort étonnés, demandèrent ce que c'étoit que la folie de ces femmes et ce qu'elles vouloient. Le jeune Papirius raconta la chose : le Sénat loua sa discrétion; et pour éviter à l'avenir un pareil inconvénient, il rendit un décret qui défendoit aux Sénateurs d'amener désormais leurs enfans au Sénat, excepté le: seul Papirius.

Il est difficile aux enfans et aux femmes de garder un secret; et il y a souvent de l'indiscrétion à confier à celles-ci une chose importante. Quoiqu'on en trouve quelquefois de discrètes, la plupart ne sont pas assez les maîtresses de ce qu'elles disent : un secret leur échappe, en quelque sorte

malgré elles, sans qu'elles s'en apperçoivent et sans qu'elles aient envie de le découvrir. Combien d'hommes en cela qui sont femmes !

Ayez plus de fermeté et de prudence; et que jamais rien au monde ne vous engage à trahir là confiance qu'on a eue en vous. Soyez fidelle à ceux qui ont cru que vous l'étiez. Souvenez-vous que le secret doit être mis au rang des choses les plus sacrées; qu'une des premières lois de la société est de taire ce qui ne doit pas être révélé, et que nous ne sommes pas en droit de disposer d'un bien dont nous ne sommes que les dépositaires.

Mais l'inclination naturelle que nous avons à parler, à apprendre aux autres ce qu'ils ignorent, nous rend souvent infidelles. Nous trouvons un plaisir sensible et piquant, à exciter l'attention de ceux qui nous écoutent ; et cette attention est d'autant plus grande, que ce que nous disons est plus secret et plus nouveau. La vanité aussi s'en mêle un peu : en déclafant à une personne ce qu'une autre nous a confié, nous lui faisons entendre qu'on a confiance en nous qu'on nous estime er qu'on nous consulte. Et puis, c'est quelque chose de si doux de faire une confidence, qu'il ne faut pas s'étonner qu'on

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en fasse tant dans le monde aux dépens de la fidélité. Mais ces sortes d'indiscrétions n'en sont pas moins une indignité et une infamie.

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Gardez donc inviolablement les secrets de l'amitié. Celui qui les découvre, est indigne d'aucune confiance; et il ne trouvera jamais d'ami selon son cœur. Si vous révélez ses secrets c'est en vain que vous tâcherez de le regagner: vous iriez inutilement après lui, car il est déjà bien loin: il s'est échappé comme une chèvre qui se sauve du filet, parce que son ame est blessée. Après des injures; on peut encore se réconcilier; mais lorsqu'on est assez malheureux pour révéler les secrets de son ami, il ne reste plus aucune espérance de retour (*).

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Un homme infidelle au secret ne sera jamais aimé ni estimé de personne, et ceux même qui l'ont fait parler, seront les premiers à le mépriser. Les moindres fautes en ce genre sont, pour ainsi dire des crimes irrémissibles: on les punit de la manière la plus sensible à une personne qui n'a pas perdu tout sentiment, c'est qu'on ne lui donne jamais plus l'occasion d'y retomber. Lorsque vous laissez sortir de vos lèvres le secret de votre ami,

(*) Eccl. 27.

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croyez que l'amitié la fidélité, l'honneur, la sagesse et la justice sortent de votre ame en même temps.

Le secret, qui pèse tant sur les lèvres de l'insensé, n'approche pas même, si l'on peut parler ainsi, de celles de l'homme sage. Inviolable dépositaire de ce que l'amitié a versé dans son sein, de ce que l'im prudence ou la liberté de la conversation a laissé sortir du cœur, il le renferme dans le sien. Jamais il ne lui échappe la moindre parole, qui puisse faire même soupçonner. Il n'a pas cet air réservé et mysté rieux, qui choque ou rend ridicule, et fait chercher à découvrir. Il ne paroît point chargé du secret qu'il doit garder. Il est toujours libre, naturel, ouvert. Mais en disant tout ce qu'on peut dire sans com séquence, il sait s'arrêter précisément et sans affectation là où il pourroit donner quelque soupçon et laisser entamer son secret. Il sait, et c'est ce qui fait le grand art de garder les secrets, éluder adroitement les questions imprudentes ou curieuses; en feignant de n'avoir pas entendu, et changeant adroitement de propos, afin de n'être pas obligé de s'expliquer.

Comme lui, soyez toujours sur vos gardes, pour ne rien dire et même pour ne rien faire, qui puisse le découvrir. Car

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on peut manquer au secret de plusieurs façons. Il y a des gens qui promettent le secret, et qui le révèlent sans le savoir: ils ne le disent point et on le lit dans leurs yeux. D'autres ne disent pas expressément la chose qu'on leur a confiée, mais ils parlent et agissent de manière qu'on la découvre de soi-même.

Souvent aussi c'est manquer au secret, que de faire entendre qu'on en est ou qu'on en a été dépositaire. Il ne faut pas même qu'on sache que nous avons eu une chose sous le secret ou que nous l'avons encore. Un secret soupçonné est plus qu'à demi révélé.

Il y en a qui s'imaginent n'avoir pas manqué au secret, parce qu'ils ne l'ont dit qu'à une personne et même à un ami. Leur avoit-il donc été confié avec la permission de le dire à cette personne ? Nous sommes maîtres de nos propres secrets, mais nous ne le sommes pas de ceux d'autrui. Ce que l'on nous confie n'est que pour nous, et la plus intime amitié n'y donne aucun droit. L'exemple de Saint Ambroise doit servir de règle. Nous n'avions, dit-il, mon frère et moi, qu'un esprit et qu'une volonté; tout étoit commun entre nous, hors le secret de nos amis. D'ailleurs, il est rare que ces sortes de confidences ne

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