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autres jusqu'aux plaisirs les plus nécessaires et les plus innocens !

Le Duc de Lauzun ayant été mis en prison par ordre de la Cour, avoit trouvé le secret de s'amuser avec une araignée, qu'il avoit rendue familière. Elle venoit manger sur sa main, et s'en retournoit ensuite à un trou où elle avoit tendu sa toile. Elle étoit devenue grasse, rebondie, et faisoit tout le plaisir du Duc. Il la montroit un jour au Gouverneur de la citadelle où il étoit détenu, et il la laissa aller à terre. Le Gouverneur écrasa l'insecte avec une joie maligne le Duc en fut outré. Dès qu'il fut sorti de prison, il se plaignit au Roi de l'action du Gouverneur, qu'il appela barbare. Le Roi jugea qu'un homme capable d'envier à un prisonnier un pareil plaisir, devoit être d'un très-mauvais caractère il lui ôta son emploi.

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Un Empereur Chinois punit l'envie d'une manière peut-être plus sensible encore et plus efficace. Quatre Lettrés, gens de mérite, mais d'une naissance obscure, avoient été élevés aux honneurs. La jalousie ne put voir leur élévation sans dépir. Elle s'arma de tous ses serpens, elle déchaîna la calomnie et la fureur, elle inonda tout Pékin de libelles scandaleux, qui parvinrent jus-. qu'à l'Empereur : il en fut indigné. Il or

donna qu'on en recherchât les auteurs, pour en faire un exemple sévère. Il consulta le plus prudent et le plus éclairé de ses Ministres, sur le genre de supplice dont il falloit les punir. Prince, lui dit ce Ministre, je n'en connois qu'un, mais il est plus terrible pour l'envieux que les tortures et la mort même ; c'est de le rendre témoin de la prospérité de ceux qu'il poursuit. L'Empereur combla les Lettrés de distinctions et de présens. Ces bienfaits irritèrent l'envie, elle exhala de nouvelles fureurs, et le Prince fit aux Lettrés de nouveaux dons. Les envieux ne doutèrent plus, qu'au lieu de nuire, chacun de leurs traits ne fût l'occasion d'une nouvelle grace: ils gardèrent enfin un profond silence. Bientôt ils tremblèrent que ce silence mal interprété ne fût encore favorable aux objets de leur haine, et ne portât l'Empereur à les récompenser davantage : ils prirent le parti de faire de leurs rivaux les éloges les plus pompeux. Que l'envie, loin de vous décourager, vous anime: elle doit servir d'aiguillon aux talens et à la vertu. La plus glorieuse manière de lui répondre, est de tâcher, s'il est possible, de se surpasser soi-même.

Cest ainsi que Rubens, célèbre Peintre Flamand, se vengea des envieux de sa gloire. Ceux-ci ayant critiqué ses meilleurs tableaux

et censuré sur-tout ses caractères de tête ; Rubens peignit sa Descente de Croix, où l'on remarque tout ce que la tristesse et la douleur ont de plus touchant, exprimé sur le visage de Marie : cette tendre mère, remplie de l'inquiétude la plus vive, semble craindre encore que l'on ne blesse son fils qu'on descend de la Croix. Ce chef-d'œuvre fut placé dans la cathédrale d'Anvers sa patrie.

Fais bien, dit un proverbe espagnol, tu auras des envieux fais mieux, tu les confondras. Le célèbre Vendôme ayant été envoyé au secours de Philippe V, Roi d'Espagne, la victoire ne tarda point à se décider en faveur de ce Monarque. Philippe, plein de reconnoissance pour ce grand homme qui, à la fameuse journée de Villaviciosa, venoit, avec une armée toujours vaincue jusqu'alors, de remporter une victoire décisive, dit publiquement qu'il lui devoit la couronne. Ce Général qui avoit des rivaux jaloux de sa gloire, répondit au Roi: Votre Majesté a vaincu ses ennemis, j'ai vaincu les miens.

N'allez point divulguer ce que l'on vous confu.

Si quelqu'un vous témoigne assez de confiance pour déposer son secret dans votre sein, vous devez en être flatté; et il faut le garder plus scrupuleusement que ce qui vous concerneroit et ce qu'il vous impor teroit le plus de cacher. Des courtisans disoient au favori d'un Prince: Qu'y a-t-il de nouveau, et que vous a dit le Roi aujourd'hui ? car il ne se fie qu'à vous. Pourquoi donc, leur répondit-il, me le demandezyous?

De tous les secrets, ceux qu'on doit garder avec le plus de soin, ce sont ceux de l'État et des intérêts publics, ou des familles; parce que leur violation a d'ordinaire de plus grandes suites; et c'est toujours au moins une imprudence de les demander à ceux qui en sont les dépositaires. Les Sénateurs Romains parloient si peu des choses dont ils traitoient dans leurs assemblées, qu'elles demeuroient secrètes des années entières. Il sembloit que personne ne sût ce que tant de personnes savoient; cette discrétion admirable étoit soutenue, dans les occasions, d'une force vraiment Romaine. Un Sénateur nommé Pompée, pri

sonnier du Roi des Illyriens, et pressé de découvrir les desseins de la République, se brûla le doigt à un flambeau allumé. Les lois Romaines, ajouta-t-il, ordonnent que ceux qui revèlent les secrets de l'État, soient brûlés tout vifs.

Aulu-Gelle nous a aussi conservé un beau trait, qui mérite d'être connu de tous les jeunes gens.

C'étoit autrefois l'usage à Rome que les Sénateurs menassent avec eux leurs enfans au Sénat, pour les former de bonne heure aux affaires et au secret qu'elles exigent: car une des conditions de l'admission de ces enfans aux délibérations du Sénat étoit qu'ils garderoient ce secret aussi religieusement que leurs pères. Un jour la mère du jeune Papirius, qui eût dû lui donner le précepte et l'exemple de la discrétion, voulut, par une curiosité peu digne d'une Romaine, savoir ce qu'on y avoit traité. L'enfant répondit qu'il avoit été défendu de le dire : cela ne fit, comme on se l'imagine bien, qu'augmenter davantage la curiosité de la mère. Elle le pressa, et n'épargna rien pour tirer de lui son secret. L'enfant s'en défendit le plus long-temps qu'il put: mais enfin, poussé à bout, il prit ingénieusement le parti de lui donner le change. Il dit qu'il lui déclareroit le tout, pourvu que

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