Page images
PDF
EPUB

nos adorations. La plante, l'arbre, la pierre, le loup, le chien, le tigre, la vipère sont aussi adorables: l'homme, à plus forte raison, doit s'adorer lui-même.

Mais ce qui achève de montrer l'absurdité de ce système, c'est que, non-seulement le Dieu des Matérialistes n'est pas heureux, mais on peut dire qu'il est l'assemblage de toutes les misères imaginables. La portion de leur Dieu, qui est inanimée, ne sent rien, et par conséquent ne sauroit être appelée heureuse. A l'égard des hommes qui sans doute doivent faire la portion la plus noble de ce Dieu, puisque ce n'est qu'en eux qu'on voit briller les étincelles les plus vives de ce feu qui est l'ame du monde, trouvez-moi, je vous prie, parmi les hommes, des gens, je ne dis pas souverainement heureux, tel qu'un Dieu doit l'être, mais qu'on puisse appeler heureux: à juste titre. La plupart sont accablés de tant de peines, de maux, de douleurs, qu'ils sont plus dignes de pitié que d'envie. Or, penser qu'un Dieu, qui doit être essentiellement parfait, puisse souffrir et souffrir malgré lui, est une contradiction, si frappante, qu'on ne conçoit pas qu'elle puisse être admise par un homme tant soit peu pourvu de bon sens.

Les Déistes se mocquent avec raison de ce système, et le regardent, dit Bayle, comme l'entassement de toutes les extravagances; mais sont-ils eux-mêmes beaucoup plus sensés ? Si leurs principes sont moins absur des, les conséquences qu'ils tirent ne sont guère moins révoltantes.

Dans leur système, on admet un Dieu créateur, on sépare de lui la matière: on convient qu'il est un esprit infiniment par fait, heureux en lui-même. Mais on prétend qu'il est trop grand, trop élevé pour se distraire de la contemplation de lui-même, pour s'occuper de tout ce qui regarde les hommes, lesquels ne sont, à ses yeux, que comme des fourmis qui sont indignes qu'il s'en occupe. Il a créé le monde pour exercer sa puissance; il a établi des lois générales, selon lesquelles ce monde est régi; mais il ne s'en embarrasse plus: tout ce qui s'y passe lui est indifférent : il seroit au-dessous de lui de se communiquer avec ses créatures. Qu'elles vivent, qu'elles meurent, il n'y prend: seulement pas garde. Tour arrive en vertu des lois générales qu'il a établies, auxquelles il n'a plus droit de toucher: comme il est immuable dans sa nature, ill'est aussi dans ses volontés.

Voilà en peu de mots les deux principaux systèmes de nos Philosophes, sys

[ocr errors]

f

tèmes qui, au reste, prennent différentes formes, selon les différentes filières où ils passent. Si on leur demande sur quel fondement il les ont bâtis, ils ne balancent pas de répondre aussitôt que c'est sur leur raison et d'après ses plus pures lumières. Mais pourquoi done sont-ils perpétuellement aux prises les uns avec les autres, et ne s'accordent-ils ni entr'eux, ni souvent avec eux-mêmes? S'ils suivoient la même lumière, et si elle étoit aussi pure, aussi claire, aussi manifeste qu'ils le disent, ils auroient tous la même doctrine. Il ne faudroit que cette division, ces contradictions continuelles, pour nous engager à nous défier d'eux. Mais, d'ailleurs, n'est-il pas évident que ces beaux systèmes n'ont été inventés ou adoptés que par l'orgueil qui ne veut pas plier sous le joug de la foi, et par la corruption du cœur qui veut se livrer sans remords à tous ses penchans, aux passions les plus honteuses même et les plus criminelles car leurs partisans ne craignent rien tant que d'entendre parler d'un Dieu qui punit et qui punit éternellement. Cette idée les révolte : ils aiment bien mieux un Dieu indolent, qui, placé sur son trône, n'a des yeux que pour se voir et se contempler. Que les hommes se déchirent, se dévorent, se tuent, il n'y daigne pas faire

la moindre attention. Le cri du pauvre qui gémit, les plaintes de l'innocent qu'on opprime, ne parviennent pas jusqu'à son trône. Il n'a ni récompense à donner aux bons ni châtimens à infliger aux méchans. Quand l'homme meurt, tout meurt avec lui.

Il n'est pas difficile d'appercevoir les horribles conséquences qui suivent naturellement de ces systèmes, dont on se plaît tant à vanter la sagesse. Tous les devoirs de la vie civile sont anéantis: car l'homme n'étant plus retenu ni par la crainte ni par l'espérance d'une autre vie heureuse ou malheureuse, ne doit penser qu'à chercher icibas sa félicité. Il doit par conséquent tout rapporter à lui-même et tout sacrifier à ses desirs. Mais dès que l'homme doit tout rapporter à lui, et qu'il doit ne chercher que son propre avantage, dès que tout périt avec nous, et que nous n'avons d'autre félicité à attendre que celle de la vie présente, les passions n'ont plus aucun frein; toutmoyen pour les satifaire devient légitime: car qui n'a de bonheur à espérer que celui qu'il se peut procurer sur la terre, ne doit travailler que pour cela. C'est la loi même de la Nature, contre laquelle aucune loi humaine ne peut prescrire. Tous nos devoirs, par rapport aux personnes avec qui nous vivons, doivent être réglés sur nos

[ocr errors]

propres intérêts. Renoncer à son avantage pour chercher celui du public, c'est stupidité. La patrie ne doit nous être chère, qu'autant que nous trouvons notre avantage à la servir. Il en est de même de nos parens, de nos amis : honorons-les, cultivons les pour nous et non pour eux. Un fils doit respecter son père et lui témoigner de l'amour, tant qu'il en reçoit des bienfaits. Mais ce père refuse-t-il de fournir à ses plaisirs, met-il quelque obstacle à ses desirs, à ce qu'il croit son bonheur : dèslors c'est un ennemi. Il en est de même d'une épouse, d'un serviteur, d'un sujet, en ua mot de tous les hommes les uns à l'égard des autres.

-Je le demande, qui est-ce qui consentiroit volontiers à vivre avec une société d'hommes qui se conduiroient par de telles maximes? Pourroit-on compter sur le témoignage de leur amitié, sur leurs protestations? Tous les liens de la société ne sont-ils pas rompus?

Comment nos Philosophes osent-ils, après cela, se donner le nom de Sages et d'Amis de l'humanité? Ils ne parlent, il est vrai, que de bienfaisance, de générosité, de patriotisme mais ces belles vertus ne sont que dans la spéculation et dans la bouche. Où trouvera-t-on dans la pratique, des hommes

« PreviousContinue »