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tère général de toute cette législation. Autrement, nous ne laisserions à nos lecteurs qu'une idée incomplète de l'œuvre du pouvoir à cette époque. Ces Capitulaires nombreux, dont la collection forme plus d'un volume in-folio de notre temps, et nous n'en possédons pas la collection complète, ces capitulaires sont, dans la plus grande partie de leurs dispositions, relatifs à la police des mœurs. Il est évident que leurs auteurs travaillaient avec pleine conscience de leur. œuvre, à l'éducation et à la moralisation des masses. Il est évident que le pouvoir était alors en avant de la société. Aussi le plus grand nom des temps modernes parmi les rois, est, à juste titre, celui de Charlemagne.

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III. Pour rentrer de suite dans la narration des événemens, interrompue par cette longue et nécessaire déviation, il nous suffit de rappeler la charte de la division de l'empire entre Lothaire, Louis et Pepin, que nous avons citée. C'est à la violation de cette charte qu'il faut rapporter la décadence de l'Empire. Ce fut Louis-le-Débonnaire lui-même qui rompit un pacte qu'il avait juré et fait jurer à tous, à la face des autels, et avec toutes les circonstances qui, à cette époque, rendaient un contrat inviolable et irrévocable. Louis voulut mener les affaires de l'Empire comme une affaire de famille; il voulut régler des choses d'intérêt général avec les idées qu'un bourgeois porte dans l'administration de son intérieur. Un nouveau mariage lui donna un nouveau fils, Charles, qu'il aima comme les vieillards aiment leur dernier enfant. Alors il fit un nouveau partage de l'Empire, afin de lui donner un domaine. Toutes les consciences furent révoltées de cet oubli des sermens et des devoirs. Ce fut un scandale inouï pour les ecclésiastiques, les officiers et pour tout le peuple qui était admis à prêter serment. En outre, on disait, et cela était vrai, que ce faible vieillard était conduit par sa jeune femme et par un favori. On ajoutait qu'il était indignement trompé par l'un et par l'autre, et que le dernier prétendait jouer de nouveau le rôle des anciens maires du palais. L'Église fit des représentations; les fils y ajoutèrent les leurs qu'ils apportèrent à la tête d'une armée ou plaid de tout le peuple.Le pape Grégoire IV lui-même intervint; ilaccourut de Rome en France. Ce

fut en vain que le vieillard persista. On sait comment il fut déposé; puis, comment il reprit de nouveau le pouvoir, et donna à Charles une royauté. Plusieurs historiens ont vu dans ces événemens une lutte de race. En vérité, il est impossible d'admettre cette explication. Il est évident qu'il s'y manifesta seulement la lutte entre les intérêts généraux et un égoïsme de famille. Il est trèsremarquable que les appuis de Louis, dans son entreprise contre l'unité nationale, furent les nouveaux sujets de l'Empire, les peuplades d'Allemagne. Il eut contre lui tout ce que l'Église offre de plus respectable et de plus instruit. Il les trouva, lorsqu'il fut dans l'adversité, bienveillans et crédules à ses promesses; intraitables, lorsqu'il redevint tout puissant, même devant les menaces et la persécution.

Il est un fait qu'on saisit au milieu des désordres de cette cour, et que nous croyons utile à noter, parce qu'il explique la grande influence des princesses impériales et royales de ces temps. La femme de l'Empereur était chargée de l'administration des revenus du domaine impérial, c'est-à-dire du ministère que nous appelons aujourd'hui ministère des finances.

Louis-le-Débonnaire mourut en 840. Les germes de dissolution qu'il avait semés fructifièrent largement. Il s'agissait de savoir si les rois seraient vassaux de l'Empire, c'est-à-dire si l'unité de l'Empereur, serait conservée. Or, il y avait un roi qui ne pouvait reconnaître l'Empereur: c'était Charles, dit le Chauve, qui était alors en possession de l'Aquitaine. Loin de là, à la mort de son père, il se jeta sur les terres qui avaient été réservées au domaine spécial de l'Empereur. Il entra en Neustrie, où il ne trouva que des résistances partielles, des Évêques, des abbés, des comtes, dont il chassa facilement les troupes peu nombreuses. Car il ne faut pas oublier que ce pays, ainsi que l'Austrasie, était celui qui était le plus dégarni d'hommes d'armes, parce que c'étaient ces deux pays qui en avaient le plus fourni pour les conquêtes des règnes précédens. Charles débaucha Louis-le-Germanique par la considération de son intérêt privé, et lorsque Lothaire vint, accompagné des légats du Pape, réclamer les droits que lui ac

cordait la charte de 817, il les trouva tous deux réunis, et à la tête d'une nombreuse armée. Ce grand procès fut jugé à la bataille de Fontenay, par ce qu'on voulut bien appeler plus tard le Jugement de Dieu. Il donna gain de cause à Charles et à Louis, et le principe de la division de l'Empire y fut scellé du sang de plus de quarante mille Français.

Les historiens modernes se sont encore plu à voir dans cet événement grave le fait de nationalités en lutte, acquérant, pour résultat de leurs efforts, leur indépendance réciproque. Or, il n'y a rien de cela. D'abord, la vieille France prit une très-faible part à ce combat. Il fut soutenu par des hommes presque tous venus ďaudelà les Alpes, le Rhin et la Loire. Deux principes furent mis en cause, deux principes que nous retrouvons encore présens dans nos temps modernes, comme partout: celui du fédéralisme, et celui de l'unité, ou, en d'autres termes, celui qui commande de sacrifier les intérêts généraux aux intérêts particuliers des provinces ou des individus, et celui qui commande de sacrifier les intérêts particuliers aux intérêts de tous. Les rois Charles et Louis représentaient le premier, et Lothaire le second.

- On

On pourra dire que si la scission scellée à Fontenay n'avait eu lieu, le progrès, qui fut le résultat des événemens qui l'ont suivie, n'aurait pas été accompli; car celui-ci, ajouterait-on, fut la conséquence d'un changement profond introduit dans la société par suite même de ces événemens. L'emploi d'un tel mode de raisonnement propre à justifier le mal partout où il se trouve, annoncerait une profonde ignorance de la loi du progrès; ce serait prendre ce qui lui fait obstacle pour cette loi elle-même; ce serait donner son nom au principe qu'elle combat; ce serait supposer que le mal lui est plus utile que le dévouement lui-même qui en émane directement. C'est donc une raison absurde sur laquelle nous ne devons pas nous arrêter.

On rejette comme puériles les nombreuses plaintes qu'inspira aux poètes de l'Église cette triste guerre elles étaient justes cependant. L'Église, placée au sommet de l'œuvre de civilisation, voyait de plus haut que les princes temporels. Elle n'avait qu'un

appui, la France, et elle craignait de le perdre. Et ne fut-elle pas, en effet, plus tard, et par une conséquence forcée des événemens, mise à deux doigts de sa ruine! Lesrois Louis et Lothaire n'étaient pas si certains de la bonté de leur cause. Ils consultèrent les Évêques de leur parti, qui prononcèrent que la bataille devait être considérée comme un jugement de Dieu, bien qu'aucune des formes usitées, dans le cas où on en appelait à ce jugement, n'eussent été observées. Enfin, eux-mêmes se hâtèrent de promettre que, malgré leur victoire, l'unité ne serait pas rompue, et c'est ce qu'ils firent, en 842, par le fameux serment de Strasbourg, prononcé devant leurs deux armées réunies.

En 843, cent vingt seigneurs français des trois partis partagè rent le royaume. L'Empereur eut toute l'Italie et tout le territoire qui, partant des Alpes, suit, d'un côté, le Rhin jusqu'à la mer du Nord, et, de l'autre, suit le cours du Rhône et celui de la Meuse. Charles-le-Chauve eut tout le territoire au couchant de cette ligne; et Louis toute l'Allemagne.

La réconciliation entre les frères ne fut pas solide, et ne fut pas exempte d'une sourde hostilité. Charles-le-Chauve était dé testé de ses sujets; aussi il y eut des conspirations en faveur de Louis-de-Germanie; mais elles avortèrent.

Ainsi, en 847, dans un plaid général, à Mersen-sur-Meuse, où les trois frères étaient présens, il fut pris diverses dispositions afin de rendre la guerre civile impossible. Il est dit dans l'annonciation du roi Charles: Que chaque homme libre pourra choisir le seigneur qu'il voudra, soit le roi, soit quelque autre de ses fidèles (art. 11); qu'un vassal du roi ne sera obligé de marcher militairement que dans le cas d'invasion du royaume (art. V); enfin, il fut établi encore que les enfans des rois succéderaient à leurs pères, et qu'ils ne seraient point troublés dans leur droit au partage (1).

Cependant la paix ne tenait encore à rien. Un événement sans importance ralluma le feu de la guerre civile. Lothaire quitta l'empire,

(1) Collect. des Bénédictins de St-Maur, t. vi, pag. 603 à 605.

et se retira dans un monastère, pour s'y consacrer au service de Dieu, laissant son gouvernement en partage à ses enfans. Alors toutes les ambitions éclatèrent, et, dès ce jour commença une suite de désordres civils qui ne cessèrent plus ; une suite d'événemens sans intérêt philosophique, puisqu'ils n'avaient d'autre raison que celle d'une ambition personnelle. Depuis cette époque l'Empire ne cessa d'être divisé et disputé jusqu'en 884, où il fut, au moins en apparence, réuni sous un seul nom de la descendance de Pepin. Il suffit de présenter le tableau des noms de rois qui se succédèrent, occupant simultanément quelque point du territoire de l'Empire, pour donner l'idée du désordre.

En 856, Charles-le-Chauve possédait la Neustrie et une portion de l'Aquitaine; Louis-de-Germanie, la Bavière et l'Allemagne; Louis, l'Italie et le titre d'Empereur; Lothaire, la Lorraine ; Charles, la Provence, et la Bourgogne, dont alors la Suisse faisait partie. Herispoë s'était fait roi des Bretons.

En 868, Charles-le-Chauve possédait la France occidentale, la Bourgogne et la Lorraine; Louis, la Germanie, la Bavière et l'Allemagne ; Louis II était empereur en Italie.

En 875, Charles-le-Chauve possédait de plus l'Italie avec le titre d'Empereur; et Louis-le-Germanique, encore la Bavière et l'Allemagne.

En 876, Charles-le-Chauve possédait le titre d'empereur, la Neustrie, l'Aquitaine, la Bourgogne et la Provence ; Carloman, la Bavière et l'Italie; Louis II, partie de l'Austrasie; Charles, l'Allemagne.

En 878, Louis-le-Bègue avait succédé à Charles-le-Chauve son père. Il mourut la même année, laissant pour lui succéder deux enfans mineurs, Louis et Carloman. Carloman était roi de Bavière; Louis, d'Austrasie, et Charles, dit le Gros, d'Allemagne. En 879, Boson est élu roi d'Arles.

En 882, Charles-le-Gros était empereur et roi de Germanie, et Carloman possédait la Neustrie, l'Aquitaine et la Bourgogne. En 884, Charles III, dit le Gros, fut élu roi de France; car il

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