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tantôt, et le plus souvent, Bagaudia (1), comprenait les deux Aquitaines; la deuxième, la troisième, la quatrième Lyonnaise, et une partie de la deuxième Belgique, c'est-à-dire les provinces que nous nommons aujourd'hui l'Auvergne, le Berri, la Bretagne, la Normandie, l'Ile-de-France, l'Artois, la Champagne, etc. Ainsi, d'après la notice d'Honorius, environ quaranteneuf cités s'engagèrent dans un pacte d'union. D'ailleurs, l'insurrection ne tarda pas à devenir complète. Les villes insurgées formèrent des congrès pour délibérer sur les intérêts communs; elles levèrent des troupes; enfin, elles s'attribuèrent l'administration de la justice, des impôts et de la guerre. Il paraît que, dans ce changement, les évêques reçurent généralement le gouvernement des affaires temporelles, et en disposèrent avec la même autorité qu'ils portaient déjà dans l'administration spirituelle. Cette dernière circonstance explique comment, peu d'années après, la politique du pays situé entre la Meuse et la Loire reçut une direction si positivement catholique.

La confédération des Bagaudes n'acquit son complet développement et une publicité entière que vers l'an 409. Elle se serra et se fortifia au fur et à mesure que le besoin qui l'avait créée devint plus pressant. Ainsi, lorsque l'élu des légions, ce Constantin que les légendes grecques appellent tyran, ce Constantin qui avait chassé les Barbares, eut dissipé sa fortune dans des guerres entreprises en Espagne, en Italie, et eut été vaincu et pris par une armée impériale, les Bagaudes présentèrent un faisceau assez puissant pour que le général de la cour de Ravenne n'osât compromettre son armée en les attaquant.

Leur résistance n'était que juste, et ce fut un bienfait dans ce temps d'anarchie. Elle signalait un besoin de conservation auquel l'empire romain ne pouvait plus satisfaire. Bientôt les deux pro

(1) Le nom de Bagaude est le nom gaulois; il signifie attroupement. Le nom armorique est le nom romain; c'était le titre du commandement maritime des côtes de l'Océan. Il fut ensuite étendu à toutes les provinces qui successivement, et par des causes diverses, furent attachées à ce commandement. Les historiens ont préféré le mot armorique à celui de bagaude, parce que celui-ci avait été employé comme terme d'injure.

T. I.

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vinces germaniques essayèrent de prendre part à ce mouvement d'indépendance, mais elles agirent avec moins de sagesse que leurs aînées; et, au lieu, d'un congrès, elles mirent à leur tête, comme empereur, un noble Gaulois, Jovinus (1). Celui-ci s'adjoignit, comme auxiliaires, des Francs et d'autres barbares.

La Cour de Ravenne, dans l'impuissance de rompre cette grande association formée de la république des Armoriques et du nouvel empire des bords du Rhin, livra les Gaules aux Visigoths pour y faire le service militaire. Elle en délivra ainsi l'Italie en 412. Ceux-ci accomplirent en partie leur mission. Ils réusșirent à détruire l'union qui formait l'empire de Jovinus, et le livrèrent lui-même vivant aux Romains; ils entamèrent même la première confédération des Bagaudes, à laquelle ils enlevèrent une partie des Aquitaines. Ces victoires furent sans doute obtenues difficilement, car bientôt les Romains pensèrent à recourir aux négociations pour obtenir la soumission des Bagaudes. En conséquence, ils firent passer les Visigoths en Espagne, et chargèrent, en 417, un Exupérantius, citoyen du diocèse de Poitiers, de traiter avec les cités indépendantes: il réussit en partie. Ainsi, il obtint des cités d'Aquitaine, et de la seconde Belgique, qu'elles renonçassent au pacte d'union, et qu'elles reçussent les officiers de l'Empereur. Mais les villes des trois Lyonnaises résistèrent à ses avances. Ainsi, vingt-deux cités, Paris, Meaux, Auxerre, Troyes, Chartres, Sens, Rouen, Bayeux, Avranches, Évreux, Séez, Lisieux, Coutances, Tours, Le Mans, Rennes, Angers, Nantes, Quimper, Vannes, et deux autres villes de Bretagne qui n'existent plus, conservèrent leur indépendance.

Pour assurer la fidélité des provinces ramenées à l'obéissance, soit par les armes des Visigoths, soit par les négociations d'Exupérantius, Honorius et Théodose, Empereurs, publièrent, en 418, un édit qui renferme les dispositions suivantes : Il devait y avoir, chaque année, depuis le 15 août jusqu'au 13 septembre, à Arles, un concile ou une assemblée civile, composée des juges et des autres officiers des sept provinces, ainsi que des Évêques et des no

(1) Jovinus, vir Galliarum nobilissimus. (Oros., lib. 7, cap. ult.)

tables, c'est-à-dire des députés de la propriété. L'assemblée devait être présidée par le préfet du prétoire. Une amende considérable était prononcée contre ceux des élus qui manqueraient de s'y rendre. Les sept provinces étaient la Viennoise, la province des Alpes, la seconde Narbonnaise, la première Narbonnaise, la Novempopulanie, la seconde Aquitaine et la première Lyonnaise, c'est-à-dire tout ce qu'on appelle aujourd'hui le midi de la France. Quant aux deux Germanies et aux Belgiques, on y envoya un général et une armée, et Exupérantius fut nommé préfet du prétoire à Arles, capitale des sept provinces du midi.

Ces dispositions, qui semblaient faites dans l'intérêt de garantir la tranquillité et l'indépendance des Gaules, eussent réussi, sans doute, à rattacher l'opinion publique aux Romains, et à ramener les Bagaudes à reconnaître les officiers de l'empereur; mais, six ans après, on apprit que de nouveaux troubles s'élevaient en Italie: Honorius et Constance, Empereurs d'Occident, étaient morts, et l'on se battait de l'autre côté des Alpes, et jusqu'en Afrique, pour recueillir ou partager leur succession. Peu de temps après, l'on sut que l'Empereur d'Orient l'avait emporté; mais c'était en introduisant sur le vieux sol romain une nouvelle nation barbare, une bande de Huns dont on racontait avec frayeur les mœurs féroces. En même temps, à Arles, les troupes romaines massacrèrent le préfet du prétoire. Les Visigoths, qui étaient revenus d'Espagne, et qui étaient rentrés dans les provinces méridionales, recommencèrent leurs courses; et vers le Nord, des Bourguignons et des Francs se mettaient à piller deux cités gauloises, Metz et Trèves. Il était donc évident qu'il n'y avait plus rien à espérer de l'Empire, et qu'il fallait chercher des secours seulement en soi-même. Il est vrai qu'une armée impériale, commandée par Aétius, vint d'Italie forcer les Visigoths à reconnaître l'Empire, et à lui prêter le serment militaire; elle poussa, le long du Rhône et de la Saône, jusque vers Metz, rejetant, dans leurs limites, quelques bandes de Francs et de Bourguignons; mais cette arméc fut bientôt rappelée, et alla se dissiper dans une guerre civile. Aussi toutes les

cités des Gaules, qui n'étaient point retenues par la présence des Visigoths, essayèrent de se faire indépendantes, et d'entrer dans la confédération des Bagaudes. En 435, cette conspiration était flagrante partout, et avait même déjà réussi dans la partie septentrionale, sous la conduite d'un citoyen nommé Tibaton.

Elle fut arrêtée dans ses progrès par le retour d'Aétius. La guerre civile était terminée, et il accourait pour rétablir enfin l'ordre, c'est-à-dire la soumission dans les Gaules. Il amenait avec lui une armée de ces barbares, Huns, Alains ou Scythes, tant détestés. La ligue commandée par Tibaton fut attaquée et vaincue. Les Bourguignons, qui s'avançaient vers le Rhône, furent repoussés; les Visigoths furent forcés à renouveler leur serment. Vers 443, il ne restait plus à soumettre que les vingt-deux villes de la puissante union armoricaine; mais, après tant de succès, achetés sans doute à grand prix d'hommes,'Aétius se trouva trop faible et craignit de se compromettre en tentant cette entreprise: il la confia à un certain Eocarix, roi de barbares auxiliaires. Celui-ci fut arrêté dans sa marche, dit la légende, par les prières de saint Germain, Évêque d'Auxerre. Il est probable qu'il recula devant une expédition dont ce saint envoyé sut lui montrer les dangers, et qu'il accorda un armistice qui permit de négocier les conditions de la soumission des villes rebelles. En effet, ce même saint Germain se rendit à Ravenne, en 443 ou 447, pour traiter avec la cour de la pacification des Bagaudes.

Quelles pouvaient être les bases sur lesquelles saint Germain l'Auxerrois était autorisé à traiter? Il est facile de le deviner d'après ce qui s'était passé et d'après ce qui arriva bientôt. L'Union devait être persuadée du danger de se mettre à la disposition de la cour impériale: l'état affreux des parties des Gaules restées sous son administration, constamment parcourues par des armées mues seulement dans des intérêts particuliers, leur offrait un exemple de ce qu'elles devaient craindre. En outre, les Évêques, qui avaient la principale part dans le gouvernement des villes associées, devaient éprouver une profonde horreur contre cet usage impérial de se servir indifféremment de généraux et de

soldats barbares ou ariens, et contre cette indifférence qui abandonnait à leurs violences, des populations chrétiennes. Les Bagaudes devaient donc seulement se proposer de gagner du temps. Elles étaient si peu disposées à se soumettre, qu'elles chassèrent un émissaire d'Aétius; et, les troupes romaines ayant réussi à se faire ouvrir les portes de Tours, d'Orléans et d'Angers, elles armèrent pour reprendre ces villes, et défendirent avec tenacité tous les postes qui dépendaient de leur territoire, et que la trahison ne leur avait pas enlevés.

C'est dans ce but d'indépendance qu'elles durent voir avec plaisir l'établissement des Francs, commandés par Clodion, sur les limites septentrionales de la seconde Belgique, province qui obéissait tout entière aux officiers d'Aétius. Ce dut être à leurs yeux une diversion favorable, et une garantie pour leurs propres frontières de ce côté. Clodion était parti du pays de Tongres (1). Après avoir traversé la forêt Charbonnière qui couvrait alors tout le terrain si riche que nous appelons la Flandre, il entra dans Cambrai d'abord, puis s'empara de Tournai, en chassant de ces deux cités les officiers et les soldats impériaux qui les occupaient. Clodion était un barbare; mais son expédition dut avoir un caractère d'humanité inconnu dans ce temps. En effet, le territoire de Tournai était occupé depuis long-temps par un peuple qui était en partie d'origine franque, et qui y avait reçu des terres à titre de bénéfice militaire. Dans Cambrai, il existait encore un grand nombre de payens non convertis. Il est donc probable que le roi Franc avait été appelé par une conjuration des citoyens, et les nouveaux venus apprirent de ceux-là à respecter les Évêques. D'ailleurs, c'était un établissement stable qu'on voulait fonder, et l'on respecta les mœurs de ceux dont on voulait se faire des associés ou des fidèles: le pays était en outre trop pauvre et trop peu peuplé pour qu'il pût être un but de pillage. Il est très-remarquable que Clodion entra en guerre avec Aétius dès le premier jour; mais il fut en paix avec les Bagaudes; il arrêta même ses

(1) Voyez à cet égard la discussion de Dubos. (Hist. crit. de la Mon. franç., liv. 2.)

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