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des actes continuels de conservation sociale, au dehors, contre l'Autriche, l'Espagne et l'Angleterre, au dedans, contre le fédéralisme aristocratique, s'était égaré dans les voies de l'égoïsme, et devait nécessairement y périr. Les hommes de 1789 appréciaient de la manière suivante le mouvement de ce pouvoir.

« Il s'en fallut peu que les orages qui se formèrent dans le sein de l'Etat, sous la minorité de Louis XIII, son inexpérience lorsqu'il voulut régner, les cabales de sa cour, la timide impéritie de son conseil, ne remissent la France sous le joug aristocratique. Ce n'était partout qu'intrigues et factions; les princes du sang, les gouverneurs des provinces, ceux des villes, les

commandans des troupes, regardaient leurs offices comme une propriété patrimoniale; comblés de grâces et d'honneurs, ils mettaient sans cesse un nouveau prix à leur fidélité équivoque; sans cesse la cour était forcée de marchander leur soumission apparente; les trésors de l'Etat, prodigués à leur insatiable avarice, ne suffisaient plus pour arrêter leur défection; et le peuple, livré à une multitude de tyrans, éprouvait sous une administration sans vigueur toutes les horreurs de la plus désolante anarchie.

› Ces désordres disparurent devant le génie de Richelieu..... Le chaos de la monarchie se débrouilla sous sa main redoutable; tous les pouvoirs furent restitués au trône, et dès ce moment la France se montra sur la scène politique avec toute la dignité qui lui appartient dans la balance des états de l'Europe.

» Laissons les aristocrates se déchaîner contre la mémoire de ce ministre intrépide, qui terrassa leur orgueil, et vengea le peuple de l'oppression des grands. Songeons qu'en immolant de grandes victimes au repos de l'État, il en devint le pacificateur, qu'il porta le premier les véritables remèdes à la racine du mal, et qu'il prépara de loin les jours de la régénération de la France, en abaissant les pouvoirs intermédiaires qui asservissaient la nation depuis près de neuf siècles. La marine lui doit sa renaissance; Le commerce.... fut appuyé, sous son ministère, sur les maximes les plus propres à en favoriser les progrès ; les lettres et les arts...

rien de ce qui peut rendre un vaste royaume puissant et glorieux, n'échappa à son infatigable activité.

› Louis XIV recueillit les fruits des immenses travaux de Richelieu; mais la manie des conquêtes, l'ostentation, l'ivresse du pouvoir absolu..., attirèrent sur ses dernières années des revers qui étonnèrent même ses ennemis..

.....C'est ici qu'on doit regretter qu'au milieu de ses prospérités, ce monarque n'ait pas entrevu la gloire dont il eût pu se couvrir en émancipant la nation, dont ses augustes prédécesseurs avaient brisé les chaînes. Le moment était venu de renouveler l'alliance qui doit régner éternellement entre le trône et le peuple, et de fonder une Constitution; de soumettre aux mêmes charges et de faire participer aux mêmes avantages, tous les ordres de l'Etat... Richelieu avait mis Louis XIV en état d'opérer cette révolution glorieuse sans danger et sans trouble; mais le caractère présomptueux du honarque.... etc (1). »

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En effet, au lieu de poursuivre la réalisation de l'unité française, en faisant progressivement disparaître, à la suite de la féodalité, des institutions qui divisaient le peuple en classes rivales, des barrières qui partageaient le sol en provinces, une administration, enfin, contradictoire aux mœurs et aux besoins nouveaux, Louis XIV travailla uniquement à la fortune de sa famille et à celle de son gouvernement. Il ne comprit pas que le protestantisme avait perdu tout caractère politique dans ses luttes avec Richelieu. Sa révocation de l'édit de Nantes frappa des familles inoffensives, et non pas des seigneurs rebelles. A ce coup d'état d'autant plus odieux qu'il était parfaitement inutile, se joignirent les dragonnades des Cévennes, expédition contre le vrai peuple, laquelle vouait aux antipathies nationales le règne des dévots.

Le pouvoir était cependant en demeure d'opérèr d'importantes réformes. Les États-généraux de 1614 avaient formellement demandé la suppression des jurandes et maîtrises: Sans que par ciaprès, disent-ils, elles puissent être remises, ni aucunes autres de

(1) Résumé des cahiers etc. par une société de gens de lettres; discours préliminaire, pages lxxij et suivantes.

nouveau établies, de manière que lesdits métiers soient laissés libres à vos pauvres sujets.... et qu'il ne soit fait aucun édit pour lever deniers sur les artisans, pour raison de leurs arts et métiers, et qu'ils ne payent ni ne donnent aucune chose pour leur réception, lèvement de boutiques ou autres, soit aux officiers de justice, aux maîtres, etc., et ne fassent banques ni autres dépenses, même pour droit de confrairie ou autrement.

Ce mal ne fut pas détruit. L'édit de 1673 l'aggrava au contraire, et l'étendit à tous les artisans et marchands qui n'étaient pas en communauté. Cette misérable affaire chargeait l'industrie et le commerce de douze millions par an en frais de police, etc., et ne rapportait au roi que 400,000 livres (1).

Les grandes opérations de Colbert, emportées par le système général du gouvernement, furent presque toutes ruineuses. En 1664, le dénombrement qu'il fit faire des offices, en porta le nombre à quarante-cinq mille sept cent quatre-vingts; le capital de ces offices allait à 419,630,842 livres. Colbert en ́supprima plusieurs; mais il en recréa ensuite. En 1665, il réduisit l'intérêt de l'argent au denier vingt, et presque aussitôt il fut obligé d'é'tablir une caisse d'emprunt au denier dix-huit; lui-même, selon Forbonnais, n'emprunta jamais aux financiers au-dessous de dix pour cent.

Son tarif de 1667 ruina le commerce des Hollandais, qui était le nôtre, et voulut y suppléer par des compagnies exclusives qui ne le firent pas. De la sorte furent presque anéantis soixante-dix millions d'exportations certaines, et réduits de moitié, les soixante millions de marchandises que les Anglais tiraient de France (2). Les compagnies qu'il fonda périrent avant sa mort, à l'exception d'une seule; il créa une compagnie de commerce du Nord, qui s'éteignit peu après; une compagnie des Indes occidentales, qui succomba en 1674, et dont le roi paya les dettes; une compagnie du Sénégal, avec une gratification de 15 livres par tête de Nègre.

(1) De la liberté du commerce et de l'industrie, par Bigot de Ste-Croix. Chez Lacombe, 1775.

'(2) De l'administration provinciale et de la réforme de l'impôt, pag. 34.

Celle des Indes orientales, dont l'intérêt fut un des motifs de la fameuse guerre de Hollande, vendait, en 1684, en vertu de son privilége exclusif, là permission de faire un commerce qu'elle ne pouvait plus continuer par elle-même. Elle prit sous la régence une nouvelle vie : liée au système de Law, elle lui survécut ; mais elle ne se soutint que par des secours continuels, et finit par impuissance, en 1769, après avoir coûté à l'État plus de quatre cents millions (1).

Les successeurs de Colbert se laissèrent complétement entraîner aux mauvaises ressources que ce grand ministre avait été trop souvent contraint de subir, mais contre lesquelles il n'avait pas. du moins cessé de lutter.Les rentes et les offices à gages se multiplièrent au point qu'en 1715 le trésor s'en trouvait obéré. Un fait décisif résume tristement la longue suite des désastres par lesquels un pouvoir qui ne vivait plus, depuis près d'un siècle, de l'accomplissement du devoir social, inclinait chaque jour vers sa ruine. La plaie du discrédit le rongeait si profondément parmi ses pompes insolentes et ses formes absolues, que Louis XIV, dans sa vieillesse, eut un besoin pressant de huit millions, et fut obligé de les acheter par trente-deux millions de rescriptions : c'était emprunter à quatre cent pour cent (2).

Ce prince mourut endetté de 2,471,000,000. Ses dernières volontés furent pour les siens : il avait légitimé tous ses enfans naturels; il légua le bénéfice de la régence à l'un d'entre eux, le duc du Maine, homme d'une incapacité reconnue.

Le parlement cassa son testament, à la sollicitation et au profit du duc d'Orléans, qui se souvint alors de tout ce qu'il avait eu à souffrir des princes légitimés; il ne pouvait d'ailleurs tolérer dans leur droit de succéder à la couronne, la supposition odieuse de l'extinction de sa famille: il résolut en conséquence d'anéantir les prérogatives qu'ils tenaient de leur père.

Les princes résistèrent de toutes leurs forces à cette entreprise, du régent, et peu s'en fallut qu'une querelle domestique n'a

(1) De l'administration provinciale et de la réforme de l'impôt, page 34. (2) Introduction au Moniteur.

que la

menât la révolution. Déjà du vivant de Louis XIV, et dans un pur esprit d'hostilité contre sa personne, les souverains alliés avaient demandé de traiter avec les États-généraux du royaume. Cette proposition fut faite lors de la paix d'Utrecht; plusieurs mémoires attribués à la malveillance anglaise parurent, à ce sujet, et restèrent sans résultat par des raisons meilleures sans doute réponse tout-à-fait insignifiante du gouvernement. Ici un intérêt particulier souleva la même question : le duc du Maine et ses cointéressés, appuyés par trente-neuf grands seigneurs, firent signifier au procureur-général et au greffier du parlement une protestation de nullité contre tout jugement de cette affaire, prétextant qu'elle avait un caractère national, et qu'il fallait la déférer aux États-généraux. Quelques lettres de cachet délivrèrent d'abord le duc d'Orléans de cette tentative; mais elle fut renouvelée d'une manière beaucoup plus grave lorsqu'il rompit brusquement avec la politique de Louis XIV, et s'allia à l'Angleterre, à l'Empire et à la Holiande, qui faisaient la guerre à l'Espagne. Les mécontens accréditèrent sur son compte des projets d'usurpation: les restes de l'ancienne cour, la cour d'Espagne, les jésuites, tous les dévots de Paris et des provinces, se liguèrent contre le régent. La faction, dirigée par Cellamare, ambassadeur d'Espagne, fut principalement inspirée par le fameux cardinal Alberoni, premier ministre de Philippe V. On prétendait enlever le régent dans une partie de plaisir, le transférer en Espagne, assembler les états-généraux, etc., etc. Une fille et un copiste révélèrent ce complot, et l'abbé Porto-Carrero fùt arrêté à Poitiers, au moment où il portait à Madrid soixante mémoires sur les moyens d'opérer la révolution.

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La source et les motifs de cette intrigue montrent ce qui plus tard paraîtra dans tout son jour, des égoïsmes froissés défendant leur position contre un pouvoir égoïste, et le menaçant des étatsgénéraux, à peu près comme des complices en sous-ordre menacent leur chef de le livrer à la loi. Nous donnons le manifeste fabriqué en cette occasion au nom de Philippe V. On ne pouvait pas dissimuler sous un empressement plus spécieux pour le bonheur

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