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saint Pélerin. Elle disparut avec une foule d'autres objets précieux, lors de la prise de la ville par les protestants.

Je n'ai pas retrouvé d'autres traces soit aux temps anciens, soit aux temps modernes de libéralités faites par des particuliers, et d'ailleurs le plus vieil inventaire original que nous possédions, n'est daté que de 1531. Restent les donations des évêques, qui d'abord purement volontaires, deviennent plus tard un droit régulier, exigé par le chapitre. Pour celles-là, nous avons une source d'informations fort précieuse, bien qu'un peu trop concise. Je veux parler des Gesta, que j'ai dépouillés dans le but de reconstituer autant que possible, le trésor de notre cathédrale. On me pardonnera la sécheresse de cette énumération, mais elle est indispensable au sujet que je traite.

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SAINT-DIDIER (603-621). Ce prélat est, d'après notre manuscrit, le premier évêque d'Auxerre qui constitue à son église un trésor. Il lui fit don de toute sa vaisselle. On en trouvera une énumération trop sommaire dans les Gesta, énumération que Lebeuf s'est encore complu à abréger dans le tome Ier de ses Mémoires ecclésiastiques (1).

Ce présent magnifique consistait en bassins, aiguières, écuelles, salières, cuillères, fourchettes, gobelets, cannelles (2) et couloirs (3). Sur ces ustensiles on voyait des représentations d'hommes, d'animaux, et d'autres figures profanes. Peut-être s'agissait-il en effet de scènes mythologiques, et une partie de cette vaisselle provenait-elle de la basse période gallo-romaine, car bien qu'il y ait eu une orfévrerie mérovingienne, cet art était tombé assez bas au commencement du viie siècle. Pourtant un des bassins est mentionné comme portant une croix en relief. En somme, tout cela fait bien l'effet, pour l'ensemble, de l'argenterie d'une vieille famille franque ou gauloise, servant non au culte, mais aux usages de la vie mondaine, et que notre évêque a volontairement détournée de sa primitive destination. Le poids total en métal précieux se montait à 420 livres et 7 onces, ce qui, pour l'époque, représentait une valeur considérable, et donne une grande idée de la libéralité de saint Didier. Ses successeurs, du reste, ne manquèrent pas de suivre son exemple.

(1) V. aux pièces justificatives. Cet inventaire a été publié au tome IV desdits Mémoires, édit. Challe et Quantin, aux preuves.

(2) Espèce de chalumeau servant à l'absorption du vin dans la communion sous les deux espèces.

(3) Sorte de passoire à travers laquelle on introduisait le vin dans le calice.

Le bienheureux SCOPILION (683-691) donna à son église quelques vases d'argent que l'on voyait encore à la fin du Ix siècle, avec son nom gravé dessus.

SAINT-PALLADE (622-657), qui vient immédiatement à sa suite, est mentionné comme ayant donné une croix d'or très pur, et plusieurs vases d'argent que l'on voyait encore marqués de son nom dans le trésor de la cathédrale, aux temps de Charles-leChauve.

A propos d'НAYMAR (748-763), qui se distingua contre les Sarrasins, et mourut au pays de Toul, victime d'une vengeance particulière, les Gesta racontent qu'au 1x siècle, on montrait encore sur un autel de la cathédrale, une croix d'or renfermant une parcelle de la vraie croix, et portant la représentation de son martyre, ou de son assassinat.

Le vénérable MAURIN (772-800) augmenta le trésor d'une pièce d'étoffe très riche, ornée d'or et de pierres précieuses, et d'une croix sertie de diamants, sur laquelle il fit graver son nom.

Le vénérable AARON (800-813) fit dresser sur le maître-autel, un magnifique ciboire où l'or et l'argent ne furent point épargnés. Le bienheureux ANGELELME (813 828), fit entourer de feuilles d'argent le principal autel de l'église matrice, (la cathédrale d'Auxerre comptait alors trois églises distinctes) (1). Il fit en outre suspendre devant cet autel trois couronnes d'argent, l'orna de dix chandeliers de même métal, donna un très beau calice garni de sa patène, auquel il inscrivit son nom. Il eut soin de placer dans un lieu voisin du maître-autel une grande croix, où pendait un christ dont le visage était d'or et d'argent, et devant ce christ, on éleva un autre autel surmonté d'une table d'argent. Il ajouta à toutes ces libéralités, quatre grosses cloches très sonores, une châsse garnie d'or et d'argent, pour y déposer la chappe de saint Amatre, (elle fut remplacée par l'évêque Pierre des Grez, en 1320, et prise par les Huguenots en 1567), et orna de très belles tapisseries le lieu où chantait le clergé attaché à la cathédrale. La châsse où étaient renfermés les vêtements de saint Urse, évêque d'Auxerre de 502 à 508, était aussi un monument de sa munifi

cence.

(1) Beaucoup de cathédrales comptaient alors trois églises séparées en l'honneur de la sainte Trinité. A Auxerre, la plus considérable était celle dédiée au patron du diocèse saint Etienne, puis celle de saint Jean-Baptiste. La troisième était consacrée à la Vierge, et devint plus tard NotreDame-de-la-Cité. Les deux premières furent absorbées dans le beau monument commencé par l'évêque Etienne de Seignelay.

Saint HERIBALD (829-857), ne resta pas en arrière; on le voit augmenter le trésor de son église épiscopale de quatre couronnes d'argent, de plusieurs tables de même métal à placer sur les autels, d'une châsse précieuse, où furent respectueusement déposés les vêtements du grand saint Germain.

Saint ABBON (857-860), donna à son tour, une croix d'or garnie de pierreries, et un très beau parement d'autel. Puis à sa mort il laissa une grande quantité d'or pur, destiné à couvrir le grand autel.

WALA (873-879), suivant cet exemple, fait présent de plusieurs vases d'or et d'argent et d'ornements très précieux.

Le vénérable HÉRIFRID (887-909), fait présent de 50 livres de deniers pour orner les trois autels de Saint-Étienne, de NotreDame et de Saint-Jean.

GAUDRY (918-933), fait fabriquer à ses dépens un bras d'or garni de pierreries, pour y renfermer les reliques de Saint-Étienne et de divers autres saints, et un autre bras de même métal, sans pierreries, qu'il remplit des ossements de saint Germain. Là ne se bornèrent point ses libéralités; les Gesta mentionnent deux petites croix d'or, dont une artistement incrustée d'ambre, portait la représentation du martyr de saint Laurent. Ce prélat, qui était allé à Rome, avait beaucoup de dévotion pour le diacre martyr; il avait enfermé dans cette croix plusieurs parcelles de son corps. La cathédrale possédait alors une très belle tenture parsemée de lions, d'origine, ou d'école évidemment bysantine; Gaudry n'eut point de paix qu'il ne s'en fût procuré la pareille pour lui servir de pendant. Parmi ses présents, on remarque un parement de couleur verte, brodé d'hirondelles. Aux grandes fêtes on mettait sur ce parement l'ornement en broderie d'or, acquis des deniers légués par le vénérable Hérifrid. Enfin, Gaudry donna une bannière éclatante d'or qui devait précéder les processions générales. C'est la première fois qu'un objet de cette espèce est mentionné par les Gesta.

Le vénérable GUI, (933-961), se montra encore plus libéral. Il fit déposer au trésor une table d'argent, destinée à orner plus tard l'autel de saint Mathieu l'Évangéliste, pour lequel il avait une dévotion particulière, et qu'il avait fait construire de ses deniers, sept lampes d'argent pesant avec leur fût quinze livres, dix bannières brodées d'or, deux chandeliers d'argent, deux bâtons garnis de feuilles d'argent, pour porter la croix d'or processionnelle, deux couronnes d'argent du poids de dix livres, un siège portatif orné d'or et d'argent, une pièce d'étoffe pourpre, décorée d'or et d'argent. Il fit recouvrir à nouveau de feuilles d'argent la base des colonnes du sanctuaire.

HUGUES DE CHALONS (999-1039), abandonna à son église épiscopale, les splendides ornements à fond bleu, parsemés d'aigles qu'il tenait de son ami Othon III, empereur d'Allemagne, et un missel d'évêque à lettres d'or, provenant probablement de même source. Il y ajouta un calice d'argent avec sa patène, et deux cloches d'un son fort harmonieux.

Si l'on se prend maintenant à réfléchir sur la forme et l'aspect que devaient présenter les objets conservés au trésor de la cathédrale d'Auxerre, à cette époque, il est permis de conjecturer que l'argenterie de saint Didier, dont une partie pouvait encore exister en nature à l'époque où vivait Hugues de Chàlons, appartenait comme origine, s'il faut s'en fier à la description sommaire des Gesta, à la plus basse période gallo-romaine, ou à l'origine de l'orfévrerie mérovingienne, ce qui est à peu près tout un. En effet, rien ne ressemble moins aux trésors de Bernay et d'Hildesheim, dont la date et la facture sont certainement beaucoup plus anciennes, que le trésor de saint Didier. Il était, parait-il, originaire de l'Aquitaine, et de noble famille, peut-être de sang Wisigoth. L'Aquitaine, à cette époque de déchéance et de décadence, conservait encore de bons ouvriers, ayant retenu quelques traditions de l'art antique. Et d'ailleurs, s'il était d'origine germanique, comme son nom semble l'indiquer, ses ancêtres du v° siècle n'auront pas été embarrassés pour se procurer une vaisselle précieuse aux dépens des patrices du peuple conquis. D'autre part, et en ce cas, rien d'étonnant à ce qu'il ait vécu dans l'intimité de la reine Brunehaut, dont il était le quasi-compatriote.

Quant aux broderies, aux tentures et aux ornements, ils venaient de Bysance, ou avaient été fabriqués dans le goût bysantin jusqu'à la fin du XIe siècle, et on en peut voir des exemples au trésor de Sens. Constantinople en faisait un très grand commerce. Ils arrivaient en France par l'Italie, ou par Marseille, et les ouvriers français tentaient de les imiter. Bysantins étaient aussi les ornements d'Hugues de Châlons.

La princesse Théophanie, épouse d'Othon III, avait amené à sa suite, une colonie de ses compatriotes qui fondèrent l'école primitive rhénane. Le siège portatif de Gaudry, devait présenter à peu près l'aspect du fauteuil dit de Dagobert, déformation du bisellium antique. Et quant aux autres pièces d'orfévrerie, on pourra s'en rendre compte en examinant les similaires des époques mérovingienne et carlovingienne, qui ne sont pas rares dans les musées de France et de l'étranger.

Avec HÉRIBERT (1040-1052), une autre période commença, celle du roman, qui s'émancipa peu à peu des formes presque hiéra

tiques consacrées par l'empire Grec d'Orient. Ce prélat, dès son intronisation, fit don au trésor d'une grande et belle pièce de tapisserie, qu'on appelait le Dorsal (dorsale), parce qu'elle servait à orner les murs d'appui du fond du chœur de la cathédrale, tandis que le clergé chantait l'office.

GEOFFROY DE CHAMPAlleman (1052-1076), à son entrée en fonctions, trouva son église matrice en misérable état. Cette malheureuse situation provenait des discussions surgies entre certains prêtres de la ville et le duc Robert de Bourgogne, qui, appuyé par son frère Henri lor, roi de France, avait usurpé le comté d'Auxerre au préjudice de Guillaume de Nevers, favorisé par l'évêque et le clergé. Le comte Guillaume Ir ne tarda pas toutefois à rentrer en possession de son héritage.

Cependant Geoffroy de Champalleman avait trouvé la sacristie dans une telle débine, qu'il n'y existait qu'une seule chappe à peu près passable, outre cinq autres de fort bas prix, et presque en guenilles. Il en fit faire sur le champ, et à ses frais, treize autres fort belles, et ajouta à ce don cinq pièces de tapisserie royale, épithète qui sans doute indique leur splendeur, pour orner le bas du choeur, quatre chasubles, couleur de pourpre, une riche dalmatique, des tuniques de valeur, des aubes avec leurs essuie mains, et des étoles. En outre, il donna en argenterie ce qui suit : une table d'autel, un calice, un encensoir avec sa navette, deux chandeliers, deux burettes, un bénitier et une aiguière, où le prêtre célébrant se lavait les mains, avec le bassin nécessaire pour recevoir l'eau. Il attacha par des prébendes à la cathédrale, qui venait de souffrir beaucoup en suite d'un violent incendie, des clercs faisant profession de peintres, d'orfèvres et de vitriers.

A son intronisation, ROBERT DE Nevers, (1076-1084), qui eut des démêlés fort vifs avec les Sénonais, donna au trésor, comme cadeau de bienvenue, un dorsal rouge.

Le vénérable HUMBAUD, son successeur (1087-1114), donna cinq chandeliers d'argent d'une hauteur prodigieuse, destinés à recevoir des cierges pour éclairer les fidèles et le clergé durant l'office de nuit. Il fit ensuite cadeau d'une grande courtine, ou voile de lin, ornée de figures des rois et des empereurs célèbres, laquelle devait être placée au côté gauche de l'église aux jours de grandes fêtes. Il y ajouta trois pièces d'étoffe précieuse du prix de 1000 sous (1), dont deux représentaient des lions grimpants, et la troisième des figures de rois à cheval. En outre, il remit deux grandes

(1) Peut-être s'agit-il ici de monnaie auxerroise qu'on trouve citée dès l'an 1130. (V. Quantin, Cart. t. lor, p. 242).

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