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Je suis convaincu qu'il y a des hommes qui se regardent mutuellement comme des conspirateurs et des contre-révolutionnaires, et qui ont pris cette idée des coquins qui les environnent, et qui cherchent à exciter des défiances entre nous. Ce sont les étrangers qui entraînent les patriotes dans des malheurs inconsidérés et qui les poussent dans des excès contraires. C'est de cette source que viennent ces accusations précipitées, ces pétitions imprudentes, ces querelles où l'on prend le ton de la menace. Dans ce système, suivi par les puissances étrangères, on veut faire croire à l'Europe que la représentation nationale n'est pas respectée, que pas un patriote n'est en sûreté, et que tous sont exposés aux mêmes dangers que les contre-révolutionnaires. Qu'est-ce qu'il nous importe de faire, à nous patriotes et républicains? C'est d'être au but que nous nous sommes proposés, c'est d'écraser les factions, les étrangers, les modérés, mais non de perdre des patriotes, et bien moins de nous égarer dans les routes où les passions les ont jetés. Pour cela, il faut éloigner l'aigreur et les passions, en écoutant les réflexions de chacun ; il faut que ceux qui les feront, en agissent de même. N'oublions pas les grands principes qui ont toujours germé dans nos cœurs; l'amour de la patrie, l'enthousiasme des grandes mesures, le respect de la représentation nationale. S'il est des crises où le peuple soit obligé de s'armer contre quelqu'un de ses mandataires infidèles, la représentation nationale n'en est pas moins sacrée lorsquelle marche d'un pas ferme et assuré ; elle a droit d'exiger et le respect et l'amour de tous les individus.

› Si je voulais entrer dans des détails, je vous prouverais que la pétition faite pour Konsin, ou qui paraît avoir été faite pour lui, l'a été au contraire pour le perdre. Le but de nos ennemis est de rendre Ronsin suspect, en faisant croire que le faubourg Saint-Antoine est disposé à le défendre et à s'armer pour lui. At-on oublié que des patriotes ont été incarcérés, mais qu'ils n'ont excité aucun trouble pour leur procurer la liberté? Pourquoi ne serait-on pas calme? pourquoi ne se reposerait-on pas comme eux sur leur innocence? La Convention veut attendre que la vé

rité soit connue tout entière; elle le sera, n'en doutez pas, et alors on distinguera le crime de la vertu ; et les patriotes qui se trouveront purs pourront se réunir contre les ennemis communs. (Vifs applaudissemens.)

Les séances des 28 et 31 décembre (8 et 11 nivose) furent entièrement consacrées à l'épuration. Nous extrairons de celle du 28 (8) un passage dont quelques historiens ont abusé pour avancer qu'on avait sérieusement demandé aux Jacobins que chaque membre fut obligé de dire quel crime il avait commis, qui le rendît digne d'appartenir au club. Voici la motion;

Dubois-Crancé. « De la manière dont se fait le scrutin, il n'y a véritablement d'épuré que les anciens membres. Les hommes inconnus passent sans difficulté, et il ne faut que n'être connu de personne pour n'éprouver aucune réclamation.

> Je voudrais que la société autorisât son président à faire cette question à l'homme qui se présente pour être épuré : Qu'as-ta fait pour être pendu, si la contre-révolution arrivait?....... (On applaudit.)

Je demande aussi qu'on imprime la liste des membres de la société, afin que chacun puisse connaître les noms de ceux qui sont épurés, et ce qu'il y a à dire sur leur compte. ›

a

Dufourny. Je crains que relativement à ces listes où les noms des épurés et de ceux qui ne le sont pas seront confondus, les derniers ne se targuent dans les départemens de la propriété de ces listes, pour se faire passer pour épurés et se donner un brevet de patriotisme. >>

Romme demanda que chaque candidat fût appuyé par des patriotes connus. Un membre fit observer que ces mesures étajent insuffisantes et qu'elles tendaient à faire recommencer le scrutin épuratoire. La Fayette et Mirabeau auraient pu dire aussi, s'écria-t-il, ce qu'ils avaient fait pour être pendus. -La société passa à l'ordre du jour sur ces différentes propositions.

-Les dernières opérations de la Commune de Paris, en 1793, concernent presque exclusivement les subsistances. La mise en

exécution dans la capitale de l'arrêté pris dans le département de Rhône-et-Loire par Collot-d'Herbois et Fouché, pour qu'il n'y eût qu'une espèce de pain, le pain de l'égalité, avait entraîné de graves inconvéniens. A Paris, les boulangers séparaient la fleur de farine qu'ils vendaient aux pâtissiers, et fabriquaient un pain d'une qualité très-inférieure à cause de la trop grande proportion de son. Il fallut remédier à cet abus. D'un autre côté, pour parer aux désordres de la distribution, il fut fait un recensement général des sections, et des cartes donnant droit à une provision de pain déterminée furent délivrées aux citoyens. Nous ne rapporterons des séances du conseil-général de la Commune que celle du 25 décembre (5 nivôse), où Chaumette se justifia des accusations répandues contre lui. Nous empruntons le compterendu de cette séance au Journal de Paris, p. du 27 décembre (7 nivôse) 1795.

⚫ On présente au conseil une lettre de la société populaire de Nevers. Elle porte que Chaumette n'a rien acheté et ne possède rien dans le département de la Nièvre, et que le peuple de Nevers, avant l'arrivée de Chaumette dans cette ville, avait déjà profité de la liberté des cultes décrétée par la Convention pour adopter celui de la Raison, autrement dit celui de l'Etre Suprême dégagé de tout mystère.

› Après cette lecture, Chaumette dit : « J'ai été vexé, traité › d'intrigant, de contre-révolutionnaire; moi intrigant! moi qui › du temps des élections n'ai paru ni aux sections, ni aux sociétés › populaires. Moi contre-révolutionnaire ! Je vous avoue que › cela ma causé des chagrins; à qui devais-je m'en plaindre, où › devais-je les déposer, si ce n'est dans le sein de mon père? Je › déclare que je n'ai écrit qu'à lui; j'ignorais la démarche fra› ternelle des citoyens de mon pays, je les ai vus ce soir chargés › de paquets pour la Commune, pour les Cordeliers et les Ja› cobins. Je les ai priés de s'expliquer sur mon compte. Des mé» chans cherchent à me perdre pour s'élever sur mes ruines. › Je sais qu'on ne manquera pas de dire que j'ai mandié la dé› marche que je viens de faire; il n'en résultera rien pour les

› méchans; tout tournera encore au profit de la République.

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› Brissot, Gorsas, Villette, m'avaient peint comme un vaga

› bond, comme un fédéraliste; mais les sans-culottes de Paris > ne les ont pas crus. J'ai répondu à leurs calomnies; je leur ai › déclaré que j'étais fils d'un artisan honnête.

A l'âge de treize ans j'allai en mer; je commençai par être » mousse, je devins pilotin. La guerre d'Amérique finie, j'espé» rais voir s'établir la liberté dans mon pays. Persécuté par les › prêtres et par les nobles, et surtout par un évêque, je me > transportai à Avignon; je travaillai au Courrier de ce nom. › J'ai couru tantôt à Brest, tantôt à Calais, à Marseille..... J'ai > fourni partout des articles marqués au coin de la philo› sophie.

De retour dans mon département, à l'époque de la révolu› tion, j'ai tenu au parti sans-culotte. J'ai fait la guerre à des › généraux de la garde nationale, qui ont fini par émigrer. Je › fus chargé par mes concitoyens de faire l'éloge funèbre des › patriotes morts à Nancy; j'y peignis et démasquai Bouillé; > j'osai lancer quelques pamphlets contre La Fayette. Je vins à › Paris. Loustalau vivait encore. Prudhomme m'accueillit : je tra› vaillai pour lui jusqu'aux environs du 10 août : voilà de quoi > j'ai vécu.

› A cette époque je fus nommé à la Commune, et depuis ce › moment, je n'ai pas cessé de faire mon devoir, et j'ai toujours › été exact à assister au conseil (oui, s'écrie-t-on de toute part); > et l'on dit que je suis un intrigant : j'ai été dénoncé par un ou › deux journalistes. J'avoue que j'ai fait un réquisitoire que je › ne devais pas faire, j'avoue que j'ai eu tort. Erreur n'est pas un crime. Celui qui ne fait rien ne se trompe jamais. Ceux › qui m'ont dénoncé auraient dû apprécier ma vie privée et pu› blique, et les circonstances qui ont amené ce réquisitoire.

› Le piége était tendu depuis huit jours des femmes rem› plissaient les salles du parquet et réclamaient la liberté de ⚫ leurs époux. Jusque dans le sein du conseil ces plaintes ont › été portées. Tout cela s'est accumulé. Le coup avait été porté.

› La verge maternelle nous a frappés, nous nous y sommes sou› mis; mais les ennemis de la liberté sont allés plus loin, il fallait > faire égorger la première sentinelle: qu'ont-ils fait ? Ils m'ont › chargé de crimes. Ils ont voulu faire croire que j'avais un › parti. On m'a dénoncé aux Cordeliers. Un citoyen a dit qu'a› vant le 10 août je lui avais promis pour son fils 40,000 liv. de › rentes, que j'avais de riches ameublemens, que mon apparte» ment était orné de baguettes dorées, que j'avais des bronzes » pour plus de 20,000 livres, que j'avais été payé par Pitt, et › que je faisais bâtir des châteaux dans la Nièvre. J'ai pour tout > bronze les bustes en plâtre bronzé de Brutus, de Franklin et de › Rousseau.

› Un journaliste a dit : C'est un grand homme; il ne répondra > pas; il avait raison, je ne devais pas répondre. Il m'a attaqué ⚫ par derrière, il devait me dénoncer au conseil, et me dire : Tu » n'es pas digne de siéger là. Citoyens, voici une épreuve à la› quelle je ne m'attendais pas. J'invite la députation à borner là › ses démarches. Il faut s'occuper des choses et non des indivi› dus: qu'importe un homme? cela empêche-t-il l'ordre éternel › des choses de marcher? cela empêche-t-il les progrès de la › révolution? Occupons-nous de la victoire de Toulon, de la dé› faite prochaine de la Vendée et du grand coup qui doit être › porté dans le Nord, et de l'affermissement de la liberté et de » l'égalité. › (Vifs applaudissemens.)

L'orateur de la députation. Non, Chaumette, nous ne bor› nerons pas là nos démarches. N'a-t-on pas calomnié les meil› leurs patriotes? N'a-t-on pas dit que Danton, malade chez lui, › était émigré? D'après cela, il n'est pas surprenant qu'on te dé› nonce. Si nous t'avions cru coupable, nous serions venus de › même te dénoncer. ›

Gadau propose et le conseil arrête que la lettre des membres du tribunal et l'arrêté de la société populaire de Nevers seront insérés en entier aux affiches, envoyés aux sections et aux sociétés populaires, et que les journalistes seront invités à en faire mention dans leurs journaux. >

T. XXXI

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