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point à sa hauteur: chaque folie à ses tréteaux. L'un porte le gouvernement à l'inertie, l'autre veut le porter à l'extravagance, et le dessein de tous les deux est de devenir chef d'opinion, et d'arriver à la renommée suprême.

» Voilà la vérité. S'occuper du peuple modestement est une chose trop obscure sans doute! Mettez donc la justice dans tous les cœurs, et la justesse dans tous les esprits, afin que le gouvernement soit garanti.

» Tout le monde veut gouverner; personne ne veut être citoyen. Où donc est la cité? elle est presque usurpée par les fonctionnaires. Dans les assemblées ils disposent des suffrages et des emiplois; dans les sociétés populaires de l'opinion: tous se procurent l'indépendance et le pouvoir le plus absolu, sous prétexte d'ágir révolutionnairement, comme si le pouvoir révolutionnaire résidait en eux. Tout pouvoir révolutionnaire qui s'isole est un nouveau fédéralisme, qui contribue sans doute à la disette. Le gouvernement est révolutionnaire, mais les autorités ne le sont pas intrinsèquement; elles le sont parce qu'elles exécutent les mesures révolutionnaires qui leur sont dictées: si elles agissent révolutionnairement d'elles-mêmes, voilà la tyrannie, voilà la cause du malheur du peuple.

» Précisez donc aux autorités leurs bornes, car l'esprit humain a les siennes : le monde aussi a les siennes, au-delà desquelles est la mort et le néant. La sagesse même a les siennes : au-delà de la liberté est l'esclavage, comme au-delà de la nature est le chaos. Quoi! veut-on que la nature nous abandonne? Un œil hagard, un écrit sans naïveté, mais sombre et guindé, où, pár un piége tendu peut-être depuis long-temps, la liberté est burlesque, estce donc là tout le mérite du patriotisme? C'est l'étranger qui sème ces travers ; et lui aussi est révolutionnaire contre le peuple, contre la vertu républicaine; il est révolutionnaire dans le sens du crime. Pour vous, vous devez l'être dans le sens de la probité et du législateur.

» Affermissez le gouvernement republicain; c'est aujourd'hui l'intérêt le plus cher du peuple et de la liberté : soyez profonds

dans vos desseins, comme l'est votre amour de l'humanité ; car vous n'avez rien fait en immolant le tyran si vous n'immolez la corruption, par laquelle le parti de l'étranger vous ramène à la royauté. L'immoralité est un fédéralisme dans l'état civil; par elle chacun sacrifierait à soi tous ses semblables, et, ne cherchant que son bonheur particulier, s'occupe peu que son voisin soit heureux et libre ou non.

» J'ai parcouru notre situation générale, et développé les causes secrètes qui sans cesse altèrent la vigueur du corps social : nous avons parcouru par la pensée tous les chemins secrets par lesquels la conjuration a marché. Un pressentiment était dans l'opinion publique qu'un grand complot était ourdi; les convulsions des coupables depuis quelques jours, qui semblent éperdus de la froideur et du maintien du gouvernement; les nuages répandus sur les fronts suspects, tout présage l'exemple qui sera bientôt donné du supplice des criminels.

» Les rois d'Europe regardent à leur montre en ce moment où la chute de notre liberté et la perte de Paris leur étaient promises. Vous adhérerez aux mesures sévères qui vous seront proposées ; vous soutiendrez la dignité de la nation ; vous serez dignes de vous-mêmes dans cette circonstance, et par la sagesse et par la force que vous déploierez. Il est une vérité qu'il faut reconnaître, c'est que si nous nous contentons d'exposer des principes, comme nous ne l'avons fait que trop souvent, sans les appliquer, nous n'en tirerons aucune force contre les ennemis du peuple. Que peuvent des paroles contre des conjurés qui se déguisent jusqu'au moment où ils éclatent?

» Une oraison véhémente éveille un moment tous les coeurs : les conjurés nous laissent dire; ils sont de votre avis pendant les courts instans où l'opinion est frappée; bientôt après ils se rendent d'autant plus audacieux qu'on les soupçonne moins.

Il faut donc que j'achève de vous peindre la faction protée de l'étranger, qui tend à la destruction du gouvernement présent pour lui substituer un chef unique. Partout où l'étranger trouve un homme faible et corrompu, il le carèsse, il lui promet tout ;

peu lui importe, pourvu que, sous l'appât d'un grand pouvoir dont il aura su flatter quelques imbécilles, cet empire tombe en lambeaux aux pieds de l'Europe asservie; peu importe à la tyrannie ce que nous serons, pourvu qu'elle soit vengée, et débarrassée de l'exemple que notre existence donne à la terre. Ceux-ci travaillent pour l'Angleterre ; ceux-là pour les Bourbons, qui adhèrent à tout ce qu'on leur propose. Si la liberté était ici détruite, ceux mêmes qui auraient prêté leur main impie à l'exécution de ce complot seraient les prémiers égorgés, comme les plus suspects et les plus dangereux par la puissance de perversité qu'ils auraient fait paraître. La réaction de la tyrannie contre une révolution qui aurait tout osé pour établir le bien serait de tout oser pour établir le mal, et le peuple viendrait un jour pleurer sur les tombeaux de ses amis, inutilement regrettés.

» Est-il donc un patriote qui puisse balancer aujourd'hui à soutenir l'ordre présent des choses contre ses ennemis, et qui ne conjure avec nous contre les conjurés ?

Après avoir développé la marche criminelle et ténébreuse de la faction de l'étranger, après avoir montré les piéges tendus à la liberté par la destruction de tous les sentimens de la nature, de la justice, de la morale; après avoir caractérisé les divers genres de corruption, il faut expliquer ce problème, en apparence inconcevable, de la discordance des diverses factions.

» C'est l'étranger qui attise ces factions, qui les fait se déchirer par un jeu de sa politique, et pour tromper l'œil observateur de la justice populaire. Par là il s'établit une sorte de procès devant le tribunal de l'opinion: l'opinion bientôt se divise ; la République en est bouleversée. Ce moyen ôte à la représentation nationale et à ses décrets la suprême influence dans l'état, parce que les ravages de la corruption dont j'ai parlé rendent la curiosité plus sensible aux débats des partis, et détournent tous les cœurs et toutes les pensées de l'amour et de l'intérêt sacré de la patrie. Ces partis divers ressemblent à plusieurs orages dans le même horizon, qui se heurtent et qui mêlent leurs éclairs et leurs coups pour frapper le peuple. L'étranger créera donc le plus de fac

tions qu'il pourra ; peu lui importe quelles elles soient, pourvu que nous ayons la guerre civile. L'étranger soufflera même, comme je l'ai dit, la discorde entre les partis qu'il aura fait naître, afin de les grossir et de laisser la révolution isolée. Tout parti est donc criminel, parce qu'il est un isolement du peuple et des sociétés populaires, et une indépendance du gouvernement; toute faction est donc criminelle, parce qu'elle tend à diviser les citoyens; toute faction est donc criminelle, parce qu'elle neutralise la puissance de la vertu publique.

» La solidité de notre République est dans la nature même des choses. La souveraineté du peuple veut qu'il soit uni: elle est donc opposée aux factions; toute faction est donc un attentat à la souveraineté.

» Les factions étaient un bien pour isoler le despotisme et diminuer l'influence de la tyrannie: elles sont un crime aujourd'hui, parce qu'elles isolent la liberté et diminuent l'influence du peuple.

» Voilà l'esprit des factions. L'étranger a médité les causes du renversement de la tyrannie parmi nous, et veut les employer pour renverser la République.

» Citoyens de toute la France, si vous avez un cœur né pour le bien et pour sentir la vérité, vous concevrez maintenant les piéges de vos ennemis ; vous vous unirez en état de souverain pour résister à tous les partis.

» Il ne faut point de parti dans un état libre pour qu'il puisse se maintenir; il faut que le peuple et le gouvernement les répriment, par la seule raison qu'ils sont favorables aux projets de l'étranger, comme je l'ai dit. Représentans du peuple, c'est à vous de saisir d'une main hardie le timon de l'état, de gouverner avec fermeté, et d'en imposer aux factions scélérates. Ceux qui font des révolutions ressemblent au premier navigateur, instruit par son audace. L'étranger ne sait pas jusqu'où nous sommes susceptibles de porter l'intrépidité; il fera chaque jour, et aujourd'hui même après ce rapport, la triste expérience des vertus et du courage que sa férocité nous impose; en vain il aura tenté

T. XXXI.

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de tout corrompre parmi nous ; il nous aura ôté nos vices à force de crimes et de supplices, et nous rendra plus puissans, parce que nous serons devenus des hommes, et que l'Europe aura conservé son avarice: ces temps difficiles passeront. Voyez-vous la tombe de ceux qui conspiraient hier? la voyez-vous déjà auprès de celle du dernier de nos tyrans? L'Europe sera libre à son tour; elle sentira le ridicule de ses rois : nous lui devrons quelques vertus ; elle en aura l'exemple; elle honorera nos martyrs. Nous saurons nous accoutumer aux privations: mais si son commerce cesse un moment d'assouvir son avidité, que deviendrat-elle? Voyez-vous aussi les tombes des rois qui nous font la guerre? Voyez l'Europe ébranlée les poursuivre ! Nous aurons avant elle une génération élevée dans la liberté, source éternelle de prépondérance, qui l'aidera à s'affranchir de ses rois sauvages ; et ne sont-ils point des sauvages ceux qui attaquent notre indépendance et qui ourdissent tant de crimes?

>> Les relations que nous nous sommes ménagées nous ont appris que les alliés n'ouvriraient point la campagne, pour ne point distraire le peuple par des événemens de la guerre des mouvemens qu'il prépare dans l'intérieur et dans Paris. C'est une campagne de crimes, une campagne de troubles, de corruption, de famine qu'on nous prépare. Pour voiler ce dessein, le colonel Mack doit faire des menaces continuelles, qui, sans danger pour les alliés, les feront redouter.

› Pendant ce temps il s'ourdissait une conjuration pour rênverser le gouvernement actuel et la représentation, pour y substituer une régence qui aurait ménagé et avait promis le retour des Bourbons. On a remarqué de la joie parmi les émigrés répandus en Europe. L'étranger devait ensuite proposer la paix à la régence usurpatrice et aristocratique, et reconnaître son autorité. Il y a pour trois milliards d'assignats d'imprimés à Bruxelles et à Francfort, et affectés sur les biens des patriotes de France, avec lesquels on devait établir des bureaux d'échange des assignats républicains dans tous les districts. Les moyens d'exécution étaient la destruction de la représentation, d'abord

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