Page images
PDF
EPUB

forte, je le dis avec un sentiment de fierté qui me convient, si j'étais ayé, ce serait tant pis pour les Jacobins ! Quoi! vous m'avez commandé de dire à la tribune ce que je crois de plus utile pour le salut de la République ! ce que je n'ai pas les moyens physiques de dire à la tribune, je l'ai dit dans mes numéros, et vous m'en feriez un crime? Pourquoi m'avez-vous arraché à mes livres, à la nature, aux frontières, où je serais allé me faire tuer comme mes deux frères qui sont morts pour la liberté? pourquoi m'avez-vous nommé votre représentant ? pourquoi ne m'avezvous pas donné des cahiers? Y aurait-il une perfidie, une barbarie semblable à celle de m'envoyer à la Convention, de me demander, ainsi ce que je pense de la République, de me forcer de le dire, et de me condamner ensuite, parce que je n'aurais pas pu vous dire des choses aussi agréables que je l'eusse souhaité? Si l'on veut que je dise la vérité, c'est-à-dire la vérité relative, et ce que je pense, quel reproche a-t-on pu me faire, quand même je serais dans l'erreur? Est-ce ma faute si mes yeux sont malades, et si j'ai vu tout en noir à travers le crêpe que les feuilles du Père Duchesne avaient mis devant mon imagination.

› Suis-je si coupable, de n'avoir pas cru que Tacite, qui avait passé jusqu'alors pour le plus patriote des écrivains, Je plus sage et le plus grand politique des historiens, fùt un aristocrate et un radoteur? Que dis-je, Tacite? ce Brutus même dont vous avez l'image, il faut qu'Hébert le fasse chasser comme moi de la société, car si j'ai été un songe-creux, un vieux rêveur, je l'ai été non-seulement avec Tacite et Machiavel, mais avec Loustalot et Marat, avec Thrasybule et Brutus.

› Est-ce ma faute s'il m'a semblé que, lorsque le département de Seine-et-Marne, si tranquille jusqu'à ce jour, était si dangereusement agité depuis qu'on n'y messait plus; lorsque des pères et mères, dans la simplicité de l'ignorance, versaient des larmes, parce qu'il venait de leur naître un enfant qu'ils ne pouvaient pas faire baptiser, bientôt les catholiques allaient, comme les cal vinistes du temps de Henri II, se renfermer pour dire des

psaumes, et s'allumer le cerveau par la prière; qu'on dirait la messe dans des caves quand on ne pourrait plus la dire sur les toits; de là des attroupemens et des Saint-Barthélemi; et que nous allions avoir l'obligation, principalement aux feuilles b... patriotiques du Père Duchesne, colportées par Georges Bouchotte, d'avoir jeté sur toute la France ces semences si fécondes de séditions et de meurtres?

» Est-ce ma faute, enfin, s'il m'a semblé que des pouvoirs subalternes sortaient de leurs limites et se débordaient ; qu'une Commune, au lieu de se renfermer dans l'exécution des lois, usurpait la puissance législative en rendant de véritables décrets sur la fermeture des églises, sur les certificats de civisme, etc.? Les aristocrates, les Feuillans, les modérés, les Brissotins ont déshonoré un mot de la langue française, par l'usage contrerévolutionnaire qu'ils en ont fait. Il est malaisé aujourd'hui de se servir de ce mot. Cependant, frères et amis, croyez-vous avoir plus de bon sens que tous les historiens et tous les politiques, être plus républicains que Caton et Brutus, qui tous se sont servis de ce mot? Tous ont répété cette maxime : « L'anarchie, en rendant tous les hommes maîtres, les réduit bientôt à n'avoir qu'un seul maître. » C'est ce seul maître que j'ai craint ; c'est cet anéantissement de la République, ou du moins ce démembrement. Le comité de salut public, ce comité SAUVEUR, y a porté remède, mais je n'ai pas moins le mérite d'avoir le premier appelé ses regards sur ceux de nos ennemis les plus dangereux, et assez habiles pour avoir pris la seule route possible de la contrerévolution. Ferez-vous un crime, frères et amis, à un écrivain, à un député de s'être effrayé de ce désordre, de cette confusion, de cette décomposition du corps politique, où nous allions avec la rapidité d'un torrent qui nous entraînait, nous et les principés déracinés; si dans son dernier discours sur le gouvernement révolutionnaire, Robespierre, tout en me remettant au pas, n'eût jeté l'ancre lui-même aux maximes fondamentales de notre révolution, et sur lesquelles seules la liberté peut être affermie et braver les efforts des tyrans et du temps?

Extrait des registres de la trésorerie nationale; du 2 juin.

[merged small][ocr errors]

Les 2 juin! tandis que tout Paris avait la main à l'épée pour défendre la Convention nationale, à la même heure, Hébert va mettre la main dans le sac.

[ocr errors][merged small]

Plus, du mois d'août, au Père Duchesne...
Plus, du 4 octobre, au Père Duchesne. . . .

10,000 liv.

60,000 liv.

Calculons ce dernier coup de filet.

Calcul de la valeur des 600 mille exemplaires de la feuille du Père Duchesne, payés par Bouchotte 60 mille livres.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Total du vrai prix des 600 mille exempl., ci. 16,816 liv.

Qui de

[ocr errors][ocr errors][ocr errors]

60,000 liv.

comptées par Bouchotte à Hébert, le 4 octobre 1793, et que celui-ci, avec une impudence cynique, dans son dernier numéro, appelle la braise nécessaire pour chauffer son

fourneau, ôte

[ocr errors]

16,816 liv.

Reste volé à la nation, le 4 octobre 1795. . 45,184 liv.

- Hébert répond à Camille-Desmoulins dans les numéros CCCXXX et CCCXXXII du Père Duchesne. Mais il borne sa défense à bien peu de chose. Il dit dans le CCCXXX' :

« Camille-Desmoulins vient de faire imprimer à grands frais et avec de bonnes guinées, sans doute, que le roi Bouchotte vidait le trésor national pour me graisser la patte et pour empoisonner les armées de mes écrits. Braves défenseurs de la patrie, vous qui lisez avec tant de plaisir mes joies et mes colères; vous que j'ai avertis de toutes les trahisons de l'infâme Dumourier, du traître Custine, du palfrenier Houchard, c'est à vous à me rendre justice. Vous ai-je jamais trompés? M'avez-vous jamais vu flagorner les ministres? N'ai-je pas toujours été votre ami sincère? Si Bouchotte avait été suspect, je serais le premier tombé sur sa friperie, et je vous l'aurais dénoncé. Je me fous bien des hommes; je ne vois que la République. Si mon père était un traître, je ne l'épargnerais pas plus qu'un autre. C'est par ordre du comité de salut public que Bouchotte vous envoie ma feuille ainsi que les autres journaux patriotiques. Si je suis un homme vendu, le brave Audouin, Duval, auteur du Républicain, Rousgiff, le sont comme moi; Marat l'était donc aussi. Si Bouchotte est coupable pour avoir éclairé ses frères d'armes, il faut donc aussi accuser les comités de la Convention. Pour chauffer mes fourneaux on sait bien qu'il me faut de la braise, foutre ! »

Dans le CCCXXXIIe, Hébert dit : « Encore une petite boufféé de ma pipe à Poinsinet-Camille. — Il n'est pas si fou que l'on l'imagine, le benêt Camille; et si on le prend pour un niais, je dis, foutre, que c'est un niais de Sologne, car il sait amadouer les aristocrates, et leur escamoter joliment leurs corsets. Il a vendu plus de cent mille exemplaires de son Vieux Cordelier à vingt sous le numéro; et il me fait un crime d'avoir débité mes feuilles à raison de deux sous la pièce pour les armées. Il prétend que je suis riche comme un Crésus, parce que depuis le mois de juin j'en ai débité neuf cent mille, ce qui fait quatre-vingt-dix

mille livres. Une telle somme à un misérable marchand de fourneaux! Mais Camille doit rabattre dans ce calcul plus de quinze mille livres de dépenses pour achat de presses et de caractères, le papier, les frais journaliers, les dépenses de bois et de chandelle, la paie de dix ouvriers, les gratifications de nuit, une augmentation de loyer; ce qui en reste est bien peu de chose, et encore n'en ai-je que la moitié, puisque j'ai un associé. Au surplus, j'ai placé mon bénéfice dans l'emprunt volontaire. C'est là ce que Camille appelle voler la République. ›

>

M. Thiers, dans son Histoire de la Révolution, t. VI, p. 123 et suivantes, cite de nombreux passages du Vieux Cordelier dirigées contre M. Bouchotte à l'occasion de Vincent et d'Hébert. Il prend dans le n. V, l'endroit où Camille accuse M. Bouchotte d'avoir donné deux cent mille francs à Hébert sur les fonds de la guerre, et il pose ce fait comme prouvé.

Nous empruntons au manuscrit que nous a confié M. Bouchotte sa réponse aux accusations dont il est l'objet. Nos lecteurs savent que ce manuscrit de l'ex-ministre de la République est une réfutation de ce qui concerne son administration dans l'Histoire de M. Thiers. Ce dernier en a reçu communication, mais il a refusé d'en faire usage dans les éditions subséquentes de son livre.

» M. Bouchotte transcrit à la marge quelques-uns des passages du Vieux Cordelier cités et commentés par M. Thiers (tous ces passages appartiennent aux numéros que nous avons reproduits), et il les réfute ainsi :

‹ Le ministre n'a jamais répondu aux pamphlets des partis ni à leurs journaux ; il n'en avait pas le temps. Il les laissait apprécier par le public. Il supportait la licence de la presse alors inévitable, le pamphlétaire n'étant soumis à aucune retenue. ́

› Camille Desmoulins écrivait pour un parti; il employait la caricature; il se servait de comparaisons propres à exciter les susceptibilités du temps.

« PreviousContinue »