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il n'y a point de gens suspects, il n'y a que des prévenus de délits fixés par la loi; et ne croyez pas que cette mesure serait funeste à la République, ce serait la mesure la plus révolutionnaire que vous eussiez jamais prise. Vous voulez exterminer tous vos ennemis par la guillotine! Mais y eut-il jamais plus grande folie? Pouvez-vous en faire périr un seul à l'échafaud sans vous faire dix ennemis de sa famille ou de ses amis? Croyezvous que ce soient ces femmes, ces vieillards, ces cacochymes, ces égoïstes, ces traînards de la Révolution, que vous enfermez, qui sont dangereux? De vos ennemis il n'est resté parmi vous que les lâches et les malades; les braves et les forts ont émigré; ils ont péri à Lyon ou dans la Vendée; tout le reste ne mérite pas votre colère. Cette multitude de feuillans, de rentiers, de boutiquiers que vous incarcerez, dans le duel entre la monarchie et la République, n'a ressemblé qu'à ce peuple de Rome dont Tacite peint ainsi l'indifférence dans le combat entre Vitellius et Vespasien.

• Tant que dura l'action, les Romains s'assemblaient comme des spectateurs curieux autour des combattans, et, comme à un spectacle, ils favorisaient tantôt ceux-ci et tantôt ceux-là par des battemens de mains et des acclamations, se déclarant toujours pour les vainqueurs; et, lorsqu'un des deux partis venait à lâcher pied, voulant qu'on tirât des maisons, et qu'on livrât à l'ennemi ceux qui s'y sauvaient. D'un côté l'on voyait des morts et des blessés, de l'autre des comédies et des restaurateurs remplis de monde. N'est-ce pas l'image de nos modérés, de nos chapelains, de nos signataires de la fameuse pétition des huit mille et des vingt mille, et de cette multitude immobile entre les Jacobins et Coblentz, selon les succès criant: Vive Lafayette et son cheval blanc! ou portant en triomphe le buste de Marat, et le nichant dévotement à la place de la Notre-Dame-du-Coin et entre les deux chandelles? On voit que les bourgeois de Paris, l'an II de la République, ne ressemblent pas mal encore à ceux de Rome du temps de Vitellius, comme ceux de Rome ressemblaient à ceux d'Athènes du temps de Platon, dont ce philosophe

disait, dans sa république imaginaire, qu'il n'avait rien prescrit pour eux, cette classe étant faite pour suivre aveuglément l'impulsion du gouvernement et des plus forts. On se battait au Carrousel et au Champ-de-Mars, et le Palais-Royal étalait ses bergères et son Arcadie. A côté du tranchant de la guillotine, sous lequel tombaient les têtes couronnées, et sur la même place, et dans le même temps, on guillotinait aussi Polichinelle qui partageait l'attention. Ce n'était pas l'amour de la République qui attirait tous les jours tant de monde sur la place de la Révolution, mais la curiosité, et la pièce nouvelle qui ne pouvait avoir qu'une seule représentation. Je suis sûr que la plupart des habitués de ce spectacle se moquaient, au fond de l'âme, des abonnés de l'Opéra et de la tragédie, qui ne voyaient qu'un poignard de carton, et des comédiens qui faisaient le mort.‹ Telle était, dit Tacite, l'insensibilité de la ville de Rome, sa sécurité dénaturée et son indifférence parfaite pour tous les partis. » Mais Vespasien, vainqueur, ne fit point embastiller toute cette multitude.

› De même, croyez-moi, dignes représentans, aujourd'hui que la Convention vient de rejeter sur les intrigans, les patriotes tarés, et les ultra-révolutionnaires en moustaches et en bonnet rouge, l'immense poids de terreur qui pesait sur elle; aujourd'hui qu'elle a repris, sur son piédestal, l'attitude qui lui convenait dans la religion du peuple, et que le comité de salut public veut un gouvernement provisoire respecté et assez fort pour contenir également les modérés et les exagérés, laissons aussi végéter au coin de leur feu, au moins, ces paisibles casaniers qui n'étaient pas républicains sous Louis XV, et même sous Louis XVI et les états-généraux, mais qui, dès le 14 juillet, et au premier coup de fusil, ont jeté leurs armes et l'écusson des lis, et ont demandé en grâce à la nation de leur laisser faire leurs quatre repas pas jour. Laissez-les, comme Vespasien, suivre aujourd'hui le char du triomphateur, en s'égosillant à crier : Vive la République !

› Que de bénédictions s'élèveraient alors de toutes parts! Je

pense bien différemment de ceux qui vous disent qu'il faut laisser la terreur à l'ordre du jour. Je suis certain, au contraire, que la liberté serait consolidée et l'Europe vaincue si vous aviez un comité de clémence. C'est ce comité qui finirait la révolution; car la clémence est aussi une mesure révolutionnaire, et la plus efficace de toutes, quand elle est distribuée avec sagesse. Que les imbécilles et les fripons m'appellent modéré s'ils le veulent, je ne rougis point de n'être pas plus enragé que Brutus; or voici ce que Brutus écrivait: Vous feriez mieux, mon cher Cicéron, de mettre de la vigueur à couper court aux guerres civiles, qu'à exercer de la colère, et poursuivre vos ressentimens contre des vaincus (1). On sait que Thrasybule, après s'être emparé d'Athènes à la tête des bannis, et avoir condamné à mort ceux des trente tyrans qui n'avaient point péri les armes à la main, usa d'une indulgence extrême à l'égard du reste des citoyens, et même fit proclamer une amnistie générale. Dira-t-on que Thrasybule et Brutus étaient des Feuillans, des Brissotins? je consens à passer pour modéré, comme ces grands hommes. La politique leur avait appris la maxime que Machiavel a professée depuis ; que, lorsque tant de monde a trempé dans une conjuration, on l'étouffe plus sûrement en feignant de l'ignorer qu'en cherchant tous les complices. C'est cette politique, autant que sa bonté, son humanité, qui inspira à Antonin ces belles paroles, aux magistrats qui le pressaient de poursuivre et de punir tous les citoyens qui avaient eu part à la conjuration d'Attilius : Je ne suis pas bien aise qu'on voie qu'il y a tant de gens qui ne m'aiment pas.

Je ne puis m'empêcher de transcrire ici le passage que l'anti-fédéraliste a cité de Montesquieu, et qui est si bien à l'ordre du jour. On verra que le génie de César ne travaillait pas mieux que la sottise de nos ultra-révolutionnaires à faire détester la République, et à frayer le chemin à la monarchie.

> Tous les gens qui avaient eu des projets ambitieux avaient

(1) Acrius prohibenda civilia bella quàm in superatos iracundia exercenda. 12

T. XXXI.

conspiré à mettre le désordre dans la République. Pompée, Crassus et César y réussirent à merveille; et, comme les bons législateurs cherchent à rendre leurs concitoyens meilleurs, ceuxci cherchaient à les rendre pires. Ces premiers hommes de la République cherchaient à dégoûter le peuple de son pouvoir, et à devenir nécessaires en rendant extrêmes les inconvéniens du gouvernement républicain. Mais, lorsqu'Auguste fut devenu le maître, il travailla à rétablir l'ordre, pour faire sentir le bonheur du gouvernement d'un seul.

C'est alors qu'Octave sut rejeter habilement sur Antoine et Lépide l'odieux des proscriptions passées, et, comme sa clémence présente appartenait à lui seul, ce fut cette clémence, dont il avait appris l'artifice de Jules-César, qui opéra la révolution, et décida, bien plus que Pharsale et Actium, de l'asservissement de l'univers, pour dix-huit siècles. On était las de voir couler le sang dans le Forum et autour de la tribune aux harangues, depuis les Gracques.

▸ Tant d'exemples prouvent ce que je disais tout à l'heure, que la clémence distribuée avec sagesse est la mesure la plus révolutionnaire, la plus efficace, au lieu que la terreur n'est que le Mentor d'un jour, comme l'appelle si bien Cicéron: Timor non diuturnus magister officii. Ceux qui ont lu l'histoire savent que c'est la terreur seule du tribunal de Jeffreys et de l'armée révolutionnaire, que le major Kirch traînait à sa suite, qui amena la révolution de 1689, Jacques II appelait en riant la campagne de Jeffreys, cette sanglante tournée de son tribunal ambulant. Il ne prévoyait pas que son détrônement terminerait la fin de cette campagne. Si on consulte la liste des morts, on verra que ce chancelier d'Angleterre, qui a laissé un nom si abominable, était un petit compagnon en comparaison du général-ministre Ronsin, qu'on peut appeler, d'après son affiche, l'Alexandre des bourreaux (1).

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(1) « On sait que, dans la Vendée, Ronsin, comme le cardinal de Richelieu, se faisait appeler général-ministre. Que sa fortune militaire ait tourné la tête à ce point à un général inconnu aux soldats, qui ne pouvait devoir les épaulettes

› Citoyens collègues, il semble qu'un Montagnard n'aurait point à rougir de proposer les mêmes moyens de salut public que Brutus et Thrasybule, surtout si l'on considère qu'Athènes se préserva de la guerre civile pour avoir suivi le conseil de Thrasybule, et que Rome perdit sa liberté pour avoir rejeté celui de Brutus. Cependant je me garde bien de vous présenter une semblable mesure. Arrière la motion d'une amnistie! Une indulgence aveugle et générale serait contre-révolutionnaire, du moins elle serait du plus grand danger et d'une impolitique évidente, non par la raison qu'en donne Machiavel, parce que ‹ le › prince doit verser sur les peuples le mal tout à la fois, et le › bien goutte à goutte», mais parce qu'un si grand mouvement imprimé à la machine du gouvernement, en sens contraire à sa

étoilées qu'à son talent dramatique, et dont ce talent dramatique était si mince, que pas un de ses courtisans n'eût osé le comparer même à Pradon sans s'avouer un flagorneur, la chose se conçoit; la vanité et la bouffissure des prétentions étant presque toujours en raison inverse du mérite. Mais ce qui est inexplicable, c'est que celui qui, dans une affiche, dit qu'à Lyon (dont la population est de 140 mille åmes) 1500 seulement ne sont pas complices de la rébellion, et ESPÈRE qu'avant la fin de frimaire, tous les complices, et partant 158,500 personnes, auront péri, et que le Rhône aura roulé leurs cadavres ensanglantės jusqu'à Toulon, sans doute afin d'animer les Toulonnais à se battre en désespérés et à se faire tuer jusqu'au dernier sur des monceaux de nos volontaires, plutôt que d'ouvrir leurs portes à un Ronsin : ce qui est inconcevable, dis-je, c'est que cet exterminateur soit un d'Arnaud en moustaches, qui faisait des pièces sentimentales, et qui avait pris Louis XII et même La Fayette pour son héros. Voilà ce qu'on ne pourrait pas croire, si on ne savait pas qu'Alexandre de Phères, un des tape-durs de l'antiquité qui ait le plus fait pendre et brûler de gens, sanglotait à la représentation d'Iphigénie, et que les deux plus grands septembriseurs de l'histoire moderne, Henri VIII et Charles IX, ont été deux faiseurs de livres. Avant de condamner le courageux Bourdon de l'Oise, qui a osé le premier dénoncer Georges Bouchotte, je demande que les Jacobins se fassent lire la lettre que Philippeaux a distribuée à la Convention, et celui-là ne pourra être qu'un patriote d'industrie, un patriote d'argent, un patriote contre-révolutionnaire, à qui cette lecture ne fera pas dresser les cheveux à la tête. Voici un des portraits que Philippeaux a burinés:

« Qu'a fait Ronsin, s'écrie-t-il, pour être général de l'armée révolutionnaire ? beaucoup intrigué, beaucoup voté, beaucoup menti. Sa seule expédition est celle du 18 septembre, où il fit accabler quarante-cinq mille patriotes par trois mille brigands; cette journée fatale de Coron où, après avoir disposé notre artillerie dans une gorge, à la tête d'une colonne de six lieues de flanc, il se tint caché dans une étable, comme un lâche coquin, à deux lieues du champ de bataille où nos infortunés camarades étaient foudroyés par leurs propres canons. »

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