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néanmoins que sa parole valait bien ses écrits; et comme j'avais quelquefois, au nom de l'Amérique, parlé sur un ton un peu élevé, il ajouta que l'Espagne était sincère dans son désir de former une amitié durable, mais qu'elle n'agissait point par crainte. J'avais auparavant exprimé que c'était dans l'intérêt de l'Espagne que je souhaitais de la voir en bonne intelligence avec l'Amérique.

La lecture de ma lettre, dont je joins ici copie, vous fera mieux connaître les points qui ont été entièrement ou partiellement accordés. — J'ai tâché de tirer le plus grand parti de nos conversations, et d'engager le comte aussi loin que je l'ai pu.-D'un autre côté, je n'ai pris pour notre compte aucun engagement, ce qui était facile, grâce à mon caractère privé. Je ne suis pas même allé jusqu'aux professions générales. Mais depuis que j'ai été appelé à Madrid, je me suis seulement proposé d'amener le ministre à des concessions qui pussent servir les vues de M. Jay. Ma lettre fut remise le jeudi. Le lendemain, j'accompagnai M. Carmichaël qui est universellement aimé et respecté dans ce pays. Le samedi avant dîner, je · reçus la réponse que, dans la crainte d'ambiguités, j'avais prié le comte de placer au bas de ma lettre.Je lui ai fait expliquer une phrase de cette réponse devant l'ambassadeur français. J'en joins ici la copie, et je garde l'original pour M. Jay dont j'ai été dans cette occasion l'aide de camp politique. J'en ai naturellement référé à lui pour toute chose; et cette négociation, dans laquelle il a fait preuve d'une grande patience, va maintenant réclamer ses soins et son habileté. Les ministres de quelques puissances, et

parmi eux, le ministre de Prusse, m'ayant demandé si le congrès voudrait leur faire quelques avances, j'ai répondu que dans mon opinion les États-Unis devaient recevoir, et non faire des avances.

En même temps que j'étais occupé de ces conversations avec le comte de Florida-Blanca, je n'ai pas négligé de parler sur le même sujet aux autres ministres.-M. de Galvez, dans le département duquel sont les Indes, paraît avoir beaucoup d'aversion pour les limites anglaises. Il a pour le moment envoyé aux gouverneurs espagnols l'ordre de se tenir dans ces limites, et une copie officielle de cet ordre m'a été promise. Mais l'opinion de M. de Galvez est que ces limites ne conviendraient pas. — J'ai cependant jugé nécessaire d'engager le gouvernement espagnol si étroitement, par écrits officiels et devant témoins, que l'affaire des limites ne peut qu'être tenue pour décidée en ce qui le concerne. Indépendamment de ces écrits, la France, dans la personne de son ambassadeur, est témoin de l'engagement; et pourtant n'ayant qu'un caractère privé, j'ai pris soin de n'engager l'Amérique à rien.

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Je crois maintenant avoir laissé l'Espagne dans la sage et sincère intention de cultiver l'amitié de l'Amérique. -Le parti français à la cour appuiera cette disposition. — Et quoique les Espagnols aimassent mieux qu'il n'existât pas un pays tel que l'Amérique du nord, ils sont franchement et sérieusement désireux de maintenir une parfaite harmonie, et de vivre en amitié et en bon voisinage avec les ÉtatsUnis. Le Mississipi est la grande affaire. Je crois qu'il est dans l'intérêt de l'Amérique d'être bien avec

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l'Espagne, au moins pour quelques années, et particulièrement à cause de l'alliance française. C'est pour cela que je souhaite le succès des négociations de M. Jay. J'ai engagé M. Carmichaël à continuer ses conférences, et je crois qu'elles seront utiles.

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A mon arrivée ici, j'apprends que lord Shelburne n'est plus ministre, et qu'il a été remplacé par lord North; mais je ne puis donner cela comme certain. Le pavillon américain a déjà fait son apparition devant la Cité de Londres.

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En faveur de mon zèle sans bornes pour l'Amérique, me sera-t-il permis de répéter que tous les patriotes américains doivent souhaiter que l'union fédérale entre les États puisse continuer à recevoir une nouvelle force? De cette intime union nationale dépend leur bonheur et leur importance.

Dans l'espoir que mon excursion volontaire à Madrid aura quelque peu servi à remplir les intentions du congrès, je me hâte de rejoindre M. Jay, dont les talens perfectionneront le compte que je lui rendrai. J'ai l'honneur d'être, etc.

A M. DE VERGENNES.

Paris, le 19 mars 1783.

Je pars pour l'Auvergne, Monsieur le comte, et à moins que je ne reçoive vos ordres, je serai une vingtaine de jours dans ce voyage. Mais pour peu que je vous sois utile, ayez la bonté de m'écrire au château de Chavaniac, par Brioude, et je serai heu

reux de venir vous porter mon zèle public et mon attachement particulier.

Les députés de Bayonne sont venus me voir. Ils sont bien reconnaissans de votre intérêt, et bien inquiets sur le plan de campagne des fermes et régies. Vous êtes trop de notre avis, pour que je me permette de donner ici le mien; mais sans avoir de titre bien précis, j'ai cru que mon devoir de citoyen suffirait pour écrire à M. de Fleury. Vous trouverez ici copie de ma lettre, et je désire bien que vous l'approuviez. On ne saurait trop répéter qu'après une grande guerre et une belle paix, il serait ridicule de perdre le fruit de tant de sang et de trésors, et cela pour plaire à une classe de gens qui ne plaisent à personne. Après avoir donné des leçons à l'Angleterre, recevons celles qu'elle nous donne à présent, et tâchons qu'en se trouvant aussi bien chez leurs amis que chez leurs ennemis, les Américains ne soient pas forcés à donner aux derniers la préférence.

En diminuant les inconvéniens naturels de Bayonne, en donnant aussi le port de Marseille, en rendant Dunkerque le plus avantageux possible, j'espère, Monsieur le comte, qu'au lieu du Port-Louis, vous vous déciderez pour Lorient. L'établissement du PortLouis est très petit; il n'offre aucune des commodités de Lorient, et ce dernier port est très agréable aux Américains. Quant aux avantages généraux de commerce, il serait bien important qu'une prompte décision empêchât de rouvrir des liaisons de commerce entre les États-Unis et l'Angleterre.

Soyez assez bon, Monsieur le comte, pour présenter

mes hommages à madame la comtesse de Vergennes. Je me suis présenté plusieurs fois pour la voir, mais je n'ai pas été assez heureux pour lui faire ma cour. Agréez, je vous prie, etc.

DU GÉNÉRAL WASHINGTON A M. DE LAFAYETTE.

Quartier-général, 5 avril 1783.

MON CHER MARQUIS,

Il vous est plus facile de comprendre qu'il ne l'est pour moi d'exprimer la sensibilité de mon cœur, en recevant les communications contenues dans votre lettre de Cadix du 5 février (1). C'est à elle que nous devons le seul avis que nous ayons reçu encore de la pacification générale. En apprenant cette nouvelle, mon esprit a été assailli par mille pensées qui se disputaient la prééminence; mais croyez-moi, mon cher ami, aucune ne pouvait supplanter, aucune n'effacera jamais celle de la reconnaissance qu'a fait naître la vive appréciation de la conduite de votre nation, le sentiment de mes obligations envers plusieurs de ses illustres personnages (et ce n'est point par flatterie que je vous place à leur tête), enfin l'admiration que m'inspirent les vertus de votre auguste souverain, qui dans le même temps où il se déclarait le père de son peuple et le défenseur des droits américains, a donné le plus noble exemple de modération en traitant avec ses ennemis.

(1) Le Triomphe apporta à Philadelphie, le 23 mars, la première nouvelle de la paix générale.

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