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là, l'origine de toutes ces Moralités, Myfleres; Farces & Sotties, qui furent données enfuite; ouvrages abfurdes, il est vrai, mais qui n'en ont pas moins préparé les jours brillans de notre théatre. Or, demande l'auteur, quelles font parmi ces pieces celles qu'on doit aux Troubadours? Qu'ont-ils fait pour les progrès de l'art, & quelles obligations leur a la fcene françoife?» Leur hiftoire exifte, dit-il, ouvvrez-là, qu'y trouvez-vous? Des firventes » des tenfons, d'éternelles & ennuyeuses chan» fons d'amour, fans couleur, fans images, » fans aucun intérêt; en un mot, une assou» piffante monotonie, à laquelle tout l'art de » l'éditeur & l'élégance de fon style n'ont pu » remédier.... Il ne faut rien diffimuler, ajou» te-t-il, & avoir le courage de publier une » remarque intéreffante & bien extraordinaire » affurément, qui fe préfente ici, & que per» fonne, je crois, n'a été jusqu'à préfent dans » le cas de faire, c'eft que les provinces, qui » aux XIIe. & XIIIe. fiecles produifirent les » romanciers & fabliers François, font celles-là » mêmes, qui, aux XVIIe. & XVIIIe. ont pro» duit auffi Moliere, Boileau, Racine, la Fon»taine, Boffuet, Voltaire, Rouffeau, Cor

neille, Buffon, Condé, Turenne, le Brun, » Descartes, Vauban, &c. c'est-à-dire, le gé» nie, l'éloquence, les belles imaginations, les » talens fublimes, & les grands hommes en» fin qui ont illuftré la France. La nature, en » mettant dans le partage de fes faveurs tant » d'inégalité entre les différens cantons du

» royaume, fe feroit-elle donc piû à départir spécialement au nord de la Loire les dons » éminens de l'efprit? J'ignore les caufes de » ce phénomene, & laiffe à d'autres l'honneur » de les découvrir. Mais je ne puis m'empê» cher de remarquer que déja elle commen»çoit à douer nos provinces feptentrionales » de cette vertu créative, de cette vigueur & » fécondité de production, qui depuis, pour » la feconde fois, mais à plus jufte titre, a » rendu nos bons écrivains le modele & l'ad"miration de l'Europe. «

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L'auteur explique enfuite, avec beaucoup de vraisemblance, la maniere dont il a pu ar, river que les Troubadours foient restés en poffeffion d'être regardés comme les premiers & les plus anciens poëtes de la nation; mais une nouvelle difcuffion fur l'origine de ce préjugé nous entraîneroit trop loin: nous invitons à la lire dans l'élégante & favante préface que l'au teur a mise à la tête de fon ouvrage, dont il nous reste à faire connoître quelques morceaux. Nous allons d'abord offrir à nos lecteurs un fabliau moral; c'eft celui qui eft intitulé Merlin.

Deux bucherons, voifins & amis, habitoient un même village. Ils étoient pauvres, mais ac coutumés dès leur naiffance à la pauvreté, leurs bras fuffifoient à leurs befoins. Tous les matins, au point du jour, les deux voifins partoient ensemble pour aller à l'ouvrage, le foir ils revenoient enfemble, & depuis vingt ans ils menoient, fans fe plaindre, cette vie

laborieuse. Mais l'un d'eux ayant eu de fa femme un fils & une fille, ce furcroît de dépense le rendit pendant quelque temps plus mal-aifé que l'autre. Néanmoins par un redoublement de travail, il fit fi bien que les deux enfans furent élevés, & que le fils même reçut quelqu'éducation. Un jour d'hiver cependant, que la neige l'avoit empêché d'aller à la forêt, fa famille fe trouva tout-à-coup fans pain. Le bucheron se promettoit bien de fortir le lendemain, pour remédier à ce malheur; & il alla, en effet dès la pointe du jour, chercher fon voifin. Mais, celui-ci, voyant la gelée très-forte, défefpéra de pouvoir travailler, & laiffa fon ami partir feul. Le pauvre pere que preffoit le befoin, & dont les enfans étoient à jeûn depuis la veille, fe rendit à la forêt, malgré l'inclémence de l'air; mais à peine avoit-il commencé fa tâche, que fes mains engourdies laifferent tomber la coignée; il lui fut impoffible de continuer fon travail. Alors, fans efpoir & fans reffource, il fe met à pleurer amérement & à maudire fon fort. » Condamné par » fa maiffance à l'aviliffement, à la peine, qu'a»t-il eu dans fa vie autre que de la douleur ! » Pas un feul jour de repos! Et encore le

ciel lui rend aujourd'hui fon travail ftérile! "Que va-t-il devenir? Quel fpectacle à fon retour? Des enfans tendant les bras, & de» mandant du pain, une femme forcenée de rage & de tendreffe, des gémiffemens, des » pleurs! A cette idée fon cœur fe déchire, » il appelle la mort. Tout-à coup une voix fort » d'un

d'un buiffon, & lui demande quel eft le fu»jet de fes cris? Je fuis un pere malheureux, " répondit-il, né fans biens, maudit de Dieu, » qui hais la vie, & ne peux mourir. Et moi, » dit la voix, je fuis Merlin: confoles-toi, j'ai "pitié de ton fort; & veux te rendre heu» reux. « Merlin alors lui enfeigna un endroit de fon verger où étoit enfoui un trésor; il l'exhorte à faire un bon emploi de ses richesses, & lui ordonne de revenir au même lieu dans un an. Le pay fan remercie fon bienfaiteur & retourne chez lui. Il court à fon verger, le fouille à l'endroit indiqué, & trouve le tréfor qui doit finir les maux. Toute la famille eft dans la joie. Ils n'eurent garde cependant d'étaler trop promptement une aifance qui les eût trahis. Ce ne fut que peu-à-peu que le bu cheron quitta fon état, acheta des terres, une maison, & renonça au travail. L'année finie, il retourna à la forêt & appella Merlin: "Qu'as» tu, dit la voix? te manque-t-il quelque chofe? » Parles, car j'ai promis de te rendre heureux : » il répondit qu'il avoit du bien affez, mais » il vouloit quelque honneur, & demanda la » prévôté du lieu. « Merlin la lui promit, lui recommanda d'être homme de bien, & lui enjoignit de revenir encore dans un an. Le manant fut fait prévôt, mais cette dignité ne fit qu'ajouter l'orgueil à fes autres vices. Il oublia fon ancien ami; il le voyoit tous les jours revenir de la forêt; mais loin de le fecourir, il affecta au contraire de le mécon noître. A la fin de l'année, il fe rendit auprès Tome 11. D

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de Merlin, & demanda pour fa fille l'honneur d'époufer le prévôt d'Aquilée, & un évêché pour fon fils. Ceci lui fut encore accordé, & le nouveau rendez-vous fixé à l'année suivante. Ce fut bien pis après cette grace nouvelle, il ne connut plus de frein, donna dans tous les excès, & alla même enfin jufqu'à outrager fon bienfaiteur; car ne voyant plus de vœux à former dorénavant, & joignant l'infulte à l'ingratitude, il fe rendit exprès à la forêt, & là, déclara à Merlin, qu'ennemi de la gêne, même de celle qu'on n'éprouvoit que tous les ans, il venoit lui dire adieu, & renoncer pour jamais à des faveurs, qu'il falloit toujours acheter par des prieres. Merlin ne répondit que pour lui annoncer fa vengeance, & elle fut terrible. Peu de jours après, les deux enfants du coupable moururent. Lui-même, ayant retufé au feigneur du canton des fecours que celui-ci lui demandoit pour foutenir une guerre, il fut dépouillé de tous fes biens, on lui ôra fa charge. Bientôt enfin fa mifere devint fi grande, qu'il fe yit contraint de reprendre fon ancien métier.

Ce fabliau rappelle le Bucheron d'Esope, imité par la Fontaine & Boileau; mais, comme l'obferve l'auteur, la fituation de ce pere malheureux qui veut mourir, parce qu'il va voir fa famille périr de befoin & de mifere, eft bien autrement intéreffante que celle d'un payfan fatigué, qui demande la mort, parce qu'il a trop de peine.

Le fabliau fuivant eft un agréable récit des

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