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vers en Romane Provençale ; car parmi ces poëtes Provençaux on trouve cités des Catalans, des Arragonnois, des Italiens. De cent quarante Troubadours environ, dont la patrie eft connue, il n'y en a que vingt-fix qui foient de Provence proprement dite. L'auteur ne prétend point opposer à ce petit nombre celui des poëtes qui ont écrit en Romane françoise : on compteroit plutôt, dit-il, tous les infectes qu'un été voit éclorre. Dans un tems où l'art des vers ne connoiffoit encore aucune regle, le talent de rimer parut fi facile, que tout le monde voulut s'en mêler. On infcrivoit des vers fur les fceaux, fur les vafes, fur les vitraux des églises, fur les tombes fépulchrales, les murs, les pavés : l'office divin, la bible, la régle de St. Benoît, la coutume de Normandie, tout enfin, excepté les chroniques, fut rimé. La nation entiere étoit devenue mé tromane.

Pendant tout le tems que dura cette effer vefcence épidémique pour les vers, l'auteur diftingue trois efpeces principales de poéfie, les chanfons, les romans & les contes. Il trace rapidement l'hiftoire de chacun de ces genres. Il prouve que les chansons, bien an térieurement aux Troubadours, étoient connues des Francs, qu'ils avoient des chanfons guerrieres que le foldat répétoit en chœur, lorsqu'il marchoit au combar; qu'ils en eurent enfuite d'amour & de galanterie, & que les Gaulois eux-mêmes en avoient chanté de fort libres, appellées Vallemachia. Rien ne fut plus

commun, dans le douzieme fiecle, que les chanfons érotiques. St. Bernard en avoit compofé plufieurs dans fa jeuneffe celles d'Abélard pour la célebre Héloïfe, furent chantées par toute la France; & ce goût de gaieté frivole étoit même devenu fi général, qu'en Nor mandie, dans les longues proceffions, tandis que le clergé reprenoit haleine, les femmes en chantoient de badines, nugaces cantilenas. On connoît encore celles de Thibault, comte de Champagne, pour la Reine-Blanche, mere de St. Louis. Tous ces auteurs de chanfons n'étoient point des Troubadours, & nous ne devons donc point ce premier genre à la Pro

vence.

L'auteur explique enfuite l'origine de la romancerie. Il prétend que ce ne fut ni la galanterie ni l'amour qui produifirent les romans, mais qu'on les doit au même motif qui enfanta les croisades; c'eft-à-dire, à un zele de dévotion mal-entendu. Les Sarrafins étoient maîtres de l'Espagne; d'où fans ceffe ils menaçoient la France, dont ils avoient déja poffédé quelques provinces: ils avoient envahi les lieux faints, & l'on regardoit la religion comme intéreffée à cette forte de profanation. On crut donc devoir fonner la trompette contre un peuple infidele & conquérant, que le fanatisme rendoit redoutable; & ainfi nâquirent les trois premieres productions romanefques. Dans toutes les trois on fuppofe pour ennemis aux Sarrafins le héros le plus célebre qu'eût encore produit la France, Charlemagne l'un de ces poëmes lui fait faire

une expédition en Palestine, l'autre en Espagne, le troisieme en Languedoc, pour délivrer Carcaffonne & Narbonne, que ces ennemis du nom chrétien tenoient affiégées. Une remarque que fait l'auteur, c'eft que ces trois fables dévotes font dûes à trois moines. Les poëtes ne tarderent pas à s'emparer d'un genre de fiction fi favorable à des imaginations extravagantes & fans frein. Cependant en adoptant le genre & fouvent le héros, ils fe garderent bien d'adopter le fujet. La chevalerie venoit de naître; ils la transporterent dans leurs poëmes avec fa bravoure inquiete, fon ardeur pour les exploits merveilleux & fa galanterie exaltée. D'autres romans (on appelloit ainfi ces poëmes nouveaux, parce qu'ils étoient écrits en Romane) n'eurent pour objet que des aventures d'amour; d'autres furent fondés fur les prestiges de la féerie.

Il feroit difficile de dire jufqu'à quel point les romans fe multiplierent, le fuccès prodigieux qu'ils obtinrent, non-feulement en France, mais dans tous les royaumes voifins. L'Italie & l'Efpagne les adopterent. Plufieurs furent traduits dans ces langues étrangeres, & conferverent même une telle célébrité, que, dans la suite, lorfque le tems en eut aboli la mémoire parmi nous, il fe trouva des auteurs, qui de bonne foi les croyant Italiens ou Efpagnols, les retraduifirent en françois, comme des productions originairement étrangeres.

Tous ces romans furent, écrits en Romane. françoife; on ne les devoit point aux poëtes

Provençaux. L'auteur ne connoît aux Trou badours que quatre romans, & tous quatre dé vots: ce font Philumela, Gerard de Rouffillon, Guillaume au court-nez, & Honorat de Lérins. » Qui a pu, dit-il, occafionner chez eux cette » difette, dans un genre fur-tout fi fêté, fi » long-tems à la mode? Voilà encore un de » ces faits auxquels n'ont pas fait attention ceux » qui ont prôné les rimeurs en provençale. » On vante tant l'imagination vive de ces pro» vinces favorifées du ciel; & elles n'ont pas » produit un feul roman de féerie! quoi! l'hif "toire nous parle fans ceffe de leur galanterie, " & cette galanterie aboutit à des chanfons! » pas un feul roman d'amour; pas un feul de » chevalerie fur-tout, dans des fiecles où toutes » les imaginations exaltées par les conquêtes » d'Angleterre, de Sicile, de Conftantinople, » de Jérufalem, &c. par les fpectacles guerriers » des tournois, par les fêtes des cours plénie»res, ne refpiroient que le fanatifme des grandes » actions! « Quelqu'irréguliers, quelqu'extravagans même que fuffent ces romans, ils étoient alors regardés comme des productions de longue haleine; c'étoit l'épopée du tems: ne feroit-on pas tenté de croire que les Provençaux n'avoient point la tête épique?

Un genre plus agréable, plus piquant, plus varié, dans lequel nos poëtes François l'emporterent encore fur les Provençaux, eft celui des contes, qu'on nomma d'abord Fables, Fabels ou Fabliaux; on débitoit ces petits poëmes dans les feftins; ils animoient les plaifirs de la.

table. Des bandes joyeuses de jongleurs & de muficiens alloient les réciter de ville en ville, de châteaux en châteaux, & en amusoient le peuple & la nobleffe. Ce nouveau genre, comme celui des romans, eut bientôt une vo gue prodigieufe dans toute l'Europe : toutes les nations s'emprefferent de recueillir ou d'imiter nos contes. Il n'y eut pas jusqu'à la langue même, qui, toute barbare qu'elle étoit alors, ne devînt universellement à la mode. Transportée à Naples & en Sicile par les Nor mands; en Angleterre par Guillaume-le-Conquérant; en Syrie, en Palestine, dans la Morée, dans l'Ifle de Chypre, à Conftantinople, par les croisades; elle obtint fur toutes les autres langues une prééminence fi décidée, que Brunetto Latini, compofant, vers 1260, un cours d'étude, préféra de l'écrire dans notre idiôme, parce que la parlure, dit-il, en eft plus délitable, & commune à tous langaiges.

Ce triomphe de la langue, quel qu'il foit étoit celui de la romane françoise : il n'étoit nullement question de la provençale. L'invention du genre des contes ou fabliaux appartient donc encore aux feuls poëtes François : l'hiftoire des Troubadours, publiée depuis quelques années, n'offre que deux contes parmi les ouvrages de ces rimeurs Provençaux, & tous deux faits dans un tems où la plupart de ceux de nos fabliers exiftoient déja. Ce furent encore les rimeurs François du XIIIe. qui ou vrirent en France la carriere dramatique; l'auteur le prouve par des pieces originales, De,

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