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ducteur, il reconnoît de bonne-foi les défauts qui défigurent ce poëme, défauts excufables dans un fiecle groffier, où l'art n'étoit point connu. Une connoiffance approfondie des mœurs & des ufages du tems d'Homere eft absolument néceffaire à ceux qui veulent apprécier équitablement fes ouvrages. La préface de Pope offre fur cette matiere les lumieres les plus fûres & les plus étendues: c'est un morceau de littérature & d'érudition d'autant plus précieux, qu'il eft bien rare de trouver dans un commentateur un homme de génie & un grand poëte. On prétend que cetre traduction d'Homere valut à Pope près de cent mille écus.

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Mémoires de Martin Scriblerus. C'eft une fa tyre fine & ingénieuse dans le goûr de Cervantes. L'auteur de Don Quichotte attaqua le ridicule de la chevalerie & l'abus du courage; Pope en fociété avec les docteurs Swift & Ar buthnot, entreprit d'attaquer le ridicule de l'érudition & l'abus des fciences. Le caractere de Cornelius Scriblerus, pere de Martin, eft extrêmement comique; c'eft un antiquaire qui regle toutes fes actions d'après l'exemple des anciens, & qui n'attache de prix qu'aux monumens antiques. Le jour de la naiffance de fon fils i fe fouvint d'avoir lu dans Theocrite qu'un bouclier fut le berceau d'Hercule; comme il avoit un vieux bouclier couvert de rouille, qu'il regardoit comme une piece très-rare & d'une antiquité merveilleule, il lui prend fantaifie de faire placer fon fils fur cette antique, & de l'expofer ainfi à la vue de quelques fas

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vans de fa connoiffance; il confie à la fervante ce précieux bouclier, avec ordre d'y mettre fon fils, & de l'apporter à la compagnie couvert d'une piece de fatin bleu.

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Les favans s'étant raffemblés dans fa maifon » Amis, leur dit-il, je me propofe » de vous préfenter mon fils; mais comme » ce n'eft pas un enfant vulgaire, je ne "vous le préfenterai point non plus d'une » façon triviale; fon berceau eft mon ancien » bouclier, fi fameux dans toutes les univer» fités de l'Europe. Vous favez tous comment

je me fuis procuré ce monument de la plus » haute antiquité aux dépens de la vaiffelle de

toute ma famille..... Il s'arrêta en cet en» droit de fa harangue à la vue de la fervantè » qui entroit avec l'enfant. Il le prend d'abord » entre fes bras. Voyez donc mon fils, mais >> regardez d'abord ce bouclier. Contemplez » cette rouille. Précieux vernis du tems, » & production vénérable de tant de fie» cles.c«

» En achevant ces mots, il leve lentement » la couverture de fatin; mais à mesure qu'il » procédoit à l'exhibition de cette précieuse

antique, une pâleur mortelle fe répandoit fur » fon vifage, & fa main trembloit. A la fin

fes forces Pabandonnent au point qu'il laiffe » tomber le bouclier & l'enfant à terre, en » s'écriant d'un ton lamentable, mon bouclier! » ô ciel! mon bouclier!

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» En effet, la fervante, qui fe piquoit de propreté, & qui s'intéreffoit à l'honneur de

fon jeune maître, avoit fi bien écuré le bou»clier qu'on s'y pouvoit mirer. «

Cornelius qui s'étoit évanoui à ce spectacle; étant enfin revenu à lui même, »ô femme, » femme, s'écria-t-il, (& en prononçant ces » mots il arracha le bouclier avec violence des mains de la fervante) eft-ce donc à ton » ignorance que ce monument devra fa ruine! » où eft cette belle croûte qui l'a couvert fi » long-tems? où font ces traces du tems, &, » pour ainfi dire, ces doigts de l'antiquité. » L'attouchement groffier d'une femme ignare » a détruit tout cela.

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>> Les commeres (qui étoient accourues aut » bruit, & qui ne fe mettoient guere en peine » de la caufe de fes regrets) demanderent feu »lement fi l'enfant ne s'étoit point fait de mal; » & dirent: là, là, tout eft bien, la fervante » n'a fait que fon devoir, elle écure on ne » peut pas mieux; quel tintamarre il fait pour » un baffin qu'un barbier de village n'auroit » pas voulu, il y a deux heures, pendre à la porte de fa boutique. Un baffin, s'écria » une autre, ce n'est tout au plus qu'un mau » vais chandelier fans tuyau. Les favans, qui »jufqu'alors avoient gardé le filence, ayant » confidéré attentivement le bouclier, déclare » rent qu'ils adoptoient ce dernier fentiment, » & tâcherent de confoler Cornelius, en l'affu» rant qu'au bout du compte ce n'étoit qu'un » chandelier. Mais cette confolation, bien loin » de calmer le docteur, le mit dans une fi fu* » rieuse colere, qu'il fallut l'emporter & le

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» coucher dans fon lit, où, fatigué de rant » d'agitation, il ne tarda guere à s'endor» mir. «

Tous les détails de l'éducation que Cornelius donne à fon fils font très-plaifans. Les fubtilités de l'ancienne philofophie y font particu liérement tournées en ridicule. Comme le jeune Martin avoit l'entendement très-épais, » Corne

lius, obligé d'éclaircir des vérités intellec»tuelles par le fecours des images sensibles, » appella un jour fon cocher, & lui demanda » ce qu'il avoit vu la veille. Le cocher ré»pondit qu'il avoit vu deux hommes qui fe ❤battoient pour un prix, que l'un étoit un bel

homme, fergent aux gardes, l'autre noir & » boucher de profeffion; que le fergent avoit » des culottes rouges, au lieu que celles du » boucher étoient bleues; qu'ils s'étoient battus » fur un théatre vers les quatre heures après» midi, & que le fergent avoit bleffé le bou» cher à la jambe. Obfervez s'écria Cornelius, » comment cet animal parcourt tous les pré» dicamens de la logique. Hommes, fubftantia: » deux, quantitas: beau & noir, qualitas: fer

gent & boucher, relatio: l'un bleffe l'autre, » actio & paffio: combat, fitus, théatre, ubi: quatre heures après midi, quando: culottes » bleue & rouge, habitus. «

L'anti-fublime, ou l'art de ramper en poésie.

Cet ouvrage, publié fous le nom de Martin Scriblerus, eft une critique fanglante de quelques mauvais écrivains ennemis de Pope. Dans ce traité ironique, il expofe les moyens d'é

crire

crire d'un ftyle bas & trivial, avec autant de férieux & de gravité que Longin lorsqu'il dé couvroit les fources du fublime. Les principes font appuyés d'exemples, choisis dans les ouvrages des auteurs qu'il vouloit immoler à la rifée publique.

Les deux derniers volumes de cette collection renferment les lettres de Pope, où l'on trouve quelques traits qui décelent font caractere, & quelques anecdotes du tems qui peuvent piquer la curiofité. Il eût été à defirer que l'éditeur eût fait un choix. Tout ce qu'un auteur écrit à fes amis n'eft pas digne des regards de la poftérité. Nous n'en extrairons qu'une anecdote touchante, rapportée dans une des lettres du poëte Gay. Dans le tems des travaux de la moiffon, le dernier juillet 1718, deux tendres amans, dont on citoit par-tout la longue fidélité, étoient affis au pied d'une meule, fous l'ombrage d'un hêtre. Jean Howet étoit un garçon quarré, qui pouvoit avoir vingt-cinq ans ; Sara Drew, qui étoit plutôt jolie que belle, avoit à-peu-près le même âge. Ils s'occupoient enfemble aux différens travaux de la campagne : Jean amenoit à fa maîtreffe, matin & foir, les vaches qu'elle devoit traire : à la derniere foire, il lui avoit acheté du taffetas verd pour fon chapeau de paille; & la devife, gravée fur fa bague d'argent, étoit de fon invention. Leur amour étoit la converfation de tout le voisinage. Jean venoit d'obtenir, le matin même, le confentement des parens de fa belle, & ils ne devoient plus atTome II. C

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