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» Jacques; & moi, je ne pourrai dépouiller, » un lâche de fon faux éclat; moi, qui n'ai ni » place, ni pension, moi, qui ne fuis ni l'hé » ritier ni l'efclave de perfonne?«<

La premiere de ces épîtres a pour objet la connoiffance des hommes & la difficulté de les apprécier à leur jufte valeur. Les caracteres varient felon les climats, les mœurs changent avec la fortune, les opinions fe fuccedent avec les livres & les maîtres, les principes s'alterent avec le temps ces regles font donc fautives pour bien juger l'homme. C'eft dans l'exercice de la paffion dominante qu'il faut l'obferver & l'étudier; c'eft alors que l'homme déploie toute fa force, & qu'il femble redoubler de vigueur, ainfi que dans les accès d'une fievre brûlante, quoique ces accès mêmes le détruisent. Le temps n'adoucit point cette paffion favorite; elle s'attache à nous & n'expire qu'avec nous. » Voyez » ce vieillard décrépit, à qui fes crimes ont » donné une race honteufe & fans nom; chaffe » peut-être de fa maifon, ou rudement cou

doyé par fon fils qu'il maudit, il fe traîne » encore fur fes genoux chancelans jusqu'au » galetas d'une prostituée; & il ne voit point » de moineau qu'il ne lui porte envie.

» C'eft le ventre d'un faumon, Helluo, qui » devoit terminer ton deftin. On appelle le » médecin qui déclare qu'il eft trop tard. Mi» féricorde, grand Dieu! s'écrie Helluo: quoi, » plus d'espoir? hélas !... qu'on m'apporte donc » la húre.

» La ménagere Crone, environnée de prê

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» tres en prieres, tâche encore d'épargner le » bout du cierge béni: pour cela elle retient fon haleine, fouffle; & ce fouffle eft fon » dernier foupir.

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» Quoi! un fuaire de flanelle (*), grand » Dieu! Il y auroit de quoi faire damner un » faint, s'écrie la pauvre Narciffa, fur le point de mourir! Non, je veux qu'une belle perfe » enveloppe més membres glacés, & que mon » vifage livide foit orné d'une dentelle de Ma.. » lines faut-il faire peur aux gens quand on » eft mort? Betty, mets-moi un peu de rouge. » Ce fade courtifan, qui, depuis quarante »ans, s'honore du titre de très-humble ferviteur du genre humain, dit encore à l'a»gonie, lorfqu'il peut à peine remuer les le» vres: Si... là où je vais, Monfieur, je pou37 vois vous fervir...

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L'épître fur le carattere des femmes, annonce que Pope avoit long tems vécu parmi elles & qu'il connoiffoit parfaitement les travers, les fantaifies & les caprices de cette aimable moitié du genre humain. On lui reproche cependant trop de dureté, & quelquefois de l'exagération dans fes portraits. Son ami, le doc

(*) La législation angloife, très-attentive à favorifer les manufactures de laine, ordonne que les morts foient enfevelis dans de la flanelle. Sous le nom de Narciffa, l'auteur défigne ici mademoiselle Oldfield, fameufe actrice de Londres, à laquelle on attribuoit ce goûs même pofthume pour la parure,

teur Arbuthnot, remarquoit avec raison qu'il paroiffoit s'attacher plutôt à châtier qu'à corriger. Dans cette épître, qu'il feroit trop long d'analyfer, l'auteur diftingue deux paffions gé nérales, qui fe partagent l'empire fur le fexe, l'amour du plaifir & la fureur de dominer. On y trouve plufieurs portraits où l'on reconnoit la touche ferme & vigoureufe de la Bruyere.

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» Cloë a tout ce qu'il faut pour plaire, tous » les talens de l'efprit; que lui manque-t-il donc un cœur. Elle parle & agit comme » elle doit, mais jamais elle n'éprouve un fen»timent noble & généreux : la vertu lui pa» roît trop pénible, & elle s'en tient aux dé» cences. Elle eft fi froide, fi raifonnable, » qu'elle ne s'embarraffe, ni d'aimer ni d'être » aimée. Lorfque fon amant foupire entre fes » bras, elle peut alors compter les magots de » fa cheminée ; & quand elle voit fon ami en

proie au défefpoir, elle eft en état d'obfer» ver la fupériorité d'une étoffe des indes fur » un drap d'Angleterre. Que le ciel la pré» ferve d'accorder une faveur ou de faire une » dette, elle nie tout. Non, peut-être elle l'ou»blie. Votre fecret eft en fûreté avec elle; » mais vous ne faurez pas les fiens. Elle n'a » jamais noirci le caractere d'aucun de fes » amans; mais elle fe foucie fort peu qu'ils » fe pendent. Cloë voudroit-elle favoir fi vous » êtes mort ou vivant? Elle ordonneroit à »fon laquais de le lui faire accroire. Cloë eft » prudente..... Mais voulez-vous auffi être

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» fage à votre tour? Ne vous désespérez pas » quand Cloë mourra. «

Les deux épîtres fur le faux emploi des richeffes, offrent des traits énergiques & des tableaux faillans. Le poëte regrette, les tems où l'on ne connoiffoit que les échanges, où l'or n'étoit point un figne représentatif des richeffes, parce que fon peu de volume, felon lui, facilite fingulièrement la corruption & la ruine des fortunes. » O! que l'inftrument de » la corruption, plus volumineux, ne peut-il aujourd'hui, comme autrefois, en rendre » l'infamie vifible & la prévenir! Rome, lat » France, pourroient-elles faire échouer nos » deffeins avec leurs vins ou leurs liqueurs? » Elles pourroient tout au plus corrompre quel"ques hoberaux & enivrer les baillis de dix » milles à la ronde. Un miniftre affoupi fe » réveilleroit-il à l'offre de mille jarres d'huile » d'Espagne, de quelques gros balots de drap » d'Angleterre qui bloqueroient fa porte, de » cent bœufs qui mugiroient à fon lever ?...... » L'avarice miférable auroit un tourment de » plus; & la profufion ne pourroit pas diffiper » tout en nature. On pourroit rencontrer le » chevalier Morgan, guindé à cheval au-dessus » de fon fromage, & Wordly criant du char» bon par les rues. Si toute la richeffe de Co» lepeper eût confifté dans ses moiffons & fes » troupeaux, eût-il pu lui-même la livrer aux » vautours & la diffiper fi follement ?.... My» lord veut jouer : conduira-t-on au café de » White un taureau qui rue d'un côté, doane

» des coups de corne de l'autre? Les prix," » ainsi qu'aux anciens jeux, feront-ils quel» ques beaux courfiers, quelques vafes pré» cieux, quelques beautés coquettes? Si Uxo» rio fait rafle de tout, ramenera-t-il chez lui » une demi-douzaine de filles galantes, & met»tra-t-il fa femme en pleurs? Ou l'élégant » Adonis, fi beau & fi ambré, conduira-t-il » à S. James (*) un troupeau de pourceaux ?«

Le poëte philofophe calcule les jouiffances réelles que procurent les richeffes : elles nous donnent du feu, des habits, à manger. Quoi de plus encore? A manger, des habits, du feu; c'est-à-dire, que l'opulence peut bien varier les dépenses, mais qu'après tout elle ne nous procure que ces trois avantages diverfifiés de mille manieres différentes. » Ces richeffes, >> continue le Poëte, peuvent-elles donner des » héritiers à Hopkins (**), qui fe meurt; de » la vigueur à Chartreff (***)? Peuvent-elles

(*) Nom du palais du roi d'Angleterre, où plufieurs feigneurs ont des appartemens.

(**) Hopkins devint fi fameux en Angleterre par fa rapacité, qu'il en acquit le furnom de Vautour. Son mérite, bien calculé, montoit, à fa morr, à près de sept millions, dont il n'avoit jamais fait part à personne, & dont, en mourant, il disposa de maniere qu'on n'en pût jouir qu'après deux générations. Mais la cour de la chancellèrie annulla fon teftament, & donna la ouiffance de fon bien à l'héritier le plus proche, se on la loi.

(***) François Chartreff, homme d'un caractere in

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