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L'ESPRIT

DES

JOURNAUX.

EUVRES Complettes d'ALEXANDRE POPE, traduites en François. Nouvelle édition, revue, corrigée & augmentée du texte anglois, mis à côté des meilleures pieces, & enrichie de dixhuit gravures. VIII volumes in-8vo. A Paris, chez la veuve Duchefne, libraire, rue St. Jacques. Prix 48 liv. brochés, & 96 liv. en papier de Hollande. 1779.

LE plus correct, le plus élégant, le plus

harmonieux des poëtes anglois, c'eft Pope: il fut en Angleterre ce qu'Horace avoit été dans Rome & Defpréaux en France, le poëte de la raifon & du goût. Législateur dans l'art de bien écrire, il fut, comme ces deux grands maî tres, joindre l'exemple au précepte. Fecond & varié, il n'a été médiocre dans aucun genre, & ce qui le diftingue de la plupart des autres

poëtes, c'eft que fes derniers ouvrages, fi l'on excepte fa Dunciade, ont été les meilleurs.

Alexandre Pope naquit à Londres, le 21 mai 1688, de parens nobles & catholiques romains. Son pere, quoique d'une naiffance diftinguée, exerçoit le commerce, mais fon attachement à la communion romaine lui fit perdre une grande partie de fa fortune, lors de la révolution qui plaça le prince d'Orange fur le trône de fon beau-pere, Jacques II. La foible conftitution du jeune Pope ne permit pas à fes parens de l'éloigner de la maison paternelle pour recevoir son éducation littéraire. Son goût pour la poéfie fe manifefta dès fes premieres années, & il convient lui-même qu'il ne fe rappelloit pas le tems où il avoit commencé à faire des vers. A douze ans il compofa, fur la vie champêtre, une ode qui jetta dans l'étonnement tous les littérateurs d'Angleterre. Voici la traduction de cette ode prématurée.

» Heureux l'homme, dont les defirs & les » foins font bornés par un petit nombre d'ar» pens que lui ont laiffés fes peres; qui fe » plaît à refpirer dans fa propre terre fon air » natal; à qui fes troupeaux fourniffent du

lait, fes champs du bled, fes moutons des » habits, fes arbres de l'ombrage en été, du » feu dans l'hiver !

» Heureux, qui, fans inquiétude, voit s'ė» couler tranquillement les heures, les jours » & les années; qui jouit de la fanté du corps » & de la paix de l'ame; qui, tranquille pen

dant le jour, dort profondément pendant la » nuit; qui fait mêler l'aifance à l'étude, & » l'innocence des mœurs à la méditation!

» Puiffé-je vivre ainfi! Ainfi puiffé-je mou

rir fans être pleuré! Puiffé-je ainfi me dé» rober du monde, & n'y pas laiffer feule»ment une pierre qui apprenne où repofent » mes cendres! «

A quatorze ans, il traduifit le premier livre de la Thébaïde de Stace; à quinze ans, il fit fon ode fur la folitude & fes vers fur le filence. On dit encore qu'à cette même époque, il avoit compofé deux pieces de théatre, & un poëme épique de quatre mille vers, intitulé Alcandre. Tels furent les jeux de fon enfance, & les premiers, effais d'un génie impatient de fe produire.

Malheur à l'écrivain précoce dont les compofitions trop fages n'annoncent point la jeuneffe. Les ouvrages du jeune Pope étoient pleins d'idées puériles & de traits extravagans. Par exemple, il y avoit dans fon poëme épique un héros Scythe qui rejettoit avec mépris un oreiller de neige comme un meuble de molleffe & de luxe. Pope fut depuis le premier à rire de ces folies, & eut affez de prudence pour ne pas placer à côté de fes chef-d'oeuvres ces productions informes d'une muse naiffante. Familiarifé de bonne heure avec les anciens, chez lefquels il puifa ce goût qui le diftingue des poëtes de fa nation, il ne négligea point pour cela les modernes, & s'attacha particuliérement à la lecture de Dryden. Rempli de vénération

pour ce grand poëte, il conçut un violent defir de le voir & de le connoître : on le conduifit dans un café où fe rendoit ordinairement Dryden, alors extrêmement vieux; c'eft là que Pope, âgé de douze ans, contempla avec la curiofité du génie cet homme dont il lifoit tous les jours les vers avec admiration, cherchant à reconnoître dans les traits de fon vifage quelque marque de ce talent fublime qui brilloit dans fes ouvrages. Dryden mourut avant qu'il fe fût formé aucune liaison entr'eux, & Pope lui appliqua dans une de fes lettres ce qu'Ovide dit de Virgile: Virgilium vidi tantum.

Retiré avec fa famille dans la forêt de Vindfor, les charmes de cette folitude, les beautés champêtres répandues en foule autour du jeune poëte, échaufferent fon imagination, & lui firent produire à feize ans fes éclogues, parmi lesquelles il faut compter fon poëme de la forêt de Vindfor. A vingt ans il compofa fon effai fur. la critique, mais plus févere qu'Horace, il le perfectionna pendant douze ans ; il dérida fon front dans le poëme de la Boucle enlevée, & la gravité du cenfeur fit place à d'aimables folies. Le Temple de la Renommée fit admirer de plus en plus les richeffes de fa verve. Il développa dans l'épître d'Héloïfe ce que le pathétique a de plus touchant, & une foule de petites pieces pleines d'efprit, d'élégance & d'enjouement, le firent regarder comme le poëte le plus ingénieux, le plus fécond & le plus agréable de l'Angleterre.

Déja l'envie irritée de tant de fuccès fré

miffoit autour de lui; fa fameuse traduction de l'Iliade & de l'Odyffee acheva d'aigrir fes rivaux, dont la fureur jalouse ne connut plus de bornes. Ils fe déchaînerent contre lui dans une fatyre scandaleufe intitulée la Popiade, pleine de railleries indécentes & de calomnies atroces. Pope y fut traité d'ignorant, d'enragé, de monftre, d'homicide, d'empoifonneur. Il eft triste pour l'humanité que parmi les ennemis de Pope on puiffe compter le fage Adiffon; mais les écrivains les plus eftimables fe laiffent quelquefois aveugler par l'amour-propre. L'auteur de Caton fut bleffé de la gloire du traducteur d'Homere, il mit lui-même en vers le premier livre de l'Iliade qu'il fit paroître fous le nom d'un nommé Tickell; mais le génie d'Adiffon dédaigna de fervir fa baffe jalousie. Ses vers dictés par la haine étoient bien inférieurs à ceux de Pope. En vain le pere inconnu de cette verfion informe lui donna-t-il les plus grands éloges, il fut presque le feul de fon avis, & le mauvais fuccès de cette intrigue fut un nouveau triomphe pour fon rival.

Pendant que Pope faifoit lire Homere aux Anglois, Madame Dacier le faifoit adorer en France. Cette favante, après avoir prêché l'incrédule la Motte, en ftyle de commentateur, fit auffi éprouver les effets de fon zele au poëte Anglois qui avoit eu la témérité de trouver des défauts dans l'Iliade. Pope eut plus d'égards pour le fexe de son adverfaire que pour fes raifons, & dans cette difpute il fe montra

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