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"méraire qui le pouffe dans l'épaiffeur des » forêts, dans le fond des vallées, & voit fuir » la terre devant lui. «

Effai fur la critique, traduit en profe par M. de Silhouette, avec l'imitation en vers de l'abbé du Refnel.

Horace & Boileau ont donné des loix aux auteurs, Pope a voulu former des critiques; c'eft dans un âge mûr, c'eft après avoir donné des preuves d'un talent fupérieur & confommé par l'expérience, que les législateurs de la littérature latine & françoise ont ofé tracer des regles aux poëtes leurs confreres; c'eft à vingt ans, & dans la premiere chaleur d'un génie prématuré, que le poëte anglois effaya d'établir des principes pour bien juger des ouvrages de goût. Prefque tous fes préceptes font puifés dans Horace; mais le jeune Ariftarque les a présentés avec des ornemens dont ils ne paroiffoient pas fusceptibles. On ne peut qu'admirer les beautés qu'il a fu tirer d'un fujet ingrat & moins propre encore à la poéfie que celui de Boileau. On trouve dans l'Effai fur la critique beaucoup de fineffe & de vivacité, un style nerveux, correct, élégant. L'auteur fou vent diffus dans les penfées, eft toujours précis dans l'expreffion. Mais il ne faut point comparer cet ouvrage à l'Art poétique de Boileau, qui lui eft très-fupérieur. Il y a dans Pope plus de traits ingénieux, plus de faillies, de légéreté & d'imagination; Boileau eft plus grave, plus folide, plus profond; il a bien plus d'ordre, de clarté, de précision dans les idées; fes

principes font d'une utilité plus générale fon ftyle fur-tout eft plus naturel, plus éloquent, plus riche & plus poétique. Les deux chants où il explique la nature & les regles des différens genres de poéfie, valent mieux feuls que tout l'ouvrage de Pope. L'Effai fur la critique étincelle d'efprit; l'Art poétique porte l'empreinte du génie.

La version que l'abbé du Refnel nous a donnée de l'Effai fur la critique eft pure & correcte; mais fouvent auffi foible qu'infidelle. Il eft fort éloigné de la précision & de l'énergie de fon auteur, & fa diction est en général, trop profaïque, quoiqu'on y remarque plufieurs morceaux qui ont du mérite.

La Boucle de cheveux enlevée, traduite en profe par l'abbé des Fontaines, & en vers par M. Marmontel.

Nous n'ajouterons rien à ce que nous avons déja dit de cet ouvrage. (*) Il resulte, de l'examen que nous en avons fait, qu'on ne doit point le mettre en parallele avec le Lutrin, & qu'il eft même inférieur au Ververt pour la julteffe des idées, le bon goût des ornemens & la régularité du deffin. On cite une lettre de M. de Voltaire, où il met la Boucle de cheveux au-deffus du Lutrin, & prodigue les plus grands éloges au poëme anglois. En respectant, comme on le doit, l'autorité de ce grand hom

(*) Voyez l'Esprit des journaux pour le mois de mai 1778, page 36-58,

me, on peut répondre qu'il vivoit alors en Angleterre, qu'il voyoit Pope; que l'on peut fort bien dans une lettre mettre de la politeffe & de la complaifance plutôt qu'un jugement exact & réfléchi; qu'enfin dans les lettres fur les Anglois, il ne donna pas le moindre éloge à cet ouvrage, & réserva toutes les louanges pour l'Effai fur l'homme, dont il a toujours fait le plus grand cas.

Le Temple de la Renommée, traduit en profe,, avec une imitation en vers, par madame du Bocage.

Les ingénieuses fictions dont Ovide a égayé fes métamorphofes, les belles defcriptions qu'il fait du féjour de l'envie, du fommeil, de la faim, de la renommée, ont donné aux poëtes modernes l'idée de ces brillantes allégories qui font le triomphe de l'imagination. Les Anglois, amis du merveilleux, goûtent beaucoup les allégories, & leurs auteurs en font remplis. On reproche avec raison au poëme de Pope un plan irrégulier, des idées plus hardies que juftes, & plufieurs fautes contre la vraisemblance. Mais comparé aux extravagantes fictions qui fouvent ont fait les délices de la nation angloife, le Temple de la Renommée et un chef-d'œuvre de fageffe & de régularité. Ce poëme eft terminé par une tirade noble & fublime. Le poëte, après avoir déclaré que malgré les maux attachés à la renommée, il n'eft pas infenfible à fes faveurs: « » Toutefois, s'écrie-t-il, fi je ne puis méri

ter fes careffes & l'avantage d'en jouir qu'en » flattant lâchement la fatuité & l'impertinen

» ce, s'il faut que ma mufe prodigue fon en-
» cens au vice & à la tyrannie, ou que ram-
» pant en vil efclave au gré de la fortune elle
» adore baffement fes caprices; fi les débris
» de la réputation des autres font les degrés
» qui doivent me conduire au temple de la
» gloire, fi la renommée enfin coûte fi cher;'
» ciel, donne-moi le courage de dédaigner
» des lauriers criminels; éteins dans mon cœur
» cette indigne foif de la louange; permets
» que ma vie foit pure & innocente,
& que
» je meure plutôt inconnu. Que mon nom se
» life parmi ceux des gens bien, ou foit effacé
» de ton temple. »

Epitre d'Héloïfe à Abailard, chef-d'œuvre de fentiment, & de goût, fi heureusement tranfporté dans notre langue par M. Colar deau.

Dans fes autres ouvrages Pope fait inftruire & plaire; dans celui-ci, il remplit la troisieme & la plus importante fonction du poëte, il touche, il parle au cœur, & fait naître dans l'ame un fentiment profond.

Poéfies diverfes. Sous ce titre, on trouve deux contes imités de Chaucer, du même genre, mais non du même mérite que ceux de la Fontaine. Janvier & Mai. Janvier défigne P'hiver & la vieilleffe, Mai, le printemps & la jeuneffe. Janvier, vieillard fort riche, épouse la jeune & charmante Mai, & fubit le deftin réservé aux alliances mal afforties. C'eft le fond du premier conte. Le fecond, intitulé la femme de Bath, contient la confeffion d'une femme

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quí a dupé cinq maris. Dans ces deux contes; les faits fe trouvent noyés dans un ennuyeux verbiage; ils font égayés de plaifanteries à l'angloise, c'est-à-dire, un peu groffes & chargées.

Mélanges. Ce font des imitations d'Horace; des épîtres, des épigrammes, des madrigaux, des pieces fugitives de toute efpece, & furtout un grand nombre d'épitaphes. Dans ces productions légeres on reconnoît toujours l'efprit, la fineffe & la correction de Pope.

Effai fur l'homme, traduit en profe par M. de Silhouette, avec l'imitation en vers de l'abbé du Refnel.

C'est le plus important & le plus célebre de tous les ouvrages de Pope. Son talent particulier étoit d'embellir la métaphyfique des cou leurs de l'imagination. Les profondes spéculations renfermées dans ce poëme feroient honneur au plus grand philofophe; dans le ftyle & dans les détails on reconnoît un grand poëte. On admire fur-tout cette précision rigoureuse & philofophique, cette force & cette jufteffe d'expreffion, cette élégance continue qui jamais ne laiffent appercevoir la gêne de la verfification & la tyrannie de la rime. Pope n'a point de fupérieur dans l'art difficile d'égayer & d'orner des matieres arides & abftraites. Cependant fon poëme eft moins lu qu'eftimé, parce qu'il eft quelquefois obfcur, & qu'il fatigue l'attention. L'abbé du Refnel a traduit ce poëme en vers, quelquefois avec élégance; mais en général, il substitue la foibleffe & la prolixité du

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