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Note sur le Portail latéral de l'Église de Saint-Mard

Située sur un monticule, l'église de Saint-Mard produit un très bel effet dans le paysage; toutefois, remaniée dans le cours des siècles, l'extérieur ne fait pas prévoir les beautés de l'intérieur, où de grands travaux de restauration exécutés avec un goût vraiment artistique par Mile Rostan, à la fin du dernier siècle, lui ont rendu son aspect primitif.

Mon intention n'est pas de vous y introduire, et pourtant elle mériterait une visite, cette église dont Prioux a dit qu'elle pourrait servir de type pour une église de village et Ed. Fleury : « on peut tenir ce petit édifice pour un des plus complets et meilleurs patrons d'église de village comme proportions, dispositions et qualités artistiques (1). »

Nous n'en franchirons donc pas le seuil; nous nous arrêterons devant le tympan du portail latéral divisé en quatre arcatures trilobées surmontées de pignons aux arêtes garnies de crochets et dans chacune desquelles est une petite scène dont les personnages et leurs attributs sont malheureusement très mutilés.

Prioux, qui en parle brièvement dans son Répert. archéol. (Bulletin, t. xvi, p. 58), dit ceci : « On y distingue un évêque et trois enfants dans une cuve baptismale; une conjuration de l'esprit malin, une consécration d'autel, et une apparition de Jésus à Madeleine. »

(1) Anti. et Monum. du dép. de l'Aisne, t. iv, p. 182.

Il y a là trois erreurs que je voudrais rectifier.

L'évêque du premier compartiment est saint Nicolas; les trois petits enfants ne sont pas dans une cuve baptismale mais bien dans un saloir où, sept ans auparavant, « comme pourceaux », les avait mis le boucher et d'où les tira vivants la parole de l'évêque.

Saint Nicolas, on le sait, est l'un des saints les plus populaires du calendrier, surtout dans les pays du Nord. Dans beaucoup d'églises il était représenté soit en peinture, soit en sculpture, bénissant les trois enfants; à Presles il avait sa chapelle où étaient dites deux messes à chacune de ses fêtes pour Raoul de Presles et sa femme Jeanne de Chastel.

« Voici, dit le P. Cahier, dans ses Caractéristiques des Saints, la signification du saloir et des trois petits enfants, d'après le trouvère normand Wace:

Trois clers aloient à l'école,
N'en ferai pas longe parole.
Lor oste par nuit les ochist,
Les cors mucha, l'avoir en prist.
Saint Nicolas par Dieu le sot;
Sempres fu là, si com Dex plot.
Les clers à l'oste demanda;
N'es pot céler, se li mostra.
Saint Nicolas par sa proière
Mit les ames et cors arière.
Por che c'as clers fist cele honor,

Font li clers sa feste a son jor. »

Jolie légende que Gérard de Nerval a racontée dans la ballade bien connue :

Ils étaient trois petits enfants

Qui s'en allaient glaner aux champs.

S'en vont un soir chez un boucher, etc.

Cela se passait loin, bien loin, à Myre, en Lycie, au Ive siècle.

Les deux scènes suivantes se rapportent à des faits locaux et pour les comprendre il faut remarquer que l'église de Saint-Mard, comme l'indique son nom, est dédiée à saint Médard. Ce saint a aussi sa légende que je transcris encore d'après le P. Cahier, qui lui-même, l'a tirée de Vincent de Beauvais (1).

<< On raconte que, dans son enfance, gardant les chevaux de son père, il en donna un par aumône ; et, compte fait, le père, qui était cependant près regardant, ne trouva pas qu'il manquât rien. » Cette histoire est tellement reçue en Picardie, ajoute le P. Cahier, que, quand il pleut le 8 juin, on dit que c'est pour abreuver les poulains de saint Médard. Ce saint, dit-il aussi, est représenté avec, près de lui, un poulain ou plusieurs chevaux.

La scène de ce second compartiment dans lequel on distingue deux hommes et deux chevaux est évidemment celle où saint Médard fait l'aumône de l'un des chevaux de son père, et non une conjuration de l'esprit malin.

Dans le troisième compartiment nous voyons deux crosses, par conséquent deux évêques, et une femme, revêtue d'un long voile, courbée devant un autel ceci n'est plus de la légende, mais de l'histoire

(1) Caract. des Saints, t. I, p. 210,

et il s'agit là, non d'une consécration d'autel, mais de la consécration de sainte Radegonde.

L'histoire, on la connaît. Du consentement de Clotaire, Radegonde a quitté la cour et s'est rendue à Noyon, près de l'évêque saint Médard qui, sur ses instances, malgré la défense des leudes présents, et comme frappé d'un coup de tonnerre, dit Fortunat, lui impose les mains et la consacre diaconesse : ce fait important de la vie de sainte Radegonde est aussi représenté sous les voussures du charmant portail de Missy.

Quand au second évêque, ce ne peut être que saint Germain, évêque de Paris, et j'en trouve la preuve dans Dormay (t. 1°r, p. 171). « Un écrivain du pays, écrit-il, a dit que Clotaire envoya à Radegonde deux illustres prélats, saint Médard et saint Germain d'Auxerre, pour la persuader de se rendre à sa volonté et de consentir au mariage: mais il se trompe en l'un des deux ; car saint Germain, évêque d'Auxerre, vivait dès le temps du pape Célestin 1er, qui l'envoya en Angleterre, et mourut en 448, environ 80 ans devant ce mariage. Je mettrais plutôt en sa place saint Germain, abbé d'Autun, qui fut depuis évêque de Paris et qui écrivit plusieurs fois à Radegonde et reçut de ses lettres. Véritablement il ne fallait point d'autres ambassadeurs que ceux-là pour obtenir le consentement de cette princesse. >>

Lorsque, plus tard, Clotaire voudra se rendre au monastère de Poitiers pour y reprendre sa royale épouse, c'est à saint Germain de Paris, qui accompagnait le roi, que s'adressera Radegonde pour le prier

d'intervenir auprès du roi et le dissuader d'aller jusqu'à Poitiers.

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'artiste de Saint-Mard ait représenté saint Germain de Paris à côté de saint Médard dans cette scène de la consécration de sainte Radegonde.

E. BOUCHEL.

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