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du blé, il se récupère sur la vente de son drap. « Chacun « retrouve dans l'excédant du prix de ses produits (dirai-je) « l'excédant du montant de ses dépenses; et si tout le << monde paye comme consommateur, tout le monde aussi « reçoit comme producteur. »

Tout cela, c'est de l'amphigouri et non de la science. La vérité, réduite à sa plus simple expression, la voici : que les hommes détruisent le drap et le blé par l'incendie ou par l'usage, l'effet est le même quant aux prix, mais non quant à la richesse, car c'est précisément dans l'usage des choses que consiste la richesse ou le bien-être.

De même, la restriction, tout en diminuant l'abondance. des choses, peut en hausser le prix de manière à ce que chacun soit, si vous voulez, numérairement parlant, aussi riche. Mais faire figurer dans un inventaire trois hectolitres de blé à 20 francs ou quatre hectolitres à 15 francs, parce que le résultat est toujours 60 francs, cela revient-il au même, au point de vue de la satisfaction des besoins?

Et c'est à ce point de vue de la consommation que je ne cesserai de ramener les protectionnistes, car c'est là qu'est la fin de tous nos efforts et la solution de tous les problèmes 1. Je leur dirai toujours: N'est-il pas vrai que la restriction, en prévenant les échanges, en bornant la division du travail, en le forçant à s'attaquer à des difficultés de situation et de température, diminue, en définitive, la quantité produite par une somme d'efforts déterminée ? Et qu'importe !

Que la moindre quantité produite sous le régime de la portection ait la même valeur nominale que la plus grande quan

1 Cette pensée revient souvent sous la plume de l'auteur. Elle avait à ses yeux une importance capitale et lui dictait quatre jours avant sa mort cette recommandation: « Dites à de F. de traiter les questions économiques toujours au point de vue du consommateur, car l'intérêt du consommateur ne fait qu'un avec celui de l'humanité ».

(Note de l'éditeur.)

tité produite sous le régime de la liberté ? L'homme ne vit pas de valeurs nominales, mais de produits réels, et plus il a de ces produits, n'importe le prix, plus il est riche.

Je ne m'attendais pas, en écrivant ce qui précède, à rencontrer jamais un anti-économiste assez bon logicien pour admettre explicitement que la richesse des peuples dépend de la valeur des choses, abstraction faite de leur abondance. Voici ce que je trouve dans le livre de M. de Saint-Chamans (page 210):

« Si 15 millions de marchandises vendues aux étrangers « sont pris sur le produit ordinaire, estimé 50 millions, <«<les 35 millions restants de marchandises, ne pouvant « plus suffire aux demandes ordinaires, augmenteront de «< prix, et s'élèveront à la valeur de 50 millions. Alors le «< revenu du pays représentera 15 millions de valeur de « plus... Il y aura donc accroissement de richesses de «< 15 millions pour le pays, précisément le montant de « l'importation du numéraire. >>

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Voilà qui est plaisant ! Si une nation a fait dans l'année pour 50 millions de récoltes et marchandises, il lui suffit d'en vendre le quart à l'étranger pour être d'un quart plus riche! Donc, si elle en vendait la moitié, elle augmenterait de moitié sa fortune, et si elle échangeait contre des écus son dernier brin de laine et son dernier grain de froment, elle porterait son revenu à 100 millions! Singulière manière de s'enrichir que de produire l'infinie cherté par la rareté absolue!

Au reste, voulez-vous juger des deux doctrines? soumettez-les à l'épreuve de l'exagération.

Selon celle de M. de Saint-Chamans, les Français seraient tout aussi riches, c'est-à-dire aussi bien pourvus de toutes choses avec la millième partie de leurs produits annuels, parce qu'ils vaudraient mille fois davantage.

Selon la nôtre, les Français seraient infiniment riches. si leurs produits annuels étaient d'une abondance infinie, et par conséquent sans valeur aucune 1.

XII. LA PROTECTION ÉLÈVE-T-ELLE LE TAUX DES SALAIRES?

Un athée déblatérait contre la religion, contre les prêtres, contre Dieu. « Si vous continuez, dit un des assistants, peu orthodoxe lui-même, vous allez me convertir. »

Ainsi, quand on entend nos imberbes écrivailleurs, romanciers, réformateurs, feuilletonistes ambrés, musqués, gorgés de glaces et de champagne, serrant dans leur portefeuille les Ganneron, les Nord et les Mackenzie, ou faisant couvrir d'or leurs tirades contre l'égoïsme, l'individualisme du siècle; quand on les entend, dis-je, déclamer contre la dureté de nos institutions, gémir sur le salariat et le prolétariat; quand on les voit lever au ciel des yeux attendris à l'aspect de la misère des classes laborieuses, misère qu'ils ne visitèrent jamais que pour en faire de lucratives peintures, on est tenté de leur dire: Si vous continuez ainsi, vous allez me rendre indifférent au sort des ouvriers.

Oh!l'affectation ! l'affectation ! voilà la nauséabonde maladie de l'époque! Ouvriers, un homme grave, un philanthrope sincère a-t-il exposé le tableau de votre détresse, son livre a-t-il fait impression, aussitôt la tourbe des réformateurs jette son grappin sur cette proie. On la tourne, on la retourne, on l'exploite, on l'exagère, on la presse jusqu'au dégoût, jusqu'au ridicule. On vous jette pour tout remède les grands mots : organisation, association; on vous flatte, on vous flagorne, et bientôt il en sera des ouvriers comme des esclaves : les hommes sérieux auront honte d'embras

1 V. le chap. v de la seconde série des Sophismes et le chap. Iv des Harmonies économiques. (Note de l'éditeur.)

ser publiquement leur cause, car comment introduire. quelques idées sensées au milieu de ces fades déclamations?

Mais loin de nous cette lâche indifférence que ne justifierait pas l'affectation qui la provoque!

Ouvriers, votre situation est singulière! on vous dépouille, comme je le prouverai tout à l'heure... Mais non, je retire ce mot; bannissons de notre langage toute expression violente et fausse peut-être, en ce sens que la spoliation, enveloppée dans les sophismes qui la voilent, s'exerce, il faut le croire, contre le gré du spoliateur et avec l'assentiment du spolié. Mais enfin, on vous ravit la juste rémunération de votre travail, et nul ne s'occupe de vous faire rendre justice. Oh! s'il ne fallait, pour vous consoler, que de bruyants appels à la philanthropie, à l'impuissante charité, à la dégradante aumône, s'il suffisait des grands mots organisation, communisme, phalanstère, on ne vous les épargne pas. Mais justice, tout simplement justice, personne ne songe à vous la rendre. Et cependant ne seraitil pas juste que, lorsque après une longue journée de labeur vous avez touché votre modique salaire, vous le puissiez échanger contre la plus grande somme de satisfactions que vous puissiez obtenir volontairement d'un homme quelconque sur la surface de la terre?

Un jour, peut-être, je vous parlerai aussi d'association, d'organisation, et nous verrons alors ce que vous avez à attendre de ces chimères par lesquelles vous vous laissez égarer sur une fausse quête.

En attendant, recherchons si l'on ne vous fait pas injustice en vous assignant législativement les personnes à qui il vous est permis d'acheter les choses qui vous sont nécessaires le pain, la viande, la toile, le drap, et, pour ainsi dire, le prix artificiel que vous devez y mettre.

Est-il vrai que la protection, qui, on l'avoue, vous fait

payer cher toutes choses et vous nuit en cela, élève proportionnellement le taux de vos salaires?

De quoi dépend le taux des salaires?

Un des vôtres l'a dit énergiquement: Quand deux ouvriers courent après un maître, les salaires baissent; ils haussent quand deux maîtres courent après un ouvrier.

Permettez-moi, pour abréger, de me servir de cette phrase plus scientifique et peut-être moins claire : « Le taux des salaires dépend du rapport de l'offre à la demande du travail. »

Or, de quoi dépend l'offre des bras?

Du nombre qu'il y en a sur la place; et sur ce premier élément la protection ne peut rien.

De quoi dépend la demande des bras?

Du capital national disponible. Mais la loi qui dit : « On ne recevra plus tel produit du dehors, on le fera au dedans,» augmente-t-elle ce capital? Pas le moins du monde. Elle le tire d'une voie pour le pousser dans une autre, mais elle ne l'accroît pas d'une obole. Elle n'augmente donc pas la demande des bras.

On montre avec orgueil telle fabrique. - Est-ce qu'elle s'est fondée et s'entretient avec des capitaux tombés de la lune? Non, il a fallu les soustraire soit à l'agriculture, soit à la navigation, soit à l'industrie vinicole. Et voilà pourquoi si, depuis le règne des tarifs protecteurs, il y a plus d'ouvriers dans les galeries de nos mines et dans les faubourgs de nos villes manufacturières, il y a moins de marins dans nos ports, moins de laboureurs et de vignerons dans nos champs et sur nos coteaux.

Je pourrais disserter longtemps sur ce thème. J'aime mieux essayer de vous faire comprendre ma pensée par un exemple.

Un campagnard avait un fonds de terre de vingt arpents, qu'il faisait valoir avec un capital de 10,000 francs. Il divisa

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