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gratuité comme nuisible à notre travail national, repousser à fortiori et avec deux fois plus de zèle la gratuité entière.

<< Encore une fois, quand un produit, houille, fer, froment ou tissu, nous vient du dehors et que nous pouvons l'acquérir avec moins de travail que si nous le faisions nous-mêmes, la différence est un don gratuit qui nous est conféré. Ce don est plus ou moins considérable, selon que la différence est plus ou moins grande. Il est du quart, de la moitié, des trois quarts de la valeur du produit, si l'étranger ne nous demande que les trois quarts, la moitié, le quart du paiement. Il est aussi complet qu'il puisse l'être, quand le donateur, comme fait le soleil pour la lumière, ne nous demande rien. La question, et nous la posons formellement, est de savoir si vous voulez pour la France le bénéfice de la consommation gratuite ou les prétendus avantages de la production onéreuse. Choisissez, mais soyez logiques; car, tant que vous repousserez, comme vous le faites, la houille, le fer, le froment, les tissus étrangers, en proportion de ce que leur prix se rapproche de zéro, quelle inconséquence ne serait-ce pas d'admettre la lumière du soleil, dont le prix est à zéro, pendant toute la journée ? »

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Un pauvre cultivateur de la Gironde avait élevé avec amour un plant de vigne. Après bien des fatigues et des travaux, il eut enfin le bonheur de recueillir une pièce de vin, et il oublia que chaque goutte de ce précieux nectar avait coûté à son front une goutte de sueur. « Je le vendrai, dit-il à sa femme, et avec le prix j'achèterai du fil dont tu feras le trousseau de notre fille ». L'honnête campagnard se rend à la ville; il rencontre un Belge et un Anglais. Le Belge lui dit : « Donnez-moi votre pièce de

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vin, et je vous donnerai en échange quinze paquets de fil. » L'Anglais dit : « Donnez-moi votre vin, et je vous donnerai vingt paquets de fil; car, nous autres Anglais, nous filons à meilleur marché que les Belges. » Mais un douanier qui se trouvait là dit : «< Brave homme, échangez avec le Belge, si vous le trouvez bon, mais je suis chargé de vous empêcher d'échanger avec l'Anglais. Quoi! dit le campagnard, vous voulez que je me contente de quinze paquets de fil venus de Bruxelles, quand je puis en avoir vingt venus de Manchester? Certainement; ne voyezvous pas que la France perdrait, si vous receviez vingt paquets, au lieu de quinze ? — J'ai peine à le comprendre, dit le vigneron. - Et moi à l'expliquer, repartit le douanier; mais la chose est sûre; car tous les députés, ministres et gazetiers sont d'accord sur ce point, que plus un peuple reçoit en échange d'une quantité donnée de ses produits, plus il s'appauvrit. » Il fallut conclure avec le Belge. La fille du campagnard n'eut que les trois quarts de son trousseau, et ces braves gens en sont encore à se demander comment il se fait qu'on se ruine en recevant quatre au lieu de trois, et pourquoi on est plus riche avec trois douzaines de serviettes qu'avec quatre douzaines.

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Au moment où tous les esprits sont occupés à chercher des économies sur les moyens de transport;

Au moment où, pour réaliser ces économies, on nivelle les routes, on canalise les rivières, on perfectionne les bateaux à vapeur, on relie à Paris toutes nos frontières par une étoile de fer, par des systèmes de traction atmosphériques, hydrauliques, pneumatiques, électriques, etc.; Au moment enfin où je dois croire que chacun cherche avec ardeur et sincérité la solution de ce problème:

« Faire que le prix des choses, au lieu de consommation, se rapproche autant que possible du prix qu'elles ont au lieu de production; »

Je me croirais coupable envers mon pays, envers mon siècle et envers moi-même, si je tenais plus longtemps secrète la découverte merveilleuse que je viens de faire.

Car les illusions de l'inventeur ont beau être proverbiales, j'ai la certitude la plus complète d'avoir trouvé un moyen infaillible pour que les produits du monde entier arrivent en France, et réciproquement, avec une réduction de prix considérable.

Infaillible! et ce n'est encore qu'un des avantages de mon étonnante invention.

Elle n'exige ni plan, ni devis, ni études préparatoires, ni ingénieurs, ni machinistes, ni entrepreneurs, ni capitaux, ni actionnaires, ni secours du gouvernement !

Elle ne présente aucun danger de naufrages, d'explosions, de chocs, d'incendie, de déraillement!

Elle peut être mise en pratique du jour au lendemain ! Enfin, et ceci la recommandera sans doute au public,

elle ne grèvera pas d'un centime le budget; au contraire. Elle n'augmentera pas le cadre des fonctionnaires et les exigences de la bureaucratie; au contraire.

coûtera à personne sa liberté; au contraire.

Elle ne

Ce n'est pas le hasard qui m'a mis en possession de ma découverte, c'est l'observation. Je dois dire ici comment j'y ai été conduit.

J'avais donc cette question à résoudre:

<«< Pourquoi une chose faite à Bruxelles, par exemple, coûte-t-elle plus cher quand elle est arrivée à Paris ? »

Or, je n'ai pas tardé à m'apercevoir que cela provient de ce qu'il existe entre Paris et Bruxelles des obstacles de plusieurs sortes. C'est d'abord la distance; on ne peut la franchir sans peine, sans perte de temps; et il faut bien s'y

soumettre soi-même ou payer pour qu'un autre s'y soumette. Viennent ensuite des rivières, des marais, des accidents de terrain, de la boue; ce sont autant de difficultés à surmonter. On y parvient en construisant des chaussées, en bâtissant des ponts, en perçant des routes, en diminuant leur résistance par des pavés, des bandes de fer, etc. Mais tout cela coûte, et il faut que l'objet transporté supporte sa part des frais. Il y a encore des voleurs sur les routes, ce qui exige une gendarmerie, une police, etc.

Or, parmi ces obstacles, il en est un que nous avons jeté nous-mêmes, et à grands frais, entre Bruxelles et Paris. Ce sont des hommes embusqués le long de la frontière, armés jusqu'aux dents et chargés d'opposer des difficultés au transport des marchandises d'un pays à l'autre. On les appelle douaniers. Ils agissent exactement dans le même sens que la boue et les ornières. Ils retardent, ils entravent, ils contribuent à cette différence que nous avons remarquée entre le prix de production et le prix de consommation, différence que notre problème est de réduire le plus possible.

Et voilà le problème résolu. Diminuez le tarif.

Vous aurez fait le chemin de fer du Nord sans qu'il vous en ait rien coûté. Loin de là, vous épargnerez de gros traitements, et vous commencerez dès le premier jour par mettre un capital dans votre poche.

Vraiment, je me demande comment il a pu entrer assez de bizarrerie dans nos cervelles pour nous déterminer à payer beaucoup de millions dans l'objet de détruire les obstacles naturels qui s'interposent entre la France et l'étranger, et en même temps à payer beaucoup d'autres millions pour y substituer des obstacles artificiels qui ont exactement les mêmes effets, en sorte que, l'obstacle créé et l'obstacle détruit se neutralisant, les choses vont comme devant, et le résidu de l'opération est une double dépense.

Un produit belge vaut à Bruxelles 20 fr. et, rendu à Paris, 30 fr., à cause des frais de transport. Le produit similaire d'industrie parisienne vaut 40 fr. Que faisons-nous?

D'abord, nous mettons un droit d'au moins 10 fr. sur le produit belge, afin d'élever son prix de revient à Paris à 40 fr., et nous payons de nombreux surveillants pour qu'il n'échappe pas à ce droit, en sorte que dans le trajet il est chargé de 10 fr. pour le transport et de 10 fr. pour la taxe. Cela fait, nous raisonnons ainsi : ce transport de Bruxelles à Paris, qui coûte 10 fr., est bien cher. Dépensons deux ou trois cents millions en railways, et nous le réduirons de moitié. Évidemment, tout ce que nous aurons obtenu, c'est que le produit belge se vendra à Paris 35 fr., savoir:

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5 port réduit par le chemin de fer.

35 fr. total, ou prix de revient à Paris.

Eh! n'aurions-nous pas atteint le même résultat en abaissant le tarif à 5 fr. ? Nous aurions alors: 20 fr. prix de Bruxelles.

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35 fr. total, ou prix de revient à Paris.

Et ce procédé nous eût épargné 200 millions que coûte le chemin de fer, plus les frais de surveillance douanière, car ils doivent diminuer à mesure que diminue l'encouragement à la contrebande.

Mais, dit-on, le droit est nécessaire pour protéger l'industrie parisienne. Soit; mais alors n'en détruisez pas l'effet par votre chemin de fer.

Car si vous persistez à vouloir que le produit belge revienne, comme celui de Paris, à 40 fr., il vous faudra porter le droit à 15 fr. pour avoir:

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