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Arrière leur atelier social, leur phalanstère, leur gouvermentalisme, leur centralisation, leurs tarifs, leurs universités, leur religion d'État, leurs banques gratuites ou leurs banques monopolisées, leurs compressions, leurs restrictions, leur moralisation ou leur égalisation par l'impôt ! Et puisqu'on a vainement infligé au corps social tant de systèmes, qu'on finisse par où l'on aurait dû commencer, qu'on repousse les systèmes, qu'on mette enfin à l'épreuve la Liberté, la Liberté, qui est un acle de

foi en Dieu et en son œuvre.

PROPRIÉTÉ ET SPOLIATION

Première lettre 1,

Juillet 1848.

L'Assemblée nationale est saisie d'une question immense, dont la solution intéresse au plus haut degré la prospérité et le repos de la France. Un Droit nouveau frappe à la porte de la Constitution: c'est le Droit au travail. Il n'y demande pas seulement une place; il prétend y prendre, en tout ou en partie, celle du Droit de propriété.

M. Louis Blanc a déjà proclamé provisoirement ce droit nouveau, et l'on sait avec quel succès;

M. Proudhon le réclame pour tuer la Propriété ;

M. Considérant, pour la raffermir, en la légitimant. Ainsi, selon ces publicistes, la Propriété porte en elle quelque chose d'injuste et de faux, un germe de mort. Je prétends démontrer qu'elle est la vérité et la justice même, et que ce qu'elle porte dans son sein, c'est le principe du progrès et de la vie.

Ils paraissent croire que, dans la lutte qui va s'engager, les pauvres sont intéressés au triomphe du droit au travail et les riches à la défense du droit de propriété. Je me crois

1 Elle parut dans le Journal des Débats, n° du 24 juillet 1848.

(Note de l'éditeur.)

en mesure de prouver que le droit de propriété est essentiellement démocratique, et que tout ce qui le nie ou le viole est fondamentalement aristocratique et anarchique. J'ai hésité à demander place dans un journal pour une dissertation d'économie sociale. Voici ce qui peut justifier cette tentative.

D'abord, la gravité et l'actualité du sujet.

Ensuite, MM. Louis Blanc, Considérant, Proudhon, ne sont pas seulement publicistes; ils sont aussi chefs d'écoles; ils ont derrière eux de nombreux et ardents sectateurs, comme le témoigne leur présence à l'assemblée nationale. Leurs doctrines exercent aujourd'hui une influence considérable selon moi, funeste, dans le monde des affaires et, ce qui ne laisse pas d'être grave, elles peuvent s'étayer de concessions échappées à l'orthodoxie des maîtres de la science.

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Enfin, pourquoi ne l'avouerai-je pas? quelque chose, au fond de ma conscience, me dit qu'au milieu de cette controverse brûlante, il me sera peut-être donné de jeter un de ces rayons inattendus de clarté qui illuminent le terrain où s'opère quelquefois la réconciliation des écoles les plus divergentes.

C'en est assez, j'espère, pour que ces lettres trouvent grâce auprès des lecteurs.

Je dois établir d'abord le reproche qu'on adresse à la Propriété.

Voici, en résumé, comment M. Considérant s'en explique. Je ne crois pas altérer sa théorie en l'abrégeant 1.

« Tout homme possède légitimement la chose que son «<activité a créée. Il peut la consommer, la donner, «< l'échanger, la transmettre, sans que personne, ni même « la société tout entière, ait rien à y voir.

1 Voir le petit volume publié par M. Considérant sous ce titre : Théorie du Droit de propriété et du Droit au travail.

<< Le propriétaire possède donc légitimement non-seu«lement les produits qu'il a créés sur le sol, mais encore « la plus-value qu'il a donnée au sol lui-même par la cul«<ture.

« Mais il y a une chose qu'il n'a pas créée, qui n'est le <«< fruit d'aucun travail; c'est la terre brute, c'est le capital • primitif, c'est la puissance productive des agents natu«rels. Or, le propriétaire s'est emparé de ce capital. Là « est l'usurpation, la confiscation, l'injustice, l'illégitimité « permanente.

« L'espèce humaine est placée sur ce globe pour y vivre << et se développer. L'espèce est donc usufruitière de la << surface du globe. Or, maintenant, cette surface est con« fisquée par le petit nombre, à l'exclusion du grand << nombre.

<< Il est vrai que cette confiscation est inévitable; car «< comment cultiver, si chacun peut exercer à l'aventure « et en liberté ses droits naturels, c'est-à-dire les droits « de la sauvagerie ?

Il ne faut donc pas détruire la propriété, mais il faut << la légitimer. Comment? par la reconnaissance du droit « au travail.

<< En effet, les sauvages n'exercent leurs quatre droits (chasse, pêche, cueillette et pâture) que sous la condi<«<tion du travail; c'est donc sous la même condition que « la société doit aux prolétaires l'équivalent de l'usufruit « dont elle les a dépouillés.

« En définitive, la société doit à tous les membres de « l'espèce, à charge de travail, un salaire qui les place dans une condition telle, qu'elle puisse être jugée aussi « favorable que celle des sauvages.

« Alors la propriété sera légitime de tous points, et la « réconciliation sera faite entre les riches et les pau

vres ».

Voilà toute la théorie de M. Considérant 1. Il affirme que cette question de la propriété est des plus simples, qu'il ne faut qu'un peu de bon sens pour la résoudre, et que cependant personne, avant lui, n'y avait rien compris.

Le compliment n'est pas flatteur pour le genre humain ; mais, en compensation, je ne puis qu'admirer l'extrême modestie que l'auteur met dans ses conclusions.

Que demande-t-il, en effet, à la société ?

Qu'elle reconnaisse le Droit au travail, comme l'équivalent, au profit de l'espèce, de l'usufruit de la terre brute. Et à combien estime-t-il cet équivalent?

A ce que la terre brute peut faire vivre de sauvages.

Comme c'est à peu près un habitant par lieue carrée, les propriétaires du sol français peuvent légitimer leur usurpation à très-bon marché assurément. Ils n'ont qu'à prendre l'engagement que trente à quarante mille nonpropriétaires s'élèveront, à leur côté, à toute la hauteur des Esquimaux.

Mais, que dis je? Pourquoi parler de la France ? Dans ce système, il n'y a plus de France, il n'y a plus de propriété

1 M. Considérant n'est pas le seul qui la professe, témoin le passage suivant, extrait du Juif errant de M. Eugène Suë :

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Mortification exprimerait mieux le manque complet de ces choses << essentiellement vitales, qu'une société équitablement organisée devrait, oui, devrait forcément à tout travailleur actif et probe, puisque «< la civilisation l'a dépossédé de tout droit au sol, et qu'il naît avec << ses bras pour seul patrimoine.

Le sauvage ne jouit pas des avantages de la civilisation, mais, du << moins, il a, pour se nourrir, les animaux des forêts, les oiseaux de « l'air, les poissons des rivières, les fruits de la terre et, pour s'abri«ter et se chauffer, les arbres des grands bois.

« Le civilisé, déshérité de ces dons de Dieu, le civilisé qui regarde << la Propriété comme sainte et sacrée peut donc en retour de son rude «<labeur quotidien qui enrichit le pays, peut donc demander un salaire « suffisant pour vivre sainement, rien de plus, rien de moins. »

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