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sard, sur les écrits qui leur seront soumis, le ciseau de la censure? Enfin, si la loi qui détruit la liberté de la presse ne doit durer que trois ans, par quel moyen réprimera-t-on la calomnie quand ce terme sera expiré? Le ministre croit-il que sa loi doit être éternelle, ou que la calomnie est un vice transitoire?)

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On absout la liberté de la presse de tous les excès révolutionnaires. (On va plus loin, on prouve que ces excès n'ont existé que parce que la presse n'a pas été libre); sans doute elle n'y conduit pas immédiatement; mais elle corrompt peu peu, elle infecte goutte à goutte les générations entières ; elle dispose les peuples à tous les excès; et cette funeste maturité une fois acquise, les révolutions éclatent. (Suivant l'article 22 du projet de loi, nous jouirons en France de la liberté de la presse dans moins de trois ans ; et suivant le ministre qui veut nous en faire jouir, cette liberté infectera goutte à goutte les générations entières; elle disposera le peuple à tous les excès. Pourrait-on, d'après cela, ne pas admirer les vues sages et bienfaisantes du ministère? Au reste, si, devant la chambre des pairs, M. de Montesquiou a affirmé que la liberté de la presse corrompait les générations et disposait le peuple à tous les excès, quelques jours auparavant un sage ministre a dit devant la chambre des députés : « Personne ne conteste aujourd'hui la justice et les » avantages de cette liberté long-temps redoutée.... » elle devient sur tout nécessaire pour former un véritable » esprit public, à la place de ces opinions éphémères » qui en avaient si injustement usurpé le nom. »

Et ce sage ministre, quel était-il? c'était M. de Montesquiou. On voit qu'à l'exemple de Pythagore, nos ministres ont une double doctrine; l'une pour le profane vulgaire, l'autre pour les initiés.)

Les libelles de 1789, ajoute le ministre, n'eussent point fait la révolution; mais ils trouvèrent les esprits déjà préparés à ses désordres par trente ans de licence (ou de mauvaise administration), et allumèrent un incendie dont les matériaux, amassés depuis long-temps, (par la censure préalable et arbitraire des écrits) n'attendaient qu'une étincelle pour s'embraser. (Ces raisons ont une très-grande force; et les bons effets que la censure a produits en France doivent engager les ministres à la rétablir promptement. Il paraît que M. de Montesquiou, qui se plaint de la licence qui existait avant la révolution, est persuadé que le Gouvernement ne se montrait pas assez sévère, lorsqu'il faisait brûler par la main du bourreau les mauvais écrits échappés à la censure, tels que l'Emile. Aujourd'hui, sans doute, on fera mieux ; on détruira le mal dans sa racine : au lieu de brûler les écrits, on brûlera les auteurs ce qui vaudra mieux que de les proscrire.)

On cherche à alarmer la chambre sur les abus de la censure. (Que M. de Montesquiou cite un seul gouvernement qui n'en ait pas toujours cruellement abusé, et nous conviendrons que nos alarmes n'ont aucun fondement.) Le Gouvernement sent trop bien qu'il n'est plus possible aujourd'hui d'établir une cen sure rigoureuse. (Si la censure est douce, c'est done

à l'impuissance du Gouvernement que nous en devrons la douceur: on voit que M. le ministre nous disperise de la reconnaissance), mais il veut du moins dresser pour les méchans une sorte d'épouvantail; (si les censeurs ne doivent être qu'un épouvantail pour les méchans, pourquoi toutes les personnes qui, par leur caractère, jouissent de la confiance publique, doivent-elles soumettre leurs écrits à la censure? Lesmagistrats, les administrateurs, les généraux, les médecins, les avocats, les membres de l'institut, présentent-ils moins de garantie à la société que l'agent salarié et révocable d'un ministre qui peut arbitrairement laisser circuler toute espèce d'écrits? Ou en langage ministériel, faut-il entendre par méchans tous ceux qui remarquent les actes arbi, traires des ministres, et qui les font remarquer aux autres ? ) Et la preuve qu'il n'en abusera pas se trouve dans la composition de la commission même instituée pour juger les sursis. (Et si le ministre se sert de la liberté illimitée de la presse et des journaux, contre la commission elle-même, et contre les deux chambres, à qui s'adressera-t-on pour en obtenir justice ? )

les

Mais sous quel rapport, continue le ministre, envisage-t-on ici cette loi? Nous parlons de l'intérêt des mœurs, de la gloire des lettres, du repos des familles ( nous n'oublions que la liberté de la nation, et la sûreté des citoyens,) et l'on nous oppose des nullités de forme, des amendemens? EST-CE AINSI que doit agir, que doit penser la chambre des pairs? (Quelle niaiserie en effet que de s'occuper de l'exécution de la charte

constitutionnelle!) La nature de ses attributions, les prérogatives dont elle jouit, LE SECRET QUI ENVIRONNĘ SES DÉLIBÉRATIONS et les dérobe à l'influence populaire, n'ont ils pas pour objet d'établir dans son sein une jurisprudence durable et à l'abri de toute altération? (On trouvera peut-être un peu étrange que, dans l'opinion du ministre, la nature des attributions de la chambre, les prérogatives dont elle jouit, et le secret qui environne ses délibérations, doivent la dispenser d'observer la constitution. Cette invitation qui Ini est faite de se placer au-dessus des lois les plus saintes , par la raison que le public n'en saura rien, fait assez connaître le motif pour lequel on veut supprimer la liberté de la presse. ) La constitution, sans doute, est confiée à sa garde. Mais qui peut nuire le plus à la constitution? de mauvaises lois, et j'appelle ainsi celles qui favorisent cet esprit d'indépendance sauvage, ennemi de tout frein et de toute rete nue. ( L'indépendance sauvage n'est pas celle qui laisse aux hommes le libre exercice de leurs facultés, sauf à eux à répondre du mauvais usage qu'ils en font ; c'est celle qui livre les hommes à la discrétion les uns des autres, sans qu'il soit possible aux plus faibles d'obtenir justice des plus forts. Or, tel est l'état dans lequel le ministre tend à placer un grand nombre de citoyens, en se réservant exclusivement la liberté illimitée de la presse, et la faculté d'arrêter arbitrairement les écrits qui lui déplairont. )

Le ministre ayant parlé, on demande que la discussion soit fermée. Cette proposition est mise aux

voix et adoptée. La chambre décide ensuite qu'il sera voté au scrutin sur chaque article de la loi.

Un de MM. les secrétaires fait lecture du préambule de la loi. La suppression en est demandée par un grand nombre de membres. L'un d'eux observe que cette suppression, quelqu'avis qu'on adopte sur le projet de loi, ne peut avoir aucun inconvénient, puisqu'un préambule, sur-tout dans un gouvernement représentatif, est un accessoire parfaitement inutile aux lois, dont les motifs sont connus, et par l'exposé qu'en font les ministres, et par les discussions qui précèdent l'adoption définitive.

La suppression est mise aux voix et adoptée. On passe à la discussion des divers articles du projet. Plusieurs membres proposent des amendemens aux articles 1, 2 et 5. L'amendement proposé sur l'article 5 est seul adopté ; il a pour objet de faire substituer à ces mots : contraire à l'art. 11 de la charte constitutionnelle, ceux-ci : contraire à la charte constitutionnelle.

Cet amendement appuyé par divers membres, est mis aux voix et adopté.

On fait lecture de l'article 6, conçu ainsi qu'il suit: «Il sera formé, au commencement de cha» que session des deux chambres, une commission >> "composée de trois pairs, trois députés des dépar» temens, élus par leur chambre respective, et trois >> commissaires du Roi. »

Un membre demande, en vertu des motifs qu'il

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