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administratifs, ni aux tribunaux? Et par quelle loi a-t-il été établi! Jamais il n'avait été question de cette direction générale de l'imprimerie, avant le fameux décret du premier février 1810, que l'ancien Gouvernement, avec sa toute-puissance, n'avait osé présenter à la sanction ni du corps législatif ni du sénat; mais qu'il avait rendu de sa propre autorité, pour détruire jusqu'aux derniers restes de notre liberté, se rendre maître de toutes les presses, étouffer toutes les vérités, et ne publier que des mensonges. Ce décret fut un des crimes reprochés au chef de ce Gouvernement tyrannique, et a été compris dans le nombre des motifs sur lesquels fut fondé sa déchéance ; et c'est cet acte arbitraire, cet échafaudage monstrueux de la plus despotique inquisition, qui devient une loi de l'Etat, et sur lequel on bâtit l'ée difice d'une nouvelle censure (1)!

Jamais ce décret n'a été confirmé que provisoire

(1) On a beaucoup crié contre les mesures du dernier Gouvernement; et cependant on cherche à consolider tous les actes sur lesquels il avait fondé son despotisme; les mêmes hommes qui combattaient ses projets, s'opposent aux projets des ministres actuels avec le même courage; ceux qui les approuvaient, approuvent encore ce qu'on fait aujourd'hui; en un mot, il semble qu'on ait juré de maintenir le systême de despotisme que Buonaparte avait organisé. Quand un Etat a contracté l'habitude de l'arbitraire, a dit un écrivain, on frappe le despote, et l'on maintient le despotisme voilà notre histoire.

ment par celui du 10 juin dernier, et il devait cesser d'avoir son exécution dès le moment où la charte constitutionnelle serait mise en activité par une loi nouvelle : on ne pouvait donc plus regarder comme légalement existans les agens créés par ce décret, ou du moins il fallait les créer de nouveau avant de leur attribuer des fonctions.

Six auditeurs au conseil d'Etat étaient, par ce décret, adjoints au directeur général de l'imprimerie : qui est-ce qui les remplace?Le directeur général agiratil donc aujourd'hui seul et sans contrôle? Tout cela mériterait au moins d'être expliqué, ou, pour mieux dire, il fallait déclarer nul et comme non-avenu le décret du premier février 1810, sauf à comprendre dans une nouvelle loi celle de ses dispositions qui auraient pu être conservées.

Cependant les articles 14 et 15 du nouveau projet de loi donnent au directeur-général de l'imprimerie une attribution bien plus étendue encore. Ce n'est plus l'établissement de l'imprimerie seulement qui doit lui être déclaré, il faudra encore lui faire connaître tous les ouvrages qu'on voudra imprimer, et lui en porter un certain nombre d'exemplaires avant de les mettre en vente; et alors il aura le droit de faire saisir l'ouvrage et d'en arrêter la distribution sans aucun jugement préalable, par une simple dénonciation qu'il déclarerá en faire aux tribunaux.

Que de réflexions à faire sur ces deux articles! D'abord l'ouvrage ne peut être imprimé sans que le directeur-général ait donné un récépissé de la décla

ration faite devant lui, et il ne peut être mis en vente que sur celui du dépôt des exemplaires au nombre prescrit; mais le secrétariat de la direction générale est-il organisé de manière qu'on soit assuré d'obtenir un récépissé sans aucun retard ? Et si le directeur-général le refuse, comment pourra-t-on le contraindre à le délivrer? Il eût été bien plus simple d'en user à Paris comme pour les départemens; c'està-dire, de faire recevoir les déclarations et le dépôt au secrétariat de la préfecture dans un bureau expressément destiné à cet effet. Au moins, dans ce lieu ouvert à tout le monde, l'imprimeur aurait été assuré de ne pas éprouver des retards et le refus qu'il peut craindre de la part du directeur-général.

Allons plus loin : le directeur-général peut faire saisir et séquestrer l'ouvrage, en le déférant aux tribunaux pour son contenu. Voilà, certes, une forte censure dans les mains d'un seul homme. Comment sans jugement qui l'y autorise, il a, à lui seul, le droit de faire saisir et séquestrer un ouvrage en le déférant

seulement aux tribunaux !

A cet égard, je demande ce que c'est que déférer un ouvrage aux tribunaux. Est-ce que les tribunaux jugent les ouvrages? Je vois bien qu'un auteur peut être accusé devant les tribunaux pour avoir publié un ouvrage séditieux, ou contraire aux bonnes mœurs; mais à quoi aboutira la dénonciation de l'ouvrage? Que feront les tribunaux de cette dénonciation? Qui poursuivra le jugement? Dans quelle forme sera-t-il rendu? Sera-ce par jurés? La loi est

muette sur tous ces points. Il est donc bien clair que le seul but de cet article a été de donner au directeurgénéral le droit d'arrêter sur-le-chainpla distribution de toute espèce d'ouvrages, même de ceux qui, d'après le titre premier du projet de loi, sont exempts de la censure préalable; et qu'ainsi ce n'est également qu'un droit de censure déguisé sous une autre forme.

Mais ce qu'il y a de plus fort, c'est que tout ce systême doit durer à perpétuité; puisque, comme nous l'avons déjà dit, ce n'est que du titre premier que les dispositions cesseront d'avoir leur effet à la fin de la cession de 1816.

Cette distinction, si bien précisée, a certainement eu une intention; mais assurément elle n'a point été débattue dans la chambre des députés. Personne n'y a fait attention, parce que , parce que l'amendement n'a été pro posé que verbalement, et qu'il a passé tout de suite en même temps que la loi; et voilà le résultat de la violation de l'art. 46 de la charte constitutionnelle, qui veut qu'aucun amendement ne puisse être fait à une loi, s'il n'a été consenti par le Roi, et s'il n'a été renvoyé et discuté dans les bureaux.

L'opinant ayant ainsi fait sentir les vices du projet de loi, examine quel est le parti qu'il convient de prendre. Faut-il déclarer qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le projet de loi, sur le fondement que l'a doption de la chambre des députés est inconstitution nelle? L'opinant ne le pense pas, attendu, dit-il, que la chambre n'a pas une preuve authentique et irrécusable que les amendemens n'ont pas été renvoyés

dans les bureaux avant que d'être adoptés. Faut-il rejeter le projet purement et simplement? Ce serait peut-être le parti le plus sage; cependant comme le rejet aurait nécessairement pour effet de déconsidérer les ministres; que la malveillance ne manquerait d'en profiter pour faire entendre qu'il s'est formé dans la chambre des pairs un parti opposé au Gouvernement; et qu'il s'agit d'ailleurs ici du premier projet présenté par le Roi, l'opinant est persuadé qu'il vaut mieux faire au projet de loi tous les amendemens reconnus nécessaires.

pas

M. le duc de Feltre, qu'on dit jacobite et fils de jacobite, n'a point abandonné les bons principes; il a défendu le projet de loi avec beaucoup de chaleur. inconstitutionnel; Il a pensé que ce projet n'était pas que la liberté de la presse ne pouvait pas exister dans le siècle de fer où nous vivons sans le secours de la censure préalable et arbitraire des agens du Gouvernement; qu'il était à craindre qu'un serpent ne fût caché sous les fleurs; que nous devions mettre toute notre attention, employer toute notre vigilence pour en éviter la morsure (1); qu'elle pouvait être mortelle. En votant pour l'adoption pure et simple du projet de loi, l'opinant a terminé son discours par cette phrase remarquable: Qui veut le Roi si veut la loi.

(1) Ah! sans doute, nous devons éviter la morsure des reptiles; mais c'est pour cela même que nous ne voulons pas marcher dans les ténèbres.

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