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A l'anarchie; et quant à moi, je cède ma part de cette tyrannie d'un nouveau genre (1).

Par ces considérations, je pense qu'il faut rejeter la résolution de la chambre des députés, relative à la liberté de la presse.

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M. le comte de Ségur à publiquement voté pour la censure je dis publiquement, car je suis très-porté à croire que M. de Ségur a voulu défendre la liberté

de la presse ; et que son discours et son vote public ne sont qu'une critique fort adroite du projet de loi présenté par le ministre.

(1) Si cette commission, qu'un des membres de la chambre a nommé le comité tricolore, laisse publier par inattention un ouvrage dans lequel une personne se trouvera calomniée, le calomniateur sera-t-il à l'abri de toute peine? Les pairs, les députés et les commissaires qui auront autorisé la publication de cet ouvrage pourront-ils être pris à partie, et traduits devant le tribunal correctionnel comme complices de la calomnie? Si l'auteur ne peut pas être poursuivi, les faits calomnieux seront réputés vrais, et une personne se trouvera diffamée sans qu'il lui ait été possible de se défendre. S'il peut être poursuivi, un simple tribunal correctionnel aura la faculté d'annuller la décision rendue par les pairs, les députés et les commmissaires du Roi, puisqu'il pourra faire suppri comme diffamatoire un ouvrage dont ils auront autorisé la publication. On voit que quelques jugemens de cette nature donneront un grand lustre à la chambre des pairs et à la chambre des députés.

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M. le comte de Ségur observe d'abord que s'il existe une grande divergence dans les opinions, il n'en existe aucune dans les sentimens : il croit trouver la cause de cette divergence dans la forme sous laquelle les ministres ont présenté le projet de loi.

Nous sommes membres d'un corps illustre, dit-il, qui doit être le premier et le plus vigilant gardien de la charte constitutionnelle que le. Roi nous a don née, et chacun de nous a juré de remplir tous les devoirs qui sont imposés à sa conscience par une si noble attribution. Il est donc très-naturel de s'alarmer au moindre signal d'atteinte portée à cette charte, seul palladium de nos droits et de notre liberté. Or, j'avoue que tel est l'effet qu'a dû produire la forme sous laquelle on a présenté le projet de loi : c'est au moins l'impression que j'en ai reçue. J'ai cru d'abord la charte attaquée, un de ses principes fondamentaux détruit; et je me serais opposé de toutes mes forces à l'adoption de ce projet, si l'amendement contenu dans l'article 22, et consenti par Sa Majesté, n'eût pas totalement changé la nature de ce projet, et dissipé mes inquiétudes....

Cependant, Messieurs, ce changement, qui aurait dû réunir toutes les opinions, n'a point produit cet effet et les inquiétudes subsistent encore lorsque leur cause a disparu : ce qui prolonge cette impression, c'est l'importance que le ministre attache à la conservation d'un préambule qui n'est plus en hare monie avec les dipositions nouvelles du projet. Je vois avec peine qu'il s'attache constamment à prouver

que sa première proposition n'avait rien de contraire à notre charte, et qu'ainsi l'établissement de la censure pouvait être durable.

Cette erreur est, n'en doutons pas, ce qui a causé le plus d'inquiétude, et donné le plus d'adversaires à la loi. Je ne recommencerai point ici la trop longue discussioni grammaticale qui a eu lieu dans la chambre des députés, relativement à l'expression de réprimer les abus. J'accorde au ministre qu'on peut dire parfaitement réprimer pour prévenir, cette acception est même très-commune; mais ce qu'il doit nous accorder aussi, c'est que la liberté de la presse et censure préalable sont incompatibles : autrement il faudrait dire que la liberté de la presse consiste à pouvoir imprimer ce qu'un censeur permettra de publier; ce qui, traduit ainsi, devient certainement insoutenable.

Cette conclusion est évidemment juste, et on conçoit alors combien on a dû être surpris de voir le ministre de l'intérieur proposer la censure comme le complément de la charte, comme une loi durable, et comme la première mesure qu'on dût prendre pour nous faire jouir de cette liberté, premier bienfait donné et garanti par la constitution.

Tout le monde doit convenir de la clarté de l'article 8 de la charte constitutionnelle : il établit comme principe certain le droit de la liberté de la presse, c'est-à-dire la faculté d'imprimer sans censure préa lable, mais en se conformant aux lois répressives telles qu'on les trouve dans le code pénal.

Ici l'opinant fait remarquer que quelques-unes des mesures prises par le projet de loi, telles que le cautionnement des imprimeurs, l'obligation de se faire connaître, etc. ne sont pas contraires à la liberté de la presse.

Il fallait donc, ajoute-t-il, déclarer franchement qu'on proposait, par la nécessité des circonstances une suspension momentanée de ce droit : en reconnaissant le principe, on aurait fait disparaître beaucoup d'obstacles; en le contestant, on fait renaître les objections les mieux fondées.

Et je remarque ici, Messieurs, que non seulement la charte constitutionelle a consacré le principe de la liberté de la presse, mais qu'il était même impossible qu'elle ne le fît pas.

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En effet, les lois sur cette matière doivent nécessairement varier, suivant les différentes formes de Gouvernement, Sous un Gouvernement absolu, aucune liberté ne peut être accordée à la presse ; crainte est là le seul ressort de l'autorité ; remontrances et révoltes sont synonymes à ses yeux; le despotisme est détruit dès que l'esclave raisonne : dans une république démocratique, le peuple est à la-fois souverain, législateur et juge; on n'y souffrirait aucune gêne à la parole, aucune entrave à la pensée, Mais l'expérience a prouvé que cette liberté n'y est qu'illusoire, et la presse y fut trop souvent l'instrument d'une faction dominante.

Mais dans un Gouvernement monarchique et représentatif tel que le nôtre, dont l'opinion publique est le soutien et la vie, le principe de la liberté de la

presse est une conséquence inévitable d'une pareille constitution. Il ne s'agit donc point de discuter, comme on l'a fait jusqu'ici dans les deux chambres, les avantages et les inconvéniens de la liberté de la presse; c'est se livrer à un débat interminable et sans objet, puisque cette question est décidée pour nous par notre charte.

Après avoir rappelé succintement les raisons qu'on a données pour et contre la liberté de la presse, l'opinant ajoute: La vérité se trouve au milieu de ces deux extrêmes, et je ne connais rien d'utile dans le monde qui n'excitât un juste effroi, si l'on n'en considérait que l'abus possible; tout dans la nature offre un mélange de bien et de mal; l'autorité la plus salutaire est voisine de la tyrannie; la liberté est presque toujours très-près de la licence. La liberté de la presse répand les erreurs comme les vérités, les remèdes les plus salutaires comme les plus funestes poisons elle sert également la raison et la folie, la sagesse et les passions; elle excite la confiance ou l'in quétude, fait et détruit les réputations, affermit ou ébranle les Gouvernemens. Tout ce qu'on peut conclure, Messieurs, de cet examen tant rebattu, c'est qu'il faut jouir de la liberté de la presse, comme de toute chose, avec sagesse.

D'ailleurs, je le répète, l'examen de la grande question de la liberté de la presse est désormais superflu: cette liberté, avantageuse ou nuisible, est devenue un des articles fondamentaux de notre constitution; nous devons la défendre et non la discuter. C'est en paraissant la contester qu'on excitait nos alarmes.

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