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juste, lorsqu'elle est conforme à la loi, et la loi est juste, lorsqu'elle est conforme à l'intérêt de la société pour laquelle est elle faite.

Le mot juste ne présente donc qu'un sens relatif : et tel corps peut avoir cette qualité comparé à un second, qu'il ne l'aurait pas s'il était comparé à un troisième; comme une action ou une loi peuvent être justes dans un pays et ne l'être pas dans un autre. Et puisque, pour prononcer qu'une chose est juste, il faut qu'elle ait un terme de comparaison; il faut en conclure que dans un pays où il n'existerait ni loi ni société, nulle action ne pourrait être dite ni juste ni injuste, à moins qu'on n'appelât ainsi les actions que chacun trouvait bonnes ou mauvaises pour soi.

Du mot latin justicia, justice, on a fait jus, droit; et ce mot, qui en français n'a aucune analogie avec ceux qui précèdent, a été pris dans une foule d'acceptions différentes. D'abord, on lui a fait signifier l'art du bon et du juste, ars æqui et boni; mais on n'a pas dit ce qu'on entendait par ces mots bon et juste. Ensuite on l'a pris pour la collection des lois d'un peuple, et l'on a dit : le Droit Romain, le Droit Français, pour les lois Romaines, les lois Françaises. Enfin on lui a donné le même sens qu'au motfaculté ; et comme on a vu que tous les animaux avaient des facultés, et que ces facultés existaient indépendamment de toute institution, on a dit Droit naturel, pour signifier la collection des facultés animales comme on avait dit droit romain, pour désigner les

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lois de Rome. En donnant ainsi au genre le même nom qu'on avait pris pour désigner l'espèce, on a porté dans les idées une confusion de laquelle on ne peut plus se tirer, et qui a produit des contestations interminables, parce qu'on a discuté sans jamais s'entendre.

J'appelle faculté, comme je l'ai déjà dit, tout moyen dont un animal est pourvu pour se conserver ou se reproduire ; j'appelle droit toute faculté humaine dont l'exercice est garanti par le corps social à chacun de ses membres, et par extension je donnerai le même nom à la collection des lois d'un peuple, quand je les considérerai comme déterminant les facultés que chacun des individus peut exercer.

Maintenant on ne me demandera point si les hommes ont des droits hors de l'état de société ; car ce serait me demander, en d'autres termes, si là où il n'existe pas de société, la société garantit aux hommes l'exercice de leurs facultés. On ne me demandera 'pas non plus si des esclaves n'ont pas quelques droits envers leurs maîtres dans les états où ils sont soumis à une puissance absolue; car se serait demander, en d'autres termes, si la société garantit à un individu l'exercice de quelqu'une de ces facultés, lorsqu'elle ne lui garantit rien. Enfin l'on ne demandera pas si un peuple a des droits envers un autre peuple; car se serait demander, en d'autres termes, s'il existe une société de sociétés, qui limite la puissance de chacune d'elles, et lui en assure l'exercice.

Ce serait également une question vaine et ridicule que celle de demander si le législateur ne doit pas consulter la justice avant que de consulter l'utilité ; car ce serait supposer que la justice est un être existant par lui-même, et que les hommes qui se sont réunis pour leur bonheur commun, doivent consulter autre chose que ce qui leur est utile, avant que de déterminer les règles de leur association.

Lors donc qu'on a à parler des relations qui penvent exister entre un peuple et un autre peuple, ou entre un maître et son esclave, on ne doit se servir ni du mot justice, ni du mot droit; parce que ces mots sont toujours relatif, et qu'ici l'on n'aurait pas de termes de comparaison. On doit employer les mots puissance, force, intérêts; parce que ces mots sont entendus de tout le monde, et que lorsqu'on dit qu'un peuple agit contre ses intérêts, on entend beaucoup mieux ce que cela signifie que lorsqu'on dit qu'il agit contre le droit des gens.

Ayant déjà dit que l'objet de nos facultés est de produire en nous des sentimens agréables, et de nous préserver des sentimens douloureux; et que le but des lois est d'en régler l'exercice en les ramenant vers leur objet, il semble qu'il suffirait d'ajouter que pour former ou pour interpréter une loi, on doit consulter les besoins du peuple pour lequel elle est faite, et les moyens qu'il a de les satisfaire.

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prescrit le droit naturel, droit immuable, que Dien même ne saurait changer; ensnite vient le droit arbitraire, et qu'on peut changer sans raison, parce que c'est probablement ainsi qu'ils pensent qu'il a été fait; puis viennent le droit des nations, le droit civil, le droit public, le droit privé, le droit des gens primaire, le droit des gens secondaire ; les principes, la droite raison, les fictions, les causes favorables, les causes défavorables, celles qui doivent être décidées suivant les règles du droit étroit et celles qui doivent l'être suivant l'équité, les lois qu'il faut étendre et celles qu'il faut restreindre; en un mot, c'est un jargon inintelligible qu'ils parlent, parce qu'ils veulent paraître savans, et qu'il est plus facile d'apprendre des mots que d'acquérir

des idées.

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Cependant l'habitude d'employer continuellement des mots qui n'ont aucun sens, de faire des divisions sans objet, et de les donner ensuite pour des raisons est si ancienne et si généale, que c'est peutêtre une entreprise vaine que de vouloir la détruire. Je l'essaierai cependant quelque jour, persuadé que si mes efforts sont inutiles pour ceux qui se sont déjà fait une habitude de mal raisonner, ils pourront du moins être de quelqu'utilité aux jeunes gens qui auront assez de confiance dans leur jugement pour ne pas se charger la mémoire de termes dont ils n'entendront pas la signification, ou assez de mo destie pour ne pas vouloir paraître savans, quand ils seront bien convaincus qu'ils ne savent que des mots.

OBSERVATIONS

Relatives à quelques articles du Traité de Paix.

On a déjà vu que, dans sa séance du 12 juillet dernier, la chambre des pairs, en s'occupant de la classe indigente, avait donné une attention particulière aux personnes sur lesquelles ont pesé le fléau de la guerre; et que la proposition qui lui avait été faite à cet égard avait été ajournée jusqu'à ce que le tableau de la situation de la France lui eût été présenté. Ce tableau a été mis sous ses yeux dans la séance du 16; et quoiqu'il n'ait pas rempli l'attente qu'on s'en était formée, nous devons espérer que la chambre se hâtera de reprendre la discussion de la proposition qui lui a été faite le 12; car tonte négli gence à cet égard serait une véritable calamité.

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En s'occupant du sort des personnes qui ont été victimes des derniers désastres de la France la chambre n'oubliera pas, sans doute, une classe fort nombreuse de citoyens qui ont un droit particulier à sa bienveillance; ce sont ceux qui, après avoir employé leur fortune à payer les cautionnemens qué le dernier Gouvernement exigeait de tous les comp tables publics, ont perdu les places qu'ils occupaient dans les départemens aujourd'hui étrangers à la

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