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CHAPITRE SECOND.

INTRODUCTION A L'HISTOIRE.

Ce serait en vain qu'on tenterait de percer l'obs curité qui environne le berceau de la nation polonaise. La relation de quelques faits probables mais incertains et sans intérêt, un petit nombre de fables ingénieuses, un plus grand nombre de fictions ridicules, telles sont les matières de presque tous les livres qu'on a écrits sur l'origine des Sarmates : nous nous abstiendrons de rapporter ces faibles notions, parce que le devoir d'un historien est de n'offrir à ses lecteurs que des faits prouvés par des autorités respectables, et qu'il ne doit lui être permis de s'écarter de ce devoir que dans le cas où, au défaut de l'évidence, il peut offrir un degré de probabilité qui en approche, ou encore lorsque ces fictions peuvent servir à peindre le génie de leurs inventeurs. Nous pensons donc que nos lecteurs ne regretteront nullement que nous n'ayons pas rapporté ici les conjectures de quelques auteurs sur des faits hors de toute probabilité, et qui, fussent-ils

certains, n'auraient aucune importance. Qu'importe aujourd'hui que, vers le milieu du sixième siècle, Leck, premier duc des Sarmates, ait équipé une flotte, et qu'avec l'armée qu'elle portait, il ait fait quelques conquêtes sur les Danois? que Wissimir, son fils et son successeur, se soit emparé de la Jutlande et de la Scanie, qu'il ait fait esclaves les deux filles du roi Siward, et qu'il ait fait bâtir des villes pour loger ses captifs? Qu'importent mille autres détails de ce temps et de cette espèce?

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Ce qui dans l'histoire de Pologne doit fixer l'attention des philosophes, ce qui est digne de servir de texte aux méditations des hommes d'état, des citoyens de tous les peuples, ce sont les causes de l'antique grandeur des Sarmates; celles de la décadence et de l'asservissement de la nation polonaise. Nous regarderons donc comme le but principal de notre entreprise l'exposition des faits qui peuvent mettre ces causes au jour. On considère les souverains qui ont gouverné la Pologne comme divisés en quatre classes: 1. Ceux qui ont régné depuis Leck, premier duc des Polonais, jusqu'à l'élection de Piast;

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2. Ceux qui ont régné depuis l'élection de Piast jusqu'à celle de Jagellon;

3.o Ceux qui ont régné depuis l'élection de Jagellon jusqu'à celle de Henri de Valois;

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4. Ceux enfin qui ont régné depuis l'élection de Henri de Valois jusqu'au partage de la Pologne.

DEPUIS L'ELECTION DE LECK JUSQU'A CELLE DE PIAST.

Les Vandales furent les premiers habitans de la Pologne, et cette contrée était la Sarmatie européenne des Romains.

Avant le sixième siècle, tandis que les Polonais portaient encore le nom de Sarmates, ils n'avaient pas de chef, et vivaient sans gouvernement dans les montagnes et les forêts, n'ayant d'autres habitations que des chariots, et méditant sans cesse des invasions nouvelles que leur cavalerie, qui déjà était excellente, rendait redoutables à leurs voisins (*). On peut s'étonner qu'un peuple barbare, sans guide et sans

(*) « Ces hommes barbares, dit Tacite, libres de crainte » et d'espérance, aiment mieux vivre de la sorte, que de » labourer les champs, que de prendre soin du ménage, que » de s'occuper de leur fortune, et de celle de leurs parens et » de leurs voisins. Ils ne craignent point les autres hom» mes; ils ne craignent pas même les dieux; et, ce qui est » bien difficile à des créatures comme nous, ils n'ont pas » besoin de faire des vœux, parce qu'ils n'ont coutume de » désirer que ce qu'ils peuvent se procurer eux-mêmes. »

(De Morib. Germ., cap. XIV.)

loi, ait pu étendre son empire du Tanaïs à la Vistule, et du Pont-Euxin à la Mer Baltique. Ces frontières, si prodigieusement éloignées entr'elles, furent encore reculées depuis par l'acquisition de la Bohême, de la Moravie, de la Silésie, de la Lusace, de la Mispie, du Mecklembourg, de la Pomeranie et de la marche de Brandebourg. Les Romains, qui mirent une si grande partie du monde sous leur domination, ne pénétrèrent jamais dans la Sarmatie. Les nations civilisées regardaient les Sarmates comme des brigands: elles oubliaient sans doute qu'elles avaient ainsi commencé.

Vers l'année 550, Leck (ou Lecht) forma le dessein de civiliser les peuples parmi lesquels il était né: il abattit des arbres (*) et construisit une habitation; d'autres cabanes s'élevèrent bientôt antour de la sienne. Les Sarmates, qui, jusqu'à cette époque, avaient toujours été errans, com

En abattant ces arbres, on trouva une aire d'aigles. Les Sarmates, livrés alors à toute la superstition du paganisme, regardèrent la découverte qu'ils avaient faite comme ́un augure favorable à la ville qu'ils construisaient, et lui donnèrent le nom de Gnesne, imitation du mot sclavon Gniazdo, qui signifie nid. On croit généralement que c'est en mémoire de cet événement que la nation polonaise porta toujours depuis une aigle dans ses armes.

mencèrent à se fixer, et Gnesne ou Gnesnen, la plus ancienne ville de la Pologne, prit la place d'une forêt. Leck attira sur lui les regards de ses compatriotes par sa sagesse et sa valeur; usant de l'ascendant qu'ont ordinairement sur le vulgaire les hommes que la nature a doués d'une âme forte, Leck fut le premier maître des Sarmates qui l'avaient vu naître leur égal, et, sous le titre de duc, il exerça le pouvoir d'un monarque.

Après la mort de Leck, dont on regarde l'existence comme certaine, l'histoire laisse une lacune considérable; on croit seulement que son fils Wissimir lui succéda dans le gouvernement, et fonda la ville de Dantzick. Mais on ne trouve nulle trace dans les anciennes annales de l'existence de la postérité de ces deux premiers souverains, ni même aucune fiction qui y ait suppléé. Quelques monumens historiques font mention cependant qu'après l'extinction de la famille royale, la nation s'assembla pour procéder à une nouvelle élection; que les nobles étaient sur le point de faire un choix, quand le peuple, que la tyrannie de ses premiers chefs avait dégoûté du gouvernement monarchique, demanda l'abolition de cette forme de gouvernement, qui le rendait le jouet des caprices d'un seul.

Les grands seigneurs, saisissant avec joie l'oc

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