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blable privilége ait pu être accordé à tous les membres d'une nombreuse assemblée qui discutait les matières les plus importantes, et traitait des intérêts les plus essentiels de l'état. Pouvait-on se flatter du vain espoir que, dans cette assemblée, il ne se trouverait pas un nonce ignorant, imprudent ou vendu; et devait-on risquer de voir les propositions des lois les plus salutaires rejetées par la volonté d'un seul homme? Nous donnerons ici quelques détails sur la cau- se et les effets de cette loi singulière.

Ce fut en 1652, sous le règne de Jean Casimir, qu'un nonce de Lithuanie, nommé Sicinski, prononça le premier: que toute délibération soit arrêtée. Il sortit après avoir prononcé ces mots, et alla faire sa protestation entre les mains du chancelier. Elle portait que, si la diète continuait à siéger, il regarderait comme autant d'atteintes aux lois tous les actes qu'elle pourrait faire et toutes les résolutions qu'elle aurait prises. Cette protestation d'un genre alors tout nouveau, et faite avec tant de hardiesse, confondit l'assemblée et fit effectivement suspendre la résolution qui y avait donné lieu, pour en prendre une autre sur la dissolution ou la continuation de la diète: cette discussion fut soutenue avec beaucoup de chaleur; mais les mecontens ayant enfin appuyé la protestation et étant

les plus nombreux, elle fut approuvée et la diète fut dissoute.

Depuis cet événement, la constitution de la Pologne reçut des atteintes continuelles, et ce royaume fut plus que jamais déchiré par les factions; les affaires publiques furent négligées, les mesures les plus nécessaires contrariées sans cesse. Les grands officiers de l'état, qui jouissaient d'un pouvoir excessif, et dont le seul frein était la crainte d'un jugement que la diète pouvait porter contr'eux, s'abandonnèrent à l'indolence, à l'oubli de leurs devoirs, ou se rendirent coupables des exactions les plus condamnables; une partie de la noblesse vit aussi avec plaisir, mais par d'autres motifs, l'autorité de la diète affaiblie par le liberum veto. Un gentilhomme polonais, accusé d'un crime capital, ne devait être jugé que par la diète générale; et l'existence de cette assemblée dépendant du caprice d'un seul individu, les nobles acquirent ainsi une sorte d'impunité. Cependant, malgré l'énormité des abus que cette innovation, soutenue par des intérêts particuliers, allait entraîner, elle n'en fut pas moins confirmée. L'influence des puissances voisines contribua encore plus que tout le reste à perpétuer ce funeste privilége; il leur suffisait alors d'avoir acheté le suffrage d'un seul nonce, pour ne craindre au

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cune résolution contraire à leurs intérêts; elles entretenaient en Pologne le désordre et l'anarchie.

Aussi, depuis ce nouvel établissement, la décadence de la république fut toujours plus sensible. Dans l'epace de cent et quelques années, quarante-huit diètes ont été dissoutes par l'exercice du droit de liberum veto, en exceptant le règne de Sobieski; les lois, pendant ces intervalles, sont restées sans pouvoir, la justice sans force, et la guerre a presque toujours été faite sans raison, sans vigueur et sans sans succès. Enfin, pour éviter les malheurs qu'aurait nécessairement engendrés l'anarchie totale qui se propageait de jour en jour, les Polonais imaginèrent comme un remède à la presque impuissance de la diète générale, une assemblée, dont les formalités étaient les mêmes que dans les diètes ordinaires, mais où toutes les affaires se décidaient à la pluralité des voix, sans avoir égard aux protestations de la minorité : elle se formait sous l'autorité d'une confédération permise par la loi. Quand il était question de défendre la personne du roi, de garantir le pays d'une invasion étrangère, ou pendant un interrègne, ces diètes n'avaient aucun droit de faire ni de réformer les lois.

La diète d'élection différait beaucoup des autres assemblées pour la forme; c'était celle qui demandait le plus d'appareil, et c'était aussi la plus nombreuse, puisque toute la noblesse polonaise devait y être présente. Chaque gentilhomme y avait droit de suffrage, et pouvait luimême être élu monarque.

Quoiqu'il fût dans le caractère des nobles polonais de conserver la fierté de leur naissance dans la plus grande pauvreté, et même, comme nous l'avons vu, jusque dans les emplois les plus serviles, on pourrait croire que ce privilége de donner leur voix pour élire un souverain, et l'idée de pouvoir le devenir eux-mêmes, était aussi un des motifs de cette fierté ridicule qui les portait à considérer un homme du peuple comme esclave, tandis qu'ils étaient eux-mêmes les valets les plus soumis d'autresnobles, dont ils ne différaient que par leur indigence.

Le lieu fixé pour l'élection était la plaine de Vola, à environ trois milles de Varsovie. Au milieu de cette plaine étaient deux enceintes pour le sénat et les nonces; dans la première, qui était ovale et entourée de fossés et de remparts, on élevait, quand le temps de l'élection approchait, un grand bâtiment de bois appelé Szopa, et destiné au sénat; la seconde enceinte n'avait point de bâtiment, et les nonces étaient en plein air. Le sénat et les nonces se réunissaient ensuite dans l'enceinte de ces derniers, en observant le même ordre que dans les diètes ordinaires : le primat siégeait au milieu; c'est lui qui exerçait dans l'interrègne tous les droits de la souveraineté; il notifiait aux états la mort du roi, et assemblait les diétines et la diète de convocation, qui précédaient celle de l'élection, et se tenaient toujours à Varsovie. Cette diète de convocation exerçait à son gré le pouvoir législatif, et déterminait les articles des pacta conventa qui devaient être prescrits au nouveau roi; elle fixait aussi le temps de la diète de l'élection. L'intervalle entre la mort du roi et la nomination de son successeur était indéterminé, sa durée dépendait des intrigues des candidats et des brigues suscitées par les cours étrangères qui donnaient la loi à la Pologne; c'était toujours un tenips de troubles, et c'était alors que toutes les dissensions éclataient.

Au jour fixé la diète s'assemblait; pendant sa tenue, Varsovie et ses environs étaient le théâtre des scènes les plus sanglantes. Les principaux seigneurs ne paraissaient à la diète qu'accompagnés d'un grand nombre de vaśsaux et de domestiques.

A l'ouverture de la diète, les pacta conventa étaient lus et approuvés, le jour de l'élection était fixé, et on donnait audience aux ministres étrangers. On terminait ces affaires promptement, dans la crainte des puissances voisines, qui avaient toujours des troupes cantonnées dans le voisinage de la plaine de Vola. Enfin, le jour fixé pour l'élec

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