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plus encore sous celui de Casimir-le-Grand, un grand nombre d'Allemands vint s'établir en Pologne. Le gouvernement accorda à ces étrangers, qui étaient habitués à vivre sous l'empire des lois germaniques (lois infiniment plus douces que celles de la plupart des autres nàtions de l'Europe ne l'étaient alors), des priviléges dont ne jouissaient pas généralement les paysans polonais. Le bienfait de ces priviléges s'est constamment aperçu depuis dans leur économie domestique. Leurs villages étaient mieux bâtis et leurs champs mieux cultivés que ceux qui appartenaient aux naturels du pays; ils possédaient une plus grande quantité de bestiaux, payaient leurs redevances à leurs seigneurs avec plus d'exactitude, et comparativement avec les autres, ils étaient plus policés.

2°. L'esclavage des paysans polonais est trèsancien, et fut toujours extrêmement rigoureux. Dès le temps de Casimir-le-Grand, un seigneur pouvait faire mourir impunément un esclave, et quand celui-ci ne laissait pas d'enfans, le seigneur était son héritier et s'emparait de ses effets. En 1347, Casimir prescrivit une amende pour le meurtre d'un paysan, et ordonna qu'à l'avenir, à défaut de postérité, les collatéraux seraient mis en possession de l'héritage. Le même souverain arrêta qu'un paysan serait apte à porter les armes

comme soldat, et que ceux qui les porteraient seraient considérés comme libres.

Hélas! toutes ces mesures, par lesquelles un des plus grands rois qui se soit assis sur le trône de Pologne, entreprenait d'adoucir le sort de ses vassaux, furent infructueuses! elles ne purent résister au pouvoir de la tyrannie des nobles, et furent bientôt abrogées ou éludées. Celle qui donnait la propriété des biens d'un paysan décédé sans enfans à ses collatéraux, fut rendue inapplicable, d'après cette ancienne maxime des Polonais: Qu'un esclave ne peut plaider contre son maître. De même l'amende pour le meurtre d'un paysan fut rarement imposée, par la difficulté d'obtenir la conviction de ce crime, lorsqu'un noble en était accusé. Loin d'être portés à adoucir la servitude de leurs vassaux, les gentilshommes l'ont assurée par un grand nombre d'ordonnances, Un habile écrivain polonais, dans un ouvrage adressé au grand - chancelier Zamoisky (*), remarque que les statuts de la Pologne contiennent environ cent lois défavorables aux paysans; il y en a, entre autres, qui ordonnent les peines les plus rigoureuses contre ceux qui abandonnent sans congé leur domicile.

(*) Les Lettres patriotiques.

Ces peines prononcées étaient sans appel, dans des tribunaux établis à cet effet, où l'on jugeait sommairement. De ce grand nombre de lois pour prévenir l'émigration des paysans, le même auteur induit judicieusement l'état déplorable de cette classe opprimée, de ces infortunés qui ne pouvaient être maintenus dans la terre qui les avait vus naître, que par la terreur des peines les plus sévères.

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Le comte de Mirabeau a développé les inconvéniens des lois contre l'émigration, avec autant de justesse que d'éloquence, dans une lettre qu'il remit à Frédéric Guillaume, le jour de l'avénement de ce prince au trône de Prusse. Nous pensons que nos lecteurs trouveront ici avec plaisir le passage même de l'orateur français : « On doit >> être heureux dans vos états, sire; donnez la >> liberté de s'expatrier à quiconque n'est pas >> retenu d'une maniere légale par des obliga>> tions particulières; donnez par un édit formel >> cette liberté. C'est encore là, sire, une de ces >> lois d'éternelle équité, que la force des choses >> appelle, qui vous fera un honneur infini, et ne >> vous coûtera pas la privation la plus légère; >> car votre peuple ne pourrait aller chercher >> ailleurs un meilleur sort que celui qu'il dépend >> de vous de lui donner; et, s'il pouvait être >> mieux ailleurs, vos prohibitions de sortie ne >> l'arrêteraient pas. Laissez ces lois à ces puis>> sances qui ont voulu faire de leurs états une >> prison, comme si ce n'était pas le moyen d'en >> rendre le séjour odieux. Les lois les plus ty>> ranniques sur les émigrations n'ont jamais eu >> d'autre effet que de pousser le peuple à émi.>>-grer, contre le vœu de la nature le plus im>> périeux de tous, peut-être, qui l'attache à son >> pays. Le Lapon chérit le climat sauvage où il >> est né : comment l'habitant des provinces » qu'éclaire un ciel plus doux, penserait-il à les >> quitter, si une administration tyrannique ne >> lui rendait pas inutiles ou odieux les bienfaits >> de la nature? Une loi d'affranchissement, >> loin de disperser les hommes, les retiendra >> dans ce qu'ils appelleront alors leur bonne pa>> trie, et qu'ils préféreront aux pays les plus >>> fertiles; car l'homme endure tout de la part >> de la providence: il n'endure rien d'injuste >> de son semblable; et s'il se soumet, ce n'est >> qu'avec un cœur révolté. L'homme ne tient >> pas par des racines à la terre; ainsi il n'ap>> partient pas au sol. L'homme n'est pas un >> champ, un pré, un bétail; ainsi il ne saurait >> être une propriété. L'homme a le sentiment > intérieur de ces vérités simples; ainsi l'on >> ne saurait lui persuader que ses chefs aient le >> droit de l'enchaîner à la glèbe. Tous les pou>> voirs se réunissent en vain pour lui inculquer >> cette infâme doctrine. Le temps n'est plus, » où les maîtres de la terre pouvaient parler au >> nom de Dieu, si même ce temps a jamais >> existé. Le langage de la justice et de la rai>> son est le seul qui puisse avoir un succès du>> rable aujourd'hui; et les princes ne sauraient >> trop penser que l'Amérique anglaise ordonne >> à tous les gouvernemens d'être justes et sages, >> s'ils n'ont pas résolu de ne dominer bientôt >>> sur des déserts. >>>

Les paysans de la couronne étaient ceux établis dans les grands fiefs du royaume ou dans ses domaines royaux: ils étaient sous la juridiction des starostes; et s'ils étaient opprimés par ceuxci, ils pouvaient en appeler aux cours royales de justice. Dans le cas où le staroste aurait tenté d'entraver cet appel, le roi pouvait ordonner au chancelier du royaume de donner au paysan opprimé un sauf-conduit par lequel le monarque déclarait le prendre sous sa protection; et malgré la partialité qui régnait dans ces tribunaux, en faveur de la noblesse, la possibilité qu'avaient lės paysans de la couronne d'obtenir cet appel, les préservait souvent de la nécessité d'y avoir

recours.

Les paysans qui appartenaient à des particuliers étaient absolument à la discrétion de leurs

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