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taient allés au camp, rentrèrent dans l'assemblée, et dirent qu'ayant annoncé au général moscovite leur disposition à reconnaître l'électeur de Saxe, ce général leur avait répondu que cette nouvelle lui était si agréable, qu'il allait sur l'heure le témoigner par une réjouissance générale dans tout son camp.

>> L'émotion qu'elle excita dans la ville, pouvait bien sûrement faire excuser la surprise de l'ambassadeur, qui n'était pas plus instruit que le magistrat du motif de ce bruit si extraordinaire.

>> Mais quelles craintes ne m'aurait pas causées l'inattention presque inévitable de ce ministre, si je l'avais sue dans le temps! Je pouvais l'apprendre presque aussitôt par un sznapan qui aborda à la cabane avec son petit bateau. Il vint remettre au général Steinflicht deux langues fumées, et un billet fort poli, mais qui ne contenait que des souhaits heureux pour notre voyage. Ce message si peu attendu nous intrigua beaucoup. Le billet était anonyme, et nous ne pûmes jamais comprendre comment celui qui en était chargé, avait pu découvrir le lieu de notre retraite. Nous eûmes beau l'interroger, il s'en retourna maître de son secret; mais il nous laissa de cruelles inquiétudes que le nôtre ne fût découvert.

>>. Je l'ai déjà dit, et je ne puis, à mon gré,

le dire assez: ces sinistres augures, Dieu les permettait, ou les faisait naître, pour m'engager à n'attendre que de lui seul l'heureuse sûreté qui faisait tout le sujet de mes espérances.

>> Je passai tout le reste de la journée dans une impatience extrême de la voir finir. La nuit vint enfin, et nous nous embarquâmes de nouveau.

>>> Notre route fut infiniment plus pénible qu'elle ne l'avait d'abord été en sortant de Dantzick. Ce n'étaient que roseaux épais qui résistaient au bateau. Ils ne pliaient sous lui qu'avec une espèce de sifflement, qui, se répandant au loin, pouvait décéler notre marche. Leur courbure même marquait notre passage, et nous laissait craindre que le lendemain on ne vit les traces du chemin que nous aurions fait. Souvent nous fûmes obligés de descendre du bateau, et, enfoncés dans la vase, de le tirer à force de bras pour le transporter dans les endroits où il y avait plus d'eau.

>> Vers le minuit, nous arrivâmes à la chaussée d'une rivière que je crus être la Vistule. Nos conducteurs se mirent aussitôt à tenir conseil entre eux. Le général ni moi nous n'y fùmes point appelés. Leur résolution fut que leur chef, avec Steinflichtet le banqueroutier remonteraient à pied la chaussée, tandis que je me rembarquerais avec les deux autres pour côtoyer cette même chaussée par le marais. Tous ensemble me firent espérer que nous ne tarderions pas à nous rejoindre. Je me conformai à leur arrêt, sans pourtant me fier trop à leurs promesses. Je ne voyais cette séparation qu'avec douleur : et plût à Dieu que j'eusse écouté plus sérieusement je ne sais quel pressentiment qui m'annonçait que je ne retrouverais plus Steinflicht durant tout le reste de mon voyage!

>> L'opinion où j'étais que nous avions enfin gagné la Vistule, m'avait fait penser jusqu'alors que c'était là l'endroit où nous devions la passer; mais c'était le Néring, et quand je l'appris, je me consolai plus aisément de l'éloignement du général. Je lui sus même gré d'être allé luimême à la découverte des routes les plus sûres que nous avions à prendre pour arriver enfin à ce fleuve si désiré.

>> Je ne laissais pourtant pas de demander souvent à mes gens où et en quel temps à peu près nous pourrions le retrouver. «Le voilà, di>> saient-ils, il est devant nous; nous ne saurions >> le perdre, nous ne quittons point la chaussée » qu'il suit lui-même exactement ». Ils la quittaient néanmoins, je ne sais dans quel dessein; je ne m'en aperçus que lorsqu'il n'était plus temps de voyager, et que le point du jour nous avertissait de nous mettre quelque part hors de la vue de ceux qui avaient intérêt de me découvrir, et peut-être déjà ordre de me suivre.

>> Notre embarras fut de trouver un endroit propre à me cacher. Comme mes conducteurs n'ignoraient pas que toutes les maisons d'alentour étaient pleines de Russes et de Cosaques, il ne nous restait qu'à en choisir une dans laquelle on voulût au besoin se prêter à nos vues, ou par intérêt ou par amitié.

>> Ils se rappelèrent qu'il y avait dans le voisinage un homme de leur connaissance. Nous abordâmes chez lui: c'était un paysan, dont toute la maison ne valait guère plus que la cabane d'où j'étais parti le soir auparavant. « Avez>> vous ici des Moscovites, lui demandèrent d'a>>> bord mes conducteurs? - Actuellement, ré>> pondit-il, il n'y en a point; mais, si vous en >> avez à faire, il en vient assez souvent le jour». Notre parti était pris. De tous les maux qui nous environnaient, nous avions jugé celui-ci le moindre : nous nous y fixâmes, quoiqu'à regret.

>> Cependant, pour que je ne fusse point reconnu de cet homme dont nous ignorions les sentimens, les deux sznapans, sans lui donner le temps de m'envisager et de m'entretenir, comme il aurait fait sans doute, me menèrent audessus de la petite chambre qui faisait toute l'étendue de cette maison. Ils m'offrirent une botte de paille qui s'y trouva par hasard, et me prièrent de me reposer pendant qu'ils feraient sentinelle en bas, et iraient même au loin dans la campagne chercher le général, que je ne cessais

de demander.

» Il y avait déjà deux nuits que je n'avais dormi; j'essayai de reposer, et je ne le pus point. Mes bottes pleines d'eau et de fange, la perte de Steinflicht, ce dessein marqué de mes conducteurs de s'éloigner de la route qu'ils étaient convenus de suivre, les dangers que je courais dans le lieu où ils m'avaient amené, que sais-je? mille idées funestes me roulaient dans l'esprit; elles me privaient du bonheur même que je pouvais espérer de l'accablement de fatigue où j'étais; naturellement il devait appesantir mes sens, et m'ôter, du moins pour quelque temps, le-sentiment de mes peines.

>> Je me levai, et, mettant la tête à la lucarne de ce grenier, je vis un officier russe qui se promenait gravement dans la prairie, et deux soldats qui y faisaient paître des chevaux. Cette vue me saisit: l'air rêveur de cet homme, qui semblait méditer quelque dessein; ces chevaux, auprès desquels il revenait sans cesse, comme s'il eût eu impatience de s'en servir au plutôt; ces soldats avec leurs armes; leur séjour enfin dans un lieu assez éloigné de leur camp; tout

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