>> fais, à la providence, à laquelle je me remets >> entièrement de mon sort». >> Je redescendis aussitôt, et trouvai à quelques pas de la maison le général Steinflicht qui m'attendait, déguisé aussi en paysan. J'allai avec lui joindre le major de la place, Suédois de naissance, qui s'était engagé à favoriser ma retraite, et qui devait se trouver à certain endroit du rempart. Il y avait au bas deux nacelles qui nous servirent à traverser le fossé: elles étaient gardées parles trois hommes destinés à me conduire dans les états de Prusse, qui, de tous les lieux du voisinage où je pouvais être à l'abri des insultes de mes ennemis, étaient les plus proches et les pln su , sortant du bateau, alla quelques pas avant nous pour nous faire passer au poste occupé par quelques soldats et un bas-officier de la garnison; à peine je l'eus perdu de vue, que je l'entendis parler avec la vivacité et le ton d'un homme en colère. Je courus à ce bruit, et à portée de distinguer les objets, je vis le bas-officier le coucher en joue, et le menacer de tirer sur lui, s'il ne retournait sur ses pas. Deux fois le major, qui avait prévu la difficulté du passage, porta la main à un pistolet de poche dont il s'était muni à tout événement; il était résolu de se défaire de cet homme qu'il ne pouvait persuader par ses discours. Mais, réfléchissant en homme sage, qu'il n'avancerait rien par sa mort, et que les soldats, également exacts à la consigne qui était donnée par le commandant, ne manqueraient point de venger le sort de leur officier, il garda quelque temps le silence, et prit enfin le parti de révéler le dessein qui m'amenait en ce lieu. >> A ces mots, le sergent demande à me voir et à me parler. Je m'avançais durant ce temps; il m'examine de près, et me reconnaissant, quoiqu'à la brune, il me fait une profonde révérence, et ordonne à ses gens de me laisser passer. >> Cette première aventure me fit mal augurer du reste de mon voyage; je ne pouvais croire que mon secret pût long-temps séjourner dans les mains où on l'avait confié. Je me trompais toutefois; mais la providence, qui disposait à son gré de ceux qui devaient contribuer à l'exécution de mon projet, me laissait en proie à mes craintes, pour me faire mieux connaître dans la suite la force et l'importance de ses secours. >> Je renvoyai le major. Remonté dans la nacelle avec mes gens, nous voguâmes à travers la campagne inondée, dans l'espoir de gagner incessamment la Vistule, et de nous trouver dès la pointe du jour à l'autre bord de ce fleuve, et au delà des postes des ennemis. >> Mais quel fut mon étonnement, lorsqu'après un quart de lieue de chemin, mes conducteurs me menèrent au pied d'une méchante cabane située au milieu de ces marais ! Sous prétexte qu'il était trop tard pour le passage de la rivière, ils m'annoncèrent qu'il fallait s'arrêter en cet endroit, et y passer le reste de la nuit et tout le jour suivant. J'eus beau leur représenter les risques d'un abri qui était à la vue de mes ennemis, et la perte que nous allions faire d'un temps si précieux à ma sûreté. Leur conseil était pris: peut-être, pour ne pas manquer de réussir au rôle d'égalité qu'ils devaient jouer en public, afin de mieux cacher mon rang et ma personne; c'était alors leur dessein de le répéter tête à tête avec moi. Si cela est, il faut avouér qu'ils s'en tirèrent assez bien, et qu'ilsn'abusèrent pas mal de la permission qu'ils avaient d'en user à mon égard comme avec un de leurs semblables. >> Cependant, quel parti avais - je à prendre avec des gens de cette espèce, et que la moindre contradiction pouvait irriter ? Mon sort était entre leurs mains; je l'y abandonnai. Descendant de ma nacelle, j'entrai dans cette maison d'un air aussi assuré, que si ç'avait été une place de guerre propre à résister à tous les efforts des Russes et des Saxons. >> Cette cabane ne formait qu'une chambre, où je ne trouvai pas un coin à me reposer: mais je ne cherchais pas le sommeil; et, à dire vrai, je l'aurais cherché en vain. Je m'avisai , pour tromper mes inquiétudes et l'affreux ennui de tout le temps que je devais passer en ce lieu, de faire connaissance avec mon illustre compagnie. Un quatrième s'était joint à nous dès les remparts de la ville, quoiqu'on m'eût assuré que mes conducteurs ne devaient être qu'au nombre de trois. J'étais bien aise de démêler ce personnage en même temps que les autres. >> Le premier, qui était le chef de la troupe, me parut d'abord une tête démontée, et qui joignait à beaucoup de suffisance beaucoup de légèreté. Je connus dans la suite que je ne m'étais pas trompé. Vous auriez ri de lui voir affecter très-sérieusement un air d'autorité, prendre un ton élevé et décisif, ne point souffrir qu'on raisonnât après lui, regarder la moindre réplique comme une espèce de rébellion. >> Je me serais volontiers amusé de la singularité de ce caractère qui pouvait fort bien compatir avec la probité, si je n'avais réfléchi que l'étourderie nuit quelquefois plus que la méchanceté même ; et si, à travers sa brusque pétulance, je n'eusse reconnu que c'était l'homme de tout le pays le moins capable de me conduire sûre ment. On eût dit, à l'entendre, qu'il ne prétendait rien moins que d'affronter à l'aventure tous les dangers que je pourrais rencontrer; malheureusement encore il n'était informé d'aucun des postes qu'occupaient les ennemis. L'espoir d'une grosse récompense l'avait engagé à se donner au marquis de Monti pour plus habile en ce point qu'il ne l'était'; et ce ministre, pour qui l'occasion n'avait qu'un moment qu'il importait de saisir, n'en avait point eu pour l'approfondir et le bien connaître. D'ailleurs le secret demandait qu'il s'en tînt aux premiers hommes que le hasard lui offrait: ceux-ci rejetés, tout autre choix serait devenu aussi dangereux qu'inutile. La suite a justifié celui que l'ambassadeur avait fait; et il n'est plus temps de discuter s'il devait croire le chef de mes conducteurs aussi habile qu'il prétendait l'être, et ne point faire difficulté de me confier à lui. >> Le surnuméraire m'inquiétait bien plus encore; je lui demandai qui il était. Il n'eut pas la complaisance de me laisser croire que je n'en fusse point connu; et, d'un ton aussi ingénu que respectueux, il me répondit qu'il s'enfuyait de Dantzick à cause d'une banqueroute qu'il venait d'y faire. Ilajouta que mes conducteurs lui avaient promis de le mener en Prusse, où il espérait être à l'abri des poursuites de ses créanciers. , |