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CHAPITRE QUATORZIÈME.

STANISLAS LECZINSKI.

Le nouveau roi fut couronné à Varsovie, malgré les lois de la république qui ordonnaient que cette cérémonie fût faite à Cracovie. Stanislas reçut solennellement l'acte de son election, et jura les pacta conventa, la veille du jour où il fut couronné par l'archevêque de Léopol, dans la basilique de Saint-Jean, en présence du roi de Suède qui y assista incognito.

Clément XI, qui occupait alors le trône pontifical, tenait le parti du roi Auguste, et ne cessait d'agir en sa faveur. Il envoya des brefs à tous les évêques polonais, par lesquels il les menaçait d'excommunication, s'ils reconnaissaient l'autorité du roi qui venait d'être élu. On prit de vaines précautions pour empêcher ces brefs de pénétrer en Pologne. Un franciscain, d'un couvent de Varsovie, les reçut, et fut chargé de les remettre aux évêques auxquels ils étaient adressés. Il en remit d'abord un au suffragant de Chelm. Cet ecclésiastique porta aussitôt le paquet tout cacheté au roi. Stanislas fit venir le religieux : « Comment, lui >> dit-il , avez-vous osé vous charger de cette >> distribution? C'est, lui répondit le franciscain, >>> par ordre de mon général. Allez, lui répliqua >> Stanislas, je vous ordonne désormais d'écouter >> les ordres de votre roi préférablement à ceux » du général des franciscains ».

Le roi de Suède partit de Varsovie pour achever de soumettre les places qui tenaient encore pour Auguste. Le rendez-vous de l'armée suédoise était devant Léopol. L'électeur de Saxe se flattait que cette place, dont il avait fait réparer les fortifications, pourrait arrêter les Suédois : il se trompa; Charles XII l'investit le 5 septembre, et le lendemain il la prit d'assaut.

Tandis que le monarque, qui avait fait déférer la couronne à Leczinski, combattait dans le palatinat de Russie, celui-ci avait été contraint de rester à Varsovie, pour en imposer aux partisans de son compétiteur, et s'affermir 'sur un trône encore chancelant.

Auguste, par une marche savante, avait trompé les généraux du roi de Suède, et se présenta tout à coup aux portes de la capitale de la Pologne avec un corps de vingt mille Saxons. Stanislas n'avait en ce moment, près de lui, que sa mère, sa femme, les deux princesses ses filles, alors en bas âge, et quelques seigneurs attachés à la nouvelle cour. Varsovie est une place ouverte et qui n'avait pour garnison qu'un corps de six mille Polonais, sur la fidélité desquels on ne pouvait pas compter. D'ailleurs un grand nombre des habitans tenait encore le parti d'Auguste, et Stanislas fût infailliblement tombé au pouvoir des Saxons, s'il n'eût pris le parti de la fuite. Il chargea un corps de troupes polonaises, dont il était sûr, de conduire sa famille en Posnanie (*). Quant à lui, il fut rejoindre Charles XII, avec quelques gentilshommes dévoués à sa fortune.

Auguste entra dans Varsovie, quelques heures après la fuite de Stanislas, et cette malheureuse ville fut livrée au pillage des Saxons. Le général comte de Hoorn s'enferma dans le châ teau avec le peu de Suédois qui se trouvaient dans la garnison; mais il fut forcé de se rendre au bout de quelques jours. Tel fut le seul avantage que les armes d'Auguste obtinrent sur celles du roi de Suède.

(*) Au milieu de la confusion inséparable d'un départ aussi précipité, la princesse Marie Leczinska, la plus jeune des filles du roi, alors âgée d'un an, fut égarée par sa nourrice. On retrouva cette enfant dans l'auge d'une écurie, où elle avait été abandonnée. C'est cette même princesse qui fut depuis reine de France, et qui montra les vertus les plus touchantes sur un trône que son époux souillait par les vices les plus honteux.

Charles XII poursuivit sa marche victorieuse; il força bientôt Auguste d'abandonner Varsovie, et de courir à la défense de ses états héréditaires. En vain les Russes tentèrent-ils plusieurs diversions en faveur de leur allié. Les efforts des Russes et des Saxons réussirent à peine à retarder la marche de Charles: rien ne put l'arrêter. Auguste, qui perdait à la fois la couronne de Pologne et son électorat, se détermina à demander la paix. Il écrivit au vainqueur, et chargea deux plénipotentiaires de remettre sa lettre et de négocier en son nom: Allez, leur dit-il au moment de leur départ, táchez de m'obtenir des conditions raisonnables et chrétiennes. Charles XII répondit aux propositions contenues dans la lettre d'Auguste, par une note ainsi conçue :

« Je consens de donner la paix aux conditions >> suivantes, auxquelles il ne faut pas s'attendre >> que je change rien :

» 1.° Que le roi Auguste renonce pour ja>> mais à la couronne de Pologne; qu'il recon>> naisse Stanislas pour légitime roi, et qu'il pro>> mettre de ne jamais songer à remonter sur le >> trône, même après la mort de Stanislas.

» 2.° Qu'il renonce à tous autres traités, et >> particulièrement à ceux qu'il a faits avec la >> Moscovie.

» 3. Qu'il renvoie avec honneur, en mon >> camp, les princes Sobieski et tous les prison>> niers qu'il a pu faire.

» 4.° Qu'il me livre tous les déserteurs qui >> ont passé à son service, et nommément Jean >> Patkul, et qu'il cesse toute procédure contre >> ceux qui, de son service, ont passé dans le >> mien ».

Auguste tenta en vain de faire adoucir la rigueur de ces conditions: comme il n'avait aucun moyen d'obtenir par la force ce que la voie des négociations lui refusait, il se soumit, et signa, à Alt-Ranstadt, le traité tel qu'il fut dicté par le monarque suédois.

Ces deux princes se virent, pour la première fois, dans un lieu nommé Gutersdoff. Ils dînèrent deux fois ensemble: le roi de Suède marqua les plus grands égards au monarque qu'il venait de détrôner; mais il exigea de lui quelque chose de plus humiliant encore que les conditions du traité qui venait d'être signé, en le forçant d'écrire à Stanislas pour le féliciter de son avenement au trône de Pologne. Cette lettre qu'Auguste écrivit de sa propre main, et qui lui fut dictée par Charles XII, était ainsi conçue:

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