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CHAPITRE NEUVIÈME.

JEAN-CASIMIR.

AUSSITOT que Jean-Casimir fut couronné, toute la nation le pressa de marcher contre les Cosaques; mais le nouveau roi n'approuvait pas que l'on essayât de les soumettre par la force, et croyait plus sage de les ramener à leurs engagemens avec la Pologne, par des négociations. Il sentait l'odieux des premières causes de cette guerre : « Il ne fallait pas, disait-il, brûler les >> moulins de Kmielniski, encore moins violer >> sa femme, et la massacrer avec son fils; nous >> ne serions pas réduits à tirer vengeance des >> crimes que nous avons autorisés parles nôtres. >>>

Tous les nobles voulaient la guerre : les uns dans l'intention de contenter leur avarice, et dans l'espérance de faire rentrer leurs serfs sous leur joug; les autres espérant se rendre puissans au milieu des troubles inséparables de la guerre, et tous sous le prétexte de venger la république des maux qu'elle avait soufferts, en en punissant les auteurs. On résolut enfin d'employer la force. Le commandement de l'armée polonaise fut confié à André Firlei: ce brave général se móntra digne de la confiance dont on l'honorait.

Kmielniski avait prévu la tempête et avait pris des mesures pour en prévenir les effets. Il s'était allié de nouveau avec les Tatars, qui lui avaient fourni des troupes que le kan commandait en

personne.

<< Ce ne fut pas sans dépit (dit Sacy, dont nous empruntons la relation de cette guerre), que ce général vit un allié si puissant marcher de front avec lui, et s'associer à son expédition. Il affecta cependant la plus parfaite intelligence avec le kan. Depuis plusieurs siècles, on n'avait pas vu d'armée si nombreuse; elle était de plus de trois cent mille hommes; sa marche couvrait une province entière: elle investitle camp polonais.

>> Firlei ne fut point effrayé par l'appareil menaçant des troupes ennemies; il n'avait que neuf mille hommes à opposer à cette multitude; il s'était retiré sous les murs de Sbaras, et y avait fait un amas prodigieux de munitions de guerre et de bouche. « Mes amis, dit-il à ses soldats, ne >> soyez point étonnés du nombre de nos enne>> mis, ils sont plus faciles à vaincre qu'à comp>> ter; ils ne combattent que par l'espoir du pil>> lage, ils ne trouveront parmi nous que l'indi>> gence, l'amour de la gloire et de la liberté. >> Leur multitude même doit nous rassurer. No>> tre camp occupe si peu de place, que les trois >>> quarts de leurs forces leur deviennent inutiles. >> Voyez comme leurs rangs sont mal gardés; >> nulle harmonie dans leurs mouvemens, nulle >> discipline dans leur camp. Enfin, quand tous > ces motifs ne devraient pas ranimer votre cou>> rage, vous êtes Polonais, et il s'agit du salut >> de votre patrie. >> On l'interrompit par des cris, et chacun jura de mourir les armes à la main, plutôt que de fuir ou de se rendre.

>> Le 13 juillet 1649, les assiégeans parurent sous les armes, au point du jour. Le kan luimême était à la tête des Tatars; Kmielniski s'était placé au premier rang des Cosaques.

>> Firlei rangea ses Polonais le long des retranchemens, et choisit pour lui le poste le plus périlleux. Ce fut de son côté que l'attaque commença, et il la soutint avec vigueur; mais à l'avantage du nombre les ennemis joignirent celui du terrain. Malgré l'inébranlable fermeté du général polonais, le retranchement fut forcé, abandonné, repris plusieurs fois; les assaillans avaient à chaque moment des troupes fraîches pour remplacer celles qui avaient combattu. Ils ne laissaient point respirer les Polonais : ceux- ci, épuisés de fatigues, la plupart percés de coups, ne dormaient, ne mangeaient que les armes à

la main; mais leur courage s'accroissait avec le péril, et les alliés les trouvèrent plus fermes dans les dernières attaques que dans les premières.

>> Kmielniski vit bien qu'il fallait un siége dans les formes, et fit ouvrir la tranchée; les travaux furent bientôt poussés jusqu'au pied des retranchemens. Le nombre des Polonais, diminué par tant d'attaques, ne pouvait plus suffire à garder un espace si vaste; il fallut élever des retranchemens plus étroits derrière les premiers, et détruire ceux-ci, pour ne pas laisser aux ennemis l'avantage de s'y loger. La famine faisait des ravages affreux dans Sbaras et dans l'armée; le soldat disputait au bourgeois les plus vils alimens. Le partage d'une proie dégoûtante divisait des hommes rassemblés par l'héroïsine le plus pur.

>> Telle était l'affreuse situation des Polonais, lorsqu'on apprit l'arrivée du roi. Il s'avançait à la tête de vingt mille hommes rassemblés à la hate, mal armés, mal payés, mais à qui l'exemple des assiégeans apprenait à ne rien craindre. Casimir, après avoir fait faire à son armée une marche forcée, campa près de Sborow.

» Le kan et Kmielniski ne l'attendirent pas dans 'leurs lignes; mais ils coururent à sa rencontre avec soixante mille Tatars et quatrevingt mille Cosaques. L'armée de la république n'était pas encore rangée en bataille, lorsqu'une partie des Tatars et des Cosaques vint fondre sur les Polonais, tandis que le reste les prenait en queue. Après une vigoureuse résistance, l'avantgarde fut enfoncée; les Tatars pénétrèrent dans les vides: beaucoup furent pris ou massacrés. La victoire penchait en faveur des alliés, lorsque le castellan de Sandomir se jeta sur les Tatars et les prit en flanc. Cette diversion donna le temps à l'avant-garde de se rétablir, et au reste de l'armée de se déployer.

>> Kmielniski marcha de front contre le corps de bataille. Casimir était au centre, et donnait à ses soldats l'exemple du courage. Le choc fut terrible; les Polonais, fermes à leurs postes, encouragés par la vue de leur roi, ne laissèrent prendre sur eux aucun avantage. Il n'en était pas de même aux ailes; la gauche écrasée, culbutée par la cavalerie tatare, menaçait d'entraîner dans sa défaite la ruine de toute l'armée: Casimir y vola; sa présence rétablit le combat.

>> Telle était la situation des deux armées lorsque la nuit survint; chacun la passa à son poste, couvert de ses armes. Casimir exhortait ses soldats, les comblait d'éloges, et leur promettait de nouveaux triomphes: cependant, malgré la fière contenance qu'il affectait, il n'était pas tranquille. Le kan lui donnait peu d'inquiétudes;

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